Africa Defense Forum

EN LUTTE CONTRE LE TERRORISME AU BURKINA FASO

Cette nation ouest-africaine cherche à élaborer une stratégie exhaustive contre le terrorisme

Chef de Bataillon Didier Bamouni


Le Chef de Bataillon Didier Bamouni est un officier de l’armée du Burkina Faso. Il a occupé des postes de commandement et de formation, y compris celui de chef des opérations d’une force opérationnelle de lutte contre le terrorisme. Il est titulaire d’un diplôme de troisième cycle d’études de défense et de conflits et prépare une maîtrise de science et d’économie du changement climatique. Il est diplômé du programme d’études du terrorisme et de la sécurité du Centre européen d’études de sécurité George C. Marshall.


Le terrorisme et l’extrémisme violent ont surgi en Afrique de l’Ouest après la crise ayant frappé le Mali en 2012. Parmi les pays sahéliens tels que le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger, le Burkina Faso est resté relativement épargné par le terrorisme jusqu’à une date récente, ce qui pourrait être attribué à la perception de son rôle de médiateur au Mali.

Depuis 2015, des groupes terroristes tels qu’al-Mourabitoun et le Front de libération du Macina au nord du Mali ont commencé à cibler le Burkina Faso. La plus grave attaque s’est produite dans la capitale Ouagadougou le 15 janvier 2016, lorsque des hommes armés liés à al-Qaida ont pris d’assaut l’Hôtel Splendid et un restaurant des environs, faisant 30 victimes. Les experts sont convaincus qu’il y aura davantage d’attaques terroristes. En conséquence, le Burkina Faso doit de toute urgence mettre en oeuvre une stratégie exhaustive de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, dont l’exécution devra être confiée à un organisme conjoint de lutte contre le terrorisme.

Le Burkina Faso utilise déjà diverses approches cinétiques et non cinétiques pour faire face au terrorisme et à l’extrémisme violent, employant des instruments de la puissance publique et des outils propres à la société. Cependant, ces approches ne font pas encore partie d’une stratégie exhaustive.

L’EXTRÉMISME VIOLENT AU BURKINA FASO

Le terrorisme et l’extrémisme sont des défis à la sécurité d’apparition récente au Burkina Faso, que ce pays doit relever. En novembre 2014, le pays a connu un soulèvement populaire aboutissant à la destitution du président Blaise Compaoré. À ce moment-là, il était également le médiateur de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans la crise malienne. Le Burkina Faso a ensuite été dirigé par un gouvernement de transition qui n’a pas joué de rôle significatif dans le règlement politique de la crise malienne.

Les manifestations du terrorisme au Burkina Faso ont revêtu trois dimensions. Premièrement, le nombre d’actes terroristes violents a augmenté au nord du Mali, un développement qui affecte désormais la sécurité du Burkina Faso. En avril 2015, des terroristes ont enlevé un travailleur d’une entreprise roumaine d’extraction minière dans le nord du pays et ont tué un agent de la sécurité qui tentait d’intervenir. En août et octobre 2015, des extrémistes ont attaqué des avant-postes de sécurité à Oursi, dans le nord du Burkina Faso, et à Samorogouan, à l’ouest. En janvier 2016, des terroristes ont pris d’assaut un restaurant et un hôtel à Ouagadougou. En mai 2016, des terroristes ont attaqué des avant-postes de sécurité à Koutougou et à Intangom, dans le nord. Le groupe al-Mourabitoun de Mokhtar Belmokhtar et le Front de libération du Macina d’Amadoun Kouffa — tous deux affiliés à al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) — sont suspectés d’avoir perpétré ces attaques.

Deuxièmement, des points chauds de la radicalisation sont apparus à Ouagadougou, à Bobo Dioulasso et dans le nord du pays. Les chercheurs, les praticiens de la sécurité et les groupes de la société civile ont tous reconnu ces problèmes et les facteurs déterminants prévalant au Burkina Faso. Cette radicalisation est islamiste et voit le jour dans les mosquées urbaines et dans les campagnes. On signale également le prêche d’opinions extrémistes dans des zones rurales du sud et de l’est du pays. Il convient de prendre cette menace au sérieux, compte tenu du fait que 60,5 pour cent de la population du Burkina Faso est musulmane.

