Africa Defense Forum

CALME MAIS FRAGILE

Le général de brigade Sam Okiding de l’Ouganda estime que les conditions à Mogadiscio se sont améliorées, même si la menace des EEI persiste

PERSONNEL D’ADF

Le général de brigade Sam Okiding de l’UPDF (Uganda People’s Defence Force, Force de défense du peuple ougandais) a servi comme commandant du contingent ougandais de l’AMISOM (mission de l’Union africaine en Somalie) et comme commandant du secteur 1 de l’AMISOM, dont les quartiers se trouvent dans la capitale, Mogadiscio, de novembre 2015 à novembre 2016. Le secteur 1 inclut les régions de Banaadir et de Shabeellaha Hoose.  Le général de brigade Okiding a parlé de son expérience et de ses observations lors d’un entretien téléphonique avec l’ADF en octobre 2016, alors que son mandat avec l’AMISOM touchait à sa fin. Ses propos ont subi des modifications pour les adapter à ce format.

ADF : Quelle était la situation sur le terrain dans le secteur 1 lorsque vous avez assumé le commandement en 2015 ?

OKIDING : J’étais ici en 2012, puis lorsque j’ai assumé le poste de commandant du contingent en 2015, la situation était différente. Je peux vous dire que beaucoup de choses ont changé de façon positive. En 2012, ils se battaient toute la journée. Cependant, depuis mon retour en 2015 et jusqu’à ce jour, la situation est relativement calme. Néanmoins, d’autres conditions se sont mises en place. La situation est calme mais fragile — tout à fait imprévisible. Al-Shebab est très mobile, leur maîtrise des EEI [engins explosifs improvisés] a évolué et c’est maintenant leur arme préférée. Mais lorsque nous comparons les deux situations, les choses sont calmes ; la situation s’améliore.

ADF : Lorsque vous avez assumé le commandement du secteur 1, quelle était initialement votre première priorité ?

Un soldat de l’AMISOM photographie les débris d’un engin explosif improvisé sur véhicule au sud de Mogadiscio en 2015. Les voitures piégées sont maintenant une tactique préférée d’al-shebat. [AFP/GETTY IMAGES]
OKIDING : Ma priorité initiale concernait la protection de la force. Lorsque je suis arrivé, il y a eu trois incidents à peu près au cours desquels al-Shebab a attaqué les positions de l’AMISOM. Puis, un ou deux mois plus tard, ils nous ont pris par surprise dans la région de Gedo et ils ont attaqué l’AMISOM. Auparavant, les lignes de l’ennemi étaient déterminées, mais après un certain temps ils ont eu recours à l’insurrection, sans ligne de front ni arrière. Ce sont les gens que vous rencontrez chaque jour. J’ai donc dû étudier l’ennemi. J’ai découvert qu’ils agissent selon trois principes. Le premier c’est qu’ils obtiennent d’excellents renseignements puisqu’ils sont indigènes. Le deuxième c’est la surprise. Le troisième, bien sûr, c’est la vitesse. Lorsque nous examinons toutes les défenses attaquées par al-Shebab, ils appliquent ces principes. J’ai donc décidé d’établir mes plans à l’encontre de ces principes.

ADF : Sans divulguer les détails opérationnels, pouvez-vous parler un peu plus de la façon dont vous avez poursuivi cette priorité ? 

OKIDING : Al-Shebab utilise aujourd’hui des EEIV ; ce sont des engins explosifs improvisés sur véhicule. En somme, ce sont des véhicules chargés d’explosifs. Ils ont utilisé ces véhicules dans toutes les attaques contre nos défenses. Nous avons fortifié notre défense en créant ce que nous appelons des fossés blindés [pour empêcher l’avancée des véhicules blindés]. Un fossé blindé constitue en réalité une arme contre les blindés, même les chars. Donc nous avons attrapé les véhicules. C’est une première approche. Puis, nous avons bien sûr modifié notre style de vie. C’est le deuxième point. J’ai dit aux soldats de ne jamais dormir ni se reposer pendant la nuit. Nos soldats se reposent maintenant pendant la journée. Et ils commencent leurs activités normales pendant la nuit. Il est donc impossible de les surprendre. Voilà, nous avons mis en place ces deux stratégies et nous observons des résultats positifs.

