Africa Defense Forum

Une tradition de Service

Le professionnalisme est au cœur de l’une des plus jeunes armées d’Afrique, la force de defense du Botswana.

Le général de corps d’armée aérien Tebogo Masire a commandé la Force de Défense du Botswana (BDF) jusqu’à son départ à la retraite, en 2012. Pendant ses 35 années de carrière, il a occupé plusieurs postes de commandement, dont celui de commandant de la force aérienne de 1989 à 2006. Pilote, avec plus de 4.000 heures de vol à son actif, il a transporté les quatre présidents du Botswana vers des destinations dans 30 pays. À l’heure de sa retraite, il était le dernier membre du premier contingent de recrues militaires du Botswana à être encore en service actif. Il s’est entretenu avec ADF par téléphone depuis Gabarone, en juin 2015. Ses propos ont été résumés pour des raisons d’espace.

Général Tebogo Masire
Général Tebogo Masire

ADF : Vous avez participé à la création de la BDF, en 1977. Comment était-ce ?
Général MASIRE : J’étais l’un des premiers élèves officiers de la force de défense ce qui, en soi, rend déjà la carrière très passionnante. Nous étions vraiment des bleus. Tout était très rudimentaire et cela ne nous a pas facilité la tâche. Après la formation d’élève officier, nous avons commencé l’entraînement aérien, ce qui était intéressant, parce que nous étions les premiers autochtones à le faire. La BDF partait de rien. Le premier entraînement était fait par des pilotes civils sur des avions civils.

ADF : Quel a été votre parcours avant d’entrer dans la BDF ?
Général MASIRE : J’étais contrôleur aérien dans l’aviation civile. C’est ce qui m’a poussé à choisir l’armée de l’air dans la force de défense. À partir de là, je suis monté en grade. Lieutenant, commandant, major, et chaque nouveau grade apportait de plus grandes responsabilités, beaucoup plus grandes que celles d’un commandant normal. Nous étions les premiers, alors nous étions à la fois chefs et apprentis. Mais, apparemment, nous étions excellents, car on continuait à nous apprécier et à nous promouvoir.

ADF : Après l’indépendance, en 1966, le Botswana n’a pas créé une armée tout de suite. Il a confié la sécurité à la police nationale. La BDF n’a été créée qu’en 1977. Pourquoi la décision de créer la BDF a-t-elle été prise et qu’est-ce qui a été fait structurellement pour faire en sorte qu’elle soit une force de combat professionnelle et éthique ?
Général MASIRE : La situation dans la région se détériorait. La sécurité était menacée. Nous étions attaqués du côté sud-africain, du côté rhodésien et du côté namibien. Nous en sommes arrivés à un point où le gouvernement a dit : « Ça ne sert à rien de parler avec ces gens. Ce qu’il nous faut, c’est notre propre armée qui puisse défendre notre pays ». Alors elle a été constituée dans la hâte. Nous n’avions pas de matériel, nous n’avions pas d’argent et nous n’avions pas d’expérience. Nous avons mis en place la force de défense avec la police paramilitaire et nous avons fait venir des gens pour l’entraînement aérien. Pour l’armée de l’air, nous avons engagé deux anciens pilotes de la Royal Air Force. Il y avait un ou deux anciens militaires nigérians. Mais l’aide la plus importante pour mettre l’armée en place a été apportée par l’armée indienne.

ADF : Selon un sondage de Gallup, qui a évalué plusieurs pays d’Afrique, 86 pour cent du public au Botswana a confiance dans l’armée et la considère comme une institution respectable. Ce pourcentage était le plus élevé parmi les 19 pays africains évalués. Que fait tout particulièrement la BDF pour établir une relation civilo-militaire positive ?
Général MASIRE : Parce que la BDF a été constituée à une époque de troubles dans la région, les gens l’ont accueillie comme leur sauveur et leur protecteur et c’est exactement ce qu’elle était. Pour vous donner un exemple de ce qui est très rare en Afrique, les gens se sentent plus en sécurité avec l’armée qu’avec la police. C’est parce que la force de défense tenait beaucoup à la défense nationale, la défense du peuple. À tel point qu’elle en faisait même trop pour aider les gens, même dans un contexte qui n’était pas vraiment militaire. Si des gens se trouvaient dans des zones opérationnelles, des zones frontalières où il y avait des problèmes dans le nord du Botswana, ils savaient que l’armée ne protégeait pas seulement les frontières, mais qu’elle les aidait aussi dans des tâches domestiques courantes. Nous étions considérés comme des parents, en quelque sorte. Je pense que cette attitude et cette perception ont pris de l’ampleur et les gens se sont sentis de plus en plus en sécurité et appréciaient l’aide qu’ils recevaient de l’armée.

