Alors que l’influence de la Chine augmente, la médecine traditionnelle chinoise joue un rôle de plus en plus important, mais ce n’est pas une bonne nouvelle pour les espèces menacées d’Afrique.
PERSONNEL D’ADF
La politique chinoise ambitieuse de la « Nouvelle route de la soie » est conçue pour faire rayonner l’influence du pays, depuis l’Asie du Sud-Est jusqu’à l’Europe et au-delà. Ce projet, élaboré par le président chinois Xi Jinping en 2013, prévoit un vaste réseau de voies ferrées, d’autoroutes et de pipelines de ressources énergétiques.
Le projet ne concerne pas seulement l’infrastructure. La Chine a aussi l’intention de faire connaître au monde entier sa culture, y compris la médecine chinoise traditionnelle (MCT). Cela va poser un problème pour les pays africains.
Le Conseil chinois des affaires de l’état projette de promouvoir la médecine chinoise traditionnelle en Afrique en établissant des hôpitaux, des musées, des écoles de médecine et des jardins botaniques, de façon à légitimer les traitements. Certains aspects de la MCT, notamment l’acupuncture et le tai-chi-chuan, se sont révélés fournir des techniques de détente utiles et offrir une alternative à l’aspirine pour soulager les petites douleurs. Mais la majeure partie de la MCT concerne des produits à base de plantes, des traitements et des potions qui n’ont pas fait leurs preuves et qui sont offerts au lieu des médicaments modernes prescrits par des médecins et cliniquement efficaces. En plus de la déception et de la frustration qui accompagnent inévitablement les échecs de la MCT alternative, les patients peuvent aussi souffrir d’autres effets secondaires qui aggravent leur condition.
Des recherches indiquent que certains médicaments MCT rendent les gens malades plutôt que de les guérir. Ils contiennent couramment de l’acide aristolochique, qui peut nuire à la fonction rénale et provoquer le cancer des voies urinaires.
En outre, la MCT promet souvent des cures grâce à l’utilisation de produits d’origine animale, notamment les écailles de pangolin, les cornes de rhinocéros, les ailerons de requin et les parties du corps des tigres. De tels produits sont invariablement inefficaces, mais à mesure que la MCT se propage, il en est de même pour la demande liée aux animaux menacés.
« Les études ont montré que les ingrédients des remèdes à base de plantes sont parfois mal étiquetés et peuvent contenir des extraits provenant d’animaux menacés ou de plantes toxiques au lieu des ingrédients annoncés », selon un rapport de News-Medical.net. « Étant donné l’ampleur de l’utilisation de la MCT et l’étendue de ce commerce, ces ingrédients indésirables peuvent affecter un grand nombre de patients et pourraient avoir des effets graves sur les écosystèmes d’origine. »
Au cours des trois premiers mois de 2019, les autorités du territoire chinois de Hong Kong ont saisi des quantités record d’espèces menacées, notamment 8,3 tonnes d’écailles provenant de près de 14.000 pangolins, et des cornes de rhinocéros d’une valeur de plus de 1 million de dollars, la plus grande quantité jamais confisquée sur le territoire. Selon un reportage de Reuters, Hong Kong est l’un des principaux points de transit du monde pour le trafic des animaux sauvages, en fournissant à la Chine continentale et à d’autres régions d’Asie des parties de carcasses d’animaux.
Le groupe de conservation ADM Capital Foundation déclare que la MCT est à l’origine de plus de 75 % du commerce de produits d’animaux sauvages menacés au cours des cinq dernières années à Hong Kong.
« Beaucoup d’espèces parmi les plus menacées de la planète sont aujourd’hui en péril à cause de la demande chinoise », déclare Chris Shepherd de Monitor, groupe qui œuvre pour réduire le commerce illégal de la faune sauvage. Il a déclaré au New York Times que « la Chine doit devenir un chef de file dans la lutte contre le commerce illégal de la faune sauvage, sinon l’avenir ne sera pas beau à voir ».
UN COMMERCE EN PLEINE CROISSANCE
L’Organisation mondiale de la santé déclare que l’industrie de la MCT a un chiffre d’affaires annuel de 60 milliards de dollars, somme qui est anticipée augmenter d’environ 11 % chaque année. Ceci est une aubaine pour la Chine, qui cherche à promouvoir cette nouvelle industrie et utiliser l’infrastructure construite dans le cadre de la Nouvelle route de la soie pour l’approvisionnement de ses produits MCT.