Troisièmement, bien qu’il n’y ait aucune preuve que des Burkinabè rejoignent des groupes extrémistes en grand nombre, la menace existe. Pour la plupart, il s’agit de jeunes Burkinabè qui ont étudié dans des pays arabes tels que l’Égypte, le Soudan et la Syrie. Ils retournent au Burkina Faso après avoir terminé leurs études, mais ils ne trouvent que peu d’opportunités d’emplois, en partie parce que l’administration publique n’est pas préparée à employer des locuteurs d’arabe puisque la langue officielle est le français. Récemment, certains de ces combattants étrangers ont été arrêtés par les services de sécurité burkinabè alors qu’ils préparaient une attaque en Côte d’Ivoire. En mai 2016, des responsables de sécurité maliens ont arrêté Boubacar Sawadogo, l’un des dirigeants du groupe Ansar Dine du Sud et originaire du Burkina Faso.

OUTILS DE LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME 

Le Burkina Faso ne dispose pas encore d’une stratégie de longue date et bien conçue pour contrecarrer l’extrémisme violent et lutter contre le terrorisme. Toutefois, il utilise divers outils et instruments — cinétiques et non cinétiques — pour la protection du pays. Lorsqu’il a été confronté à l’attaque récente à Ouagadougou, ces outils ont permis une réaction plus forte sur le plan de la sécurité.

Au niveau diplomatique, le pays fait partie de l’Union africaine et de la CEDEAO. Les Forces armées du Burkina Faso font partie de la Force en attente de la CEDEAO, et des exercices multilatéraux ont été organisés à ce titre. Par ailleurs, la coopération sur le plan militaire et de la sécurité avec les pays voisins est fondamentale et est spécifiquement mentionnée dans la politique de défense du Burkina Faso. Par conséquent, le pays a d’excellentes relations de coopération sur le plan militaire et de la sécurité avec les pays voisins au niveau stratégique et au niveau local.

Cette solide coopération en matière de sécurité a été démontrée lors de l’enquête sur les attaques terroristes perpétrées à Ouagadougou, à Bamako, au Mali et à Abidjan, en Côte d’Ivoire, grâce à d’efficaces échanges de renseignements qui ont abouti à l’arrestation de suspects dans les trois pays. La création du Groupe de cinq pays du Sahel, un regroupement politique de pays sahéliens comprenant le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger, ne fera que renforcer cette coopération. Cette initiative a permis l’amélioration de l’échange d’informations et la mise en place d’opérations frontalières conjointes. En outre, le Burkina Faso a renforcé sa coopération sur le plan militaire et de la sécurité avec des partenaires stratégiques tels que la France, Taïwan et les États-Unis. Cette coopération prend la forme de nouvelles bases étrangères, de formations, de programmes d’équipement et d’opérations conjointes.

Le pays a fait des progrès considérables sur le plan des mesures militaires et de sécurité prises contre le terrorisme depuis le début de la crise au Mali. L’armée du Burkina Faso faisait partie de la Mission internationale de soutien sous direction africaine au Mali, qui avait pour objectif de mettre un coup d’arrêt aux activités des groupes armés terroristes, criminels et insurgés et d’empêcher la dissémination de ces groupes vers les pays du sud. Actuellement, le Burkina Faso est le plus important contributeur de troupes au Mali, avec 1.742 soldats déployés, hormis les 140 policiers de la nouvelle unité déployée en juin 2016 à Gao. Par ailleurs, le Burkina Faso a déployé une force opérationnelle de lutte contre le terrorisme dans la région nord du pays, réussissant à contrecarrer une action offensive lancée contre le pays et contribuant à prendre en charge un nombre considérable de réfugiés — 33.000 étant soudainement arrivés après avoir fui le Mali. Avec l’appui des partenaires stratégiques, le Burkina Faso a mis en place plusieurs unités spéciales au sein de l’armée, de la gendarmerie et de la police. Elles ont amélioré leurs compétences en matière de sauvetage d’otages, de neutralisation des explosifs et d’enquêtes policières. Les contrôles policiers ont aussi été accrus dans les villes et sur les routes. Dans le cadre de la police de proximité, des initiatives locales de sécurité ont vu le jour, y compris avec la mise en place de groupes de vigilance locaux. Ces groupes, dont les membres ont des âges divers, ont contribué à avertir à temps les forces de sécurité.