ADF : Étant donné que vous êtes en poste à Mogadiscio, comment décrivez-vous la vie quotidienne aujourd’hui dans la capitale somalienne ?

OKIDING : La situation est calme ici. Beaucoup de choses ont changé. En 2007, la situation était extrêmement hostile — nous le savons tous. Mais aujourd’hui, il y a beaucoup de gratte-ciel qui se construisent, les gens vont en mer pour pêcher, le commerce est en plein essor dans toute la ville, les navires accostent [l’un] après l’autre. En fait, [l’aéroport international Aden Adde] est l’un des aéroports les plus actifs de l’Afrique. C’est parce que l’intervalle de temps entre les décollages et les atterrissages est au plus de 10 minutes. Donc cela foisonne d’activité. Malgré les cas isolés d’assassinat, d’EEIV et autres, cette ville est normale, comme toute autre ville africaine. Les gens sont occupés, les gens travaillent et la vie est redevenue normale.

ADF : Quel a été selon vous votre plus grand succès pendant votre mandat de commandant du premier secteur ? De quoi êtes-vous le plus fier ?

OKIDING : Je suis très fier du fait que la situation a changé. Je suis aussi fier d’avoir assumé un poste très important. En ce moment, nous supervisons les élections, et la Somalie organise des élections générales : pour le parlement et l’élection présidentielle. C’est la première chose. La deuxième, c’est que nous avons aussi accueilli l’IGAD. [La Somalie a accueilli le 13 septembre 2016 à Mogadiscio le 28ème Sommet des chefs d’état et de gouvernement de l’Autorité intergouvernementale sur le développement]. Les chefs d’état étaient présents et ils sont repartis convaincus que l’AMISOM faisait un travail tout à fait louable, puisque nous supervisions la sécurité. Et la chose dont je suis le plus fier, c’est d’avoir promis à mes supérieurs, à mes chefs politiques, au moment d’assumer mes fonctions qu’al-Shebab ne s’emparerait d’aucune de mes défenses. Et je pense que Dieu me soutient dans cette entreprise. Parce que j’ai parlé aux soldats ; ils ont beaucoup lu, ils sont prêts et ils combleront les fossés, et je suis sûr que cela se fera. Et c’est ce qui me rend très heureux et très fier.

ADF : Selon votre estimation, quelle est la force actuelle d’al-Shebab en Somalie et dans la sous-région de l’Afrique de l’Est ? 

OKIDING : Je me tromperais si je vous donnais des chiffres réels, mais les gens disent qu’ils sont au nombre de 3.000 à 5.000. Cependant, nous ne pouvons pas nous fier à ces chiffres. Ce que je peux vous dire, à part cela, c’est qu’on observe une augmentation des combattants étrangers venant du Yémen, de la Syrie et d’autres pays.

ADF : En 2010, l’Ouganda fut victime des attentats à la bombe d’al-Shebab lors des rencontres de la Coupe du monde de football à Kampala. Pensez-vous avoir acquis une perspective grâce à votre commandement du secteur 1 qui vous permettra de soutenir l’UPDF, les forces de police ougandaises et les autres agences ougandaises dans la lutte et la prévention des attaques d’al-Shebab sur le sol ougandais ?