Bien que beaucoup de praticiens de la MCT aient condamné l’emploi des produits provenant d’animaux menacés, de tels produits sont toujours populaires en Chine et dans le reste de l’Asie du Sud-Est, où ils sont vendus aux patients avec des allégations fallacieuses selon lesquelles ils peuvent guérir tous les maux, depuis l’épilepsie jusqu’à l’impotence et au cancer. On compte notamment :
Les os de tigre, utilisés pour traiter l’arthrite et les problèmes d’articulation.
Les cornes de rhinocéros pour traiter la fièvre, les convulsions et la confusion mentale.
La bile d’ours pour traiter les problèmes du foie et les maux de tête. Les ours donneurs sont souvent placés dans des cages et sont sujets à des conditions intolérables. Certains sont munis de cathéters installés en permanence pour extraire la bile.
Les écailles de pangolin et d’autres parties du corps de l’animal, utilisées pour traiter « la nervosité excessive et les pleurs hystériques des enfants, des femmes possédées par des démons et des ogres, le paludisme et la surdité », déclare l’International Journal of Science.
Les hippocampes séchés pour traiter les maladies rénales, les problèmes circulatoires et l’impotence. Le groupe Advocacy for Animals déclare que 32 pays et régions contribuent à la récolte de 20 millions d’hippocampes chaque année, mais que la production ne satisfait pas à la demande mondiale. Au cours des dernières années, la demande chinoise à elle seule était de 200 à 250 tonnes par an pour ces petites créatures.
Bien que la Chine ait interdit les cornes de rhinocéros, le pays n’interdit pas l’emploi d’autres produits d’animaux dans les médicaments. Les produits fabriqués à partir des écailles de pangolin et des cornes d’antilope sont utilisés légalement dans la médecine chinoise. Selon un reportage de Reuters, deux entreprises chinoises, Kangmei Pharmaceutical et Tong Ren Tang, ont reçu des permis d’état pour fabriquer des médicaments utilisant ces écailles et ces cornes.
Gui Zhen Tang, propriétaire d’un centre d’élevage d’ours dans le Sud de la Chine, a renoncé au projet d’expansion de sa production de bile d’ours en 2013 à la suite des protestations des défenseurs des droits des animaux et des organisations non gouvernementales (ONG). Mais il a toujours un permis d’état pour extraire la bile d’ours.
L’ANIMAL LE PLUS BRACONNÉ
Il n’existe aucune base scientifique selon laquelle les écailles de pangolin auraient une valeur médicinale quelconque, mais cette petite créature inoffensive est aujourd’hui l’animal le plus braconné au monde. Il existe huit espèces de pangolins. Quatre se trouvent en Asie et l’Union internationale pour la conservation de la nature indique qu’elles sont en danger de disparition. Elle déclare que les quatre espèces africaines (pangolin de Temminck, pangolin géant, pangolin à petites écailles et pangolin à longue queue) figurent sur la liste des animaux vulnérables. En 2016, les 186 pays participant à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction ont voté l’interdiction du commerce des pangolins.
Ceci n’a pas arrêté la contrebande de ces animaux. La demande de la Chine et de l’Asie du Sud-Est pour les écailles et la viande du pangolin a seulement provoqué une augmentation de son coût.
En avril 2019, les douaniers de Singapour inspectent un conteneur d’expédition soi-disant rempli de viande de bœuf congelée originaire du Nigeria. Au lieu de ça, selon un reportage de New Economy Forum, ils découvrent près de 13 tonnes d’écailles de pangolin, d’une valeur de 39 millions de dollars. Moins d’une semaine plus tard, ils découvrent une quantité similaire cachée dans un conteneur dont l’étiquette précise qu’il contient des graines de cassia. En tout, les braconniers ont massacré 72.000 pangolins pour produire ces quantités.
Les pangolins ont un point en commun avec les rhinocéros : leurs écailles sont en kératine, substance que l’on retrouve dans les cornes de rhinocéros et les ongles et cheveux des humains. La consommation des produits à base d’écailles de pangolin est un remède aussi efficace que si on se rognait les ongles. National Geographic déclare que les écailles sont en général séchées et pulvérisées pour les transformer en comprimés.
Bloomberg News Service signale que le réseau des pangolins s’étend depuis les braconniers d’Afrique centrale et les