Les forces spéciales de police du Burkina Faso effectuent des opérations de recherche après que des éléments armés liés à al-Qaida ont attaqué l’Hôtel Splendid en janvier 2016 à Ouagadougou.
AFP/GETTY IMAGES

Des réseaux de renseignement protègent efficacement le pays. Le fonctionnement de ces réseaux d’information a aidé les alliés à secourir des otages et à empêcher des actions terroristes. La libération du diplomate canadien Robert Fowler en 2008 et de la missionnaire suisse Beatrice Stockly en 2012 en sont des exemples. Le réseau de renseignement a de nouveau fait la preuve de son efficacité en 2014 sur le site où s’est écrasé un avion de ligne algérien dans le nord du Mali. La structure nationale du renseignement consiste en différents services au sein de l’armée, de la gendarmerie et de la police. Par ailleurs, le Burkina Faso a créé la Coordination du Renseignement Intérieur (CRI) en 2011 avec l’objectif de fusionner le renseignement intérieur, afin de permettre au ministère de la Sécurité d’être plus efficace. Le bureau du chef de l’État dirigeait le renseignement extérieur. La structure entière du renseignement était étroitement supervisée par le bureau de la présidence. Toutefois, l’instabilité politique au Burkina Faso, qui a entraîné le départ du président Compaoré, a eu une influence négative sur cette structure. Pour combler les lacunes et centraliser les cellules de renseignement, une Agence nationale du renseignement (ANR) a été récemment créée.

Sur le plan législatif et judiciaire, les responsables ont actualisé en décembre 2015 la loi antiterroriste de 2009 pour tenir compte des menaces croissantes. La nouvelle loi a élargi la définition des actes terroristes pour y inclure certains actes criminels dont l’objet est d’influencer le gouvernement et de répandre la peur au sein de la population, les actes commis en préparation d’une attaque terroriste, ainsi que les activités qui soutiennent le terrorisme. Parmi les autres modifications apportées à la loi figurent la prolongation des périodes de détention, l’utilisation de techniques d’enquête spéciales telles que la surveillance, ainsi que l’élimination des restrictions temporelles aux opérations de recherche impliquant des actes de terrorisme. Les responsables ont créé un tribunal spécial antiterroriste à Ouagadougou, mais il doit être rendu opérationnel. Dans le cadre de ce processus, des représentants du système judiciaire se sont rencontrés en mai 2016 pour mettre en place des juridictions spéciales antiterroristes.

L’économie joue un rôle vital pour contrecarrer l’extrémisme violent. Les dirigeants du pays ont exprimé leur volonté d’œuvrer à une distribution plus équitable de la richesse par le biais de programmes de développement. Une initiative notable à cet égard est le développement annuel d’un programme d’infrastructure qui coïncide avec la célébration annuelle du Jour de l’indépendance le 11 décembre. Ce programme, démarré en 2008, consiste en la reconnaissance des besoins des communautés locales par le gouvernement. Par exemple, le gouvernement prendra soin de consulter la population locale et de mettre en œuvre un nouveau projet de développement visant à réaliser les objectifs des communautés. Cette initiative a permis au gouvernement de développer des villes reculées et, ce faisant, d’atténuer les griefs des populations locales. En 2016, six villes avaient bénéficié de cette initiative. Parmi les autres projets de développement figurent l’emploi des jeunes, la production agricole et l’autonomisation des femmes.

Roch Marc Christian Kaboré, président du Burkina Faso, visite l’Hôtel Splendid de Ouagadougou après l’attaque. THE ASSOCIATED PRESS

L’histoire sociale du pays joue le rôle le plus important pour contrer l’extrémisme violent, et ce facteur doit être reconnu et renforcé. Le Burkina Faso connaît un environnement social pacifique basé sur la cohésion sociale et le dialogue. Les Burkinabè ne s’identifient pas eux-mêmes à travers la religion, la race ou la couleur, mais plutôt par l’appartenance ethnique. Heureusement, de nombreux outils de règlement des conflits existent entre les groupes ethniques. À titre d’exemple, deux de ces outils sont la culture de la plaisanterie et le rôle prédominant que jouent les notables. Cette culture de la plaisanterie permet à deux individus ou groupes de se livrer à des interactions verbales ou physiques inhabituellement libres. La pratique de la plaisanterie favorise l’atténuation des tensions ethniques. On respecte les notables, des personnes connues pour leur sagesse et exerçant traditionnellement une influence significative au sein de la société. Ces deux outils peuvent être utilisés pour renforcer la cohésion nationale. L’éducation doit être modernisée afin de renforcer l’identité nationale des « hommes intègres » et de revenir à la signification qu’elle avait pendant la période révolutionnaire des années 1980. Le Burkina Faso signifie en fait « le pays des hommes intègres ».