ADF : Pouvez-vous nous donner des exemples d’un engagement civilo-militaire ?
Général MASIRE : La réponse aux catastrophes. S’il y a des plaintes à propos d’une route détruite par les inondations, ils interviennent. Si le toit d’une école a été arraché par une tempête, ils aident à le réparer. S’ils rencontrent des villageois en train de construire un enclos pour le bétail, ils les aident. Tout cela ne fait pas vraiment partie de leur mission principale. S’ils sont dans le coin et qu’ils entendent parler d’un problème, ils se mettront en quatre pour aider.

ADF : Une autre chose qui fait l’unicité de la BDF, c’est qu’elle n’a jamais outrepassé ses compétences et ne s’est jamais engagée dans la politique. Il n’y a jamais eu de coup d’État militaire au Botswana. Cet aspect est-il inclus dans la formation que reçoivent les officiers ?
Général MASIRE : En tant que chefs militaires, nous avons inculqué à nos officiers et aux autres rangs que nous sommes apolitiques. Nous sommes une force de défense dédiée au peuple et qui obéit au gouvernement du moment, quel qu’il soit. Mais nos dirigeants politiques ont aussi fait en sorte que les militants tiennent l’armée à l’écart de la politique. Il y avait donc réciprocité. L’armée voulait rester en dehors de la politique et les politiciens voulaient rester en dehors de l’armée.

ADF : Transparency International a classé le Botswana parmi les pays les moins corrompus d’Afrique. Il est même moins corrompu que beaucoup de pays européens. Des mesures ont-elles été prises pour éviter la corruption au sein de la BDF ?
Général MASIRE : Les officiers généraux et les hommes de troupe ont toujours su qu’ils ne devaient pas dépasser les bornes. Vous ne pouvez pas magouiller lorsque vous gardez un poste de contrôle. Et ceci s’applique sur toute la ligne jusqu’à l’état-major. L’agent d’approvisionnement sait très bien qu’il doit y avoir des contrôles pour que les achats soient transparents. Tout est légal et les fournisseurs ne sollicitent aucun favoritisme ni pot de vin. Il y a donc toujours eu une culture où chacun sait qu’il a un rôle à jouer pour assurer la probité de l’armée.

ADF : Pourtant il peut être difficile de maintenir la transparence, parce que parfois l’armée souhaite garder des informations confidentielles sur ce qu’elle dépense en termes d’équipements pour des raisons de sécurité nationale. Y a-t-il déjà eu des tensions concernant la nécessité de garder le secret, mais aussi le besoin de contrôle ?
Général MASIRE : Il y a confidentialité en ce sens que vous ne rendez pas publics les achats en matière d’armement. Mais il y a aussi un contrôle, parce que le ministère des Finances sait ce que vous achetez. C’est lui qui paye et c’est aussi lui qui, plus tard, effectuera un contrôle de ce que vous possédez. Alors vous savez qu’il y a toujours quelqu’un qui surveille.

ADF : En 2007, vous étiez au commandement lorsque les premiers officiers féminins ont été admis au sein de la BDF. Pourquoi était-il important d’inclure des femmes soldats au sein de la BDF, et comment ont-elles changé la BDF au fil des années ?
Général MASIRE : Il y a deux raisons à cela. Tout d’abord, nous voulions briser le cliché selon lequel les femmes ne sont pas destinées à servir dans l’armée. Ensuite, nous voulions donner leur chance au reste des jeunes, parce que tout le monde soutient l’armée, mais les femmes demandaient : « Pourquoi ne pouvons-nous pas participer à cette organisation ? » Nous avons alors décidé qu’en tant que démocratie respectueuse de l’égalité des sexes, nous devions autoriser les femmes à entrer dans l’armée. Avant cela, il y a eu certains problèmes à résoudre concernant notamment la logistique et l’hébergement. Alors nous avons pensé : « D’accord, commençons par un petit groupe, juste des officiers, pour pouvoir propager la culture ». Et, effectivement, nous admettons maintenant des femmes à d’autres grades, ce qui prouve que cela fonctionne très bien. Nous avons commencé avec des officiers féminins qui commanderont d’autres femmes ; maintenant nous engageons des femmes à d’autres grades dans la force de défense pour compléter la transition.

ADF : Sont-elles réparties entre toutes les unités et tous les secteurs de l’armée ou sont-elles concentrées dans un domaine ?
Général MASIRE : Non, elles sont dans toutes les unités de la force de défense.

ADF : S’il y a eu une résistance initiale, celle-ci a-t-elle disparu ? Les gens sont-ils majoritairement pour ?
Général MASIRE : Tous les secteurs de la communauté ont été très enthousiastes. Au sein de l’armée, bien sûr, certains se sont interrogés : « Sommes-nous prêts ? Cela va causer beaucoup d’incertitude ; comment la relation va-t-elle s’établir ? » Mais nous avons surmonté cela grâce à une large information du public. Il y a eu beaucoup de formations pour des officiers dans d’autres corps d’armée ; une équipe d’officiers de l’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique est même venue nous aider à mettre tout cela en place.

ADF : Un autre succès a été la création de l’école d’état-major et de commandement de la défense du Botswana qui a ouvert ses portes juste avant votre départ à la retraite, en 2012. Quelle était l’importance de cette école d’état-major et comment cela s’est-il déroulé ?
Général MASIRE : Ce projet était prévu depuis longtemps, mais il n’y avait personne pour le faire passer. J’ai pensé que je devais m’en occuper. Comme vous le savez, pour professionnaliser l’armée il faut des officiers de métier. Pour avoir des officiers de métier, il faut les former au niveau le plus élevé qui est celui de l’école d’état-major. Si vous ne disposez pas de votre propre école, vous dépendez de la générosité de pays amis. À cette époque, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Tanzanie, la Zambie et d’autres pays amis pouvaient nous proposer peut-être 20 places de stage de formation. Mais cela ne représentait qu’une partie des 120 officiers qui devaient être formés. J’ai dit : « Écoutez, il nous faut notre propre école pour pouvoir absorber tous ceux qui sont prêts pour la formation ». De cette manière, nous aurons un pool constant d’hommes et de femmes qui pourront transmettre leurs connaissances à d’autres. Alors j’ai décidé d’accélérer les choses et de faire en sorte que le projet décolle.

ADF : Combien d’officiers sortent diplômés de l’école d’état-major chaque année ?
Général MASIRE : Entre 60 et 80 environ.

ADF : Depuis votre départ à la retraite, vous avez consacré beaucoup de votre temps à la fondation THC, que vous avez créée pour mettre un terme à la violence conjugale. Pouvez-vous décrire cette fondation, quelle est sa mission et pourquoi ce travail vous passionne-t-il ? (THC sont les initiales du général Masire, son nom complet étant Tebogo Horatious Carter Masire.)
Général MASIRE : Vous savez, quand vous êtes commandant d’une force de défense, c’est comme si vous étiez chef de famille. Et il y a eu des cas où j’ai constaté que certaines épouses de militaires traversaient des périodes difficiles. Il y avait toujours des plaintes du genre : « J’ai été maltraitée ». Et, travaillant dans le domaine de la sécurité, nous voyions se produire tous ces cas de violences conjugales et de maltraitance des enfants et je me disais : « Certaines de ces personnes sont désemparées, parce qu’elles ne savent pas où aller et n’ont personne pour leur tenir la main. » Alors, quand j’ai pris ma retraite, j’ai voulu créer une organisation qui vienne en aide à ces gens qui ont perdu espoir ou ont renoncé à la vie. C’est pour cela que j’ai créé la fondation THC, un groupe de défense contre la violence conjugale et la maltraitance des enfants. Jusqu’à présent, nous avons proposé des cours de formation et des séminaires pour les étudiants, les agents de police et la société civile en général, pour sensibiliser le public à la violence sexiste. Ce qui est le plus important c’est que nous essayons de coordonner toutes les organisations  s’occupant de violence conjugale pour s’unir et définir une stratégie commune. Parce que j’ai constaté que tout le monde faisait son travail dans son coin, mais que les résultats n’étaient pas satisfaisants. Je savais que si nous avions un groupe de défense fort et une approche solide, les résultats seraient meilleurs et l’impact substantiel.
ADF : Alors c’est vraiment une question de changement culturel et d’éducation ?

Général MASIRE : Une autre raison pour laquelle je pensais que je pouvais être utile, c’est que lorsque les femmes voient qu’un homme défend leur cause, elles se rendent compte que les hommes comprennent leur situation de précarité et qu’il y en a qui sont prêts à s’engager pour les sortir de là. En agissant, vous déclenchez beaucoup de débats, d’activité et, avec un peu de chance, un changement de mentalité.
ADF : Qu’espérez-vous pour l’avenir de la BDF ?

Général MASIRE : J’espère que la BDF continuera d’être une armée professionnelle, mais l’un des domaines sur lequel nos efforts doivent porter, et pour lequel j’espère que le gouvernement apportera son aide, c’est le matériel. Certains, dans le pays, pensent que beaucoup d’argent est gaspillé pour l’armée, mais, en réalité, la BDF utilise encore un matériel obsolète. Nous n’avons pas suivi les progrès technologiques. Comme nous sommes une petite armée, la technologie a un effet multiplicateur. Nous devons suivre le progrès et le mettre à profit. L’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est que, puisque nous ne sommes pas en guerre et que nous ne sommes pas confrontés au terrorisme ou à des troubles civils, nous ne sommes pas censés acheter des équipements militaires ni restructurer l’armée, et toutes ces choses qui vous permettent d’être prêts à toute éventualité. Les gens vous diront : « Allons, il n’y a pas de guerre, pourquoi avez-vous besoin de matériel, à quoi sert l’argent ? » Mais j’essaye toujours de leur expliquer que les guerres peuvent se déclencher d’un jour à l’autre. On ne vous prévient pas six mois à l’avance. Alors pour que l’armée serve à quelque chose pour le peuple, elle doit être sur le qui-vive et prête à intervenir à tout moment.


ÉTAPES IMPORTANTES DE LA FORCE DE DÉFENSE DU BOTSWANA

1966
Le Botswana obtient l’indépendance de la Grande-Bretagne.

1977
En raison de l’instabilité dans les pays voisins et des tensions aux frontières, le Parlement botswanais vote la création de la Force de défense du Botswana (BDF) sur la base de ce qui était auparavant l’Unité mobile de police du Botswana.

1988
Le Botswana continue d’agrandir ses forces terrestres, les divisant en deux brigades d’infanterie — l’une basée dans la capitale, Gaborone, et l’autre à Francistown, sur la frontière avec le Zimbabwe.

1992
La BDF participe à sa première mission extérieure avec un contingent, dans le cadre de l’Opération Rendre l’espoir menée par les États-Unis en Somalie.

1996
La base aérienne de Thebephatshwa est achevée à environ 50 kilomètres au nord-ouest de Gabarone, équipant la flotte aérienne de la BDF d’une installation moderne.

1998
La BDF participe à l’Opération Boleas, une intervention militaire de la Communauté de Développement de l’Afrique australe au Lesotho. La contribution de la BDF comprend la direction d’un programme de formation des troupes de la Force de défense du Lesotho.

2007
Les premiers officiers féminins sont admis au sein de la BDF.

2012
Le pays inaugure l’école d’état-major et de commandement de la défense du Botswana.

Sources: Dan Henk, www.gov.bw

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