OKIDING : Ma réponse est « Oui ». Premièrement, nos effectifs ont acquis de l’expérience. L’Ouganda déploie ses forces armées, celles de l’UPDF, ainsi que les forces de police ougandaises. L’armée et la police sont toutes les deux déployées en Somalie. Nous avons aussi beaucoup appris sur la façon de combattre al-Shebab. Deuxièmement, c’est précisément la raison pour laquelle nous sommes venus en Somalie. Je vous ai dit qu’il s’agissait d’une guerre idéologique. C’est vrai, en 2010 ils étaient à Kampala, ils sont venus pour tuer les habitants de Kampala. Donc cet enjeu est mondial. Ce n’est pas un problème de la Somalie ; c’est un problème qui nous concerne tous. C’est pourquoi les pays africains sont ici, les pays européens sont ici, les Américains sont ici. Donc nous avons aussi gagné une certaine expérience en les combattant ; que ce soit en Somalie ou chez nous, je crois que nous sommes mieux placés pour le faire.

ADF : On dit que, finalement, le mandat de l’AMISOM va se terminer. Selon certains rapports, l’Ouganda, premier pays contributeur à l’AMISOM avec le plus grand contingent de soldats, aurait indiqué que son retrait est prévu en 2017. Que doit-il se produire pour assurer que les institutions gouvernementales en place soient suffisantes pour assurer la survie de la Somalie sans l’AMISOM ?

Le général de brigade Sam Okiding, deuxième à partir de la droite, visite le centre de formation Jazeera à Mogadiscio en Somalie, en compagnie du major-général Mohammedesha Zeyinu, au centre, ancien commandant par intérim de la force, en décembre 2015. [AMISOM]
OKIDING : Je vous rappelle qu’en ce moment, nous n’agissons pas en vertu du chapitre 6 du maintien de la paix. Nous agissons en vertu du chapitre 7 de l’imposition de la paix. Après 2018, il est probable que les Nations unies viendront assumer le rôle du maintien de la paix en Somalie. À ce moment-là, il est probable que les SNA [forces armées nationales somaliennes] auront acquis des compétences. Il y aura donc deux organismes chargés de la sécurité : l’un sera les Nations unies et l’autre sera les forces armées nationales somaliennes, plus d’autres agences de sécurité. Mais pour nous, c’est la voie qui selon nous sera suivie. Lorsque l’AMISOM réduira ses opérations, l’ONU et les SNA intensifieront les leurs. C’est ce que nous pensons.

ADF : Les forces de l’AMISOM que vous commandez dans le secteur 1 ont-elles joué un rôle pour former les forces armées nationales somaliennes et, dans l’affirmative, quels ont été les progrès des SNA ? Quelle est leur capacité actuelle et que nécessiteront-elles pour pouvoir prendre la relève des responsabilités de sécurité dans le pays ?

OKIDING : Oui, nous avons assuré le mentorat des SNA. Les forces armées et les forces de police de l’AMISOM ont assuré le mentorat des forces armées et des forces de police somaliennes. Nous l’avons fait en ce qui concerne la formation et les opérations. Nous travaillons côte à côte. Nous avons dû relever des défis, mais ceux-ci ne sont plus situés au niveau des soldats individuels. Vous devriez savoir que la Somalie est toujours sujette à un embargo sur les armes. Mais il s’agit de décisions politiques. En ce qui me concerne, les SNA sont sur la bonne voie. Si tout se passe bien, je pense qu’en 2018 elles seront en mesure de faire face.

ADF : Souhaitez-vous ajouter quoi que ce soit d’autre ?

OKIDING : Le défi le plus difficile à relever dans notre démantèlement d’al-Shebab … c’est qu’ils ont recours à l’utilisation des EEI. Et comme vous le savez, il y a plusieurs catégories d’EEI. Il y a ceux que vous pouvez contrôler et ceux que vous ne pouvez pas contrôler, notamment ceux qui utilisent des plaques de pression. Les plaques de pression nous donnent quelques migraines, bien que nous fassions de notre mieux. C’est donc ce à quoi ils ont recours maintenant ; ils essaient de rendre les routes impassables, mais nous sommes toujours présents. C’est donc l’aspect le plus difficile que nous affrontons actuellement. Mais à part cela, je ne vois aucun problème ; nous sommes bien soutenus, tout va bien, la population est de notre côté.

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