L’AVENIR

Le Burkina Faso a des frontières communes avec six nations, ce qui fait que la coopération est un facteur crucial pour sa survie et pour lutter contre le terrorisme. La coopération militaire et sur le plan de la sécurité existe déjà, mais chacun de ces volets doit être renforcé. En réalité, l’initiative du Groupe de cinq pays du Sahel peut être étendue à d’autres pays voisins, dont le Sénégal et le Nigeria — cette entité étant globalement la première ligne de défense contre la dissémination du terrorisme du nord au sud. Les responsables ont réalisé des améliorations significatives sur le plan militaire et sur celui de la sécurité depuis le commencement de cette initiative. Le Burkina Faso est plus susceptible de planifier et de diriger des opérations conjointes dans des domaines d’intérêt et de partager les informations avec d’autres pays du G5. À cet égard, le pays a développé des réseaux de communication ou a réactivé d’anciens réseaux au niveau stratégique et tactique. Des réunions de coordination trimestrielles et des réunions des responsables de la défense sont organisées à tour de rôle dans les capitales de ces pays. Il est particulièrement notable que les armées des pays du G5 s’entraînent désormais avec leurs homologues d’autres pays, renforçant de la sorte l’interopérabilité et la confiance. On ne saurait sous-estimer la contribution de partenaires stratégiques, laquelle doit être renforcée.

Les programmes éducatifs doivent inclure des programmes de sensibilisation à l’extrémisme violent et doivent renforcer un sens des valeurs humaines et des valeurs burkinabè, telles que la droiture, la lutte contre la corruption, l’assiduité au travail et la tolérance. Ils doivent également promouvoir l’histoire et la culture burkinabè. C’est dans cet esprit que le président de l’Assemblée nationale burkinabè, le Dr Salifou Diallo, a inauguré la conférence internationale sur la prévention de l’extrémisme violent organisée par l’Organisation de la jeunesse musulmane en Afrique de l’Ouest (OJEMAO) à Ouagadougou du 16 au 18 août 2016. Il a observé que l’éducation était une solution clé à l’extrémisme violent. Le travail effectué auprès des familles, en particulier avec les mères, s’est avéré efficace dans beaucoup d’endroits et il convient d’adopter cette pratique au Burkina Faso. Cela renforce les relations familiales et développe un sens de responsabilité commune. Pour résumer, les mères doivent prendre conscience de leur rôle dans l’édification d’une meilleure société où l’extrémisme ne peut pas prendre racine. Le département de la promotion des femmes est idéal pour diriger un tel projet. Les projets de développement doivent être renforcés. L’initiative déjà existante de célébrer le Jour de l’indépendance avec des programmes de développement doit être étendue aux localités reculées après avoir été mise en œuvre dans les 13 capitales régionales.

Lutter contre le terrorisme et contrecarrer l’extrémisme violent au Burkina Faso exige davantage que la coopération et une forte cohésion sociale. Cet effort nécessite un but unifié et un plan d’action exhaustif. En tirant parti des réformes en cours dans les secteurs de la sécurité et de la défense, une approche exhaustive pour lutter contre le terrorisme et contrecarrer l’extrémisme violent peut être consolidée. Cette stratégie doit inclure un organisme conjoint de lutte contre le terrorisme, aux côtés de parties prenantes allant des praticiens de la sécurité aux avocats, en passant par les organisations de la société civile et les dirigeants religieux et traditionnels. Cette institution aidera à impliquer les organismes gouvernementaux et la population dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme. Elle signalera à la population l’importance de ce combat et donnera aux citoyens l’assurance que le gouvernement prend des mesures. Cette stratégie doit être rendue publique afin que tout le monde soit inclus.

Bien que le Burkina Faso ne dispose pas encore d’une stratégie exhaustive et bien établie pour lutter contre le terrorisme et contrecarrer l’extrémisme violent, il a cependant recours à divers instruments qui se sont avérés efficaces. Toutefois, certains domaines nécessitent une attention soutenue. L’importance de la coopération est primordiale, car le terrorisme ne connaît pas de frontières. Les programmes de développement doivent être élargis, en mettant davantage l’accent sur la jeunesse du pays, qui constitue plus de la moitié de la population. Pour parvenir à la sécurité à long terme, il est nécessaire d’encourager la résilience à travers le renforcement de la cohésion sociale et de l’identité nationale burkinabè. Il est difficile, voire impossible, d’atteindre cet objectif sans une stratégie exhaustive dirigée par un organisme conjoint de lutte contre le terrorisme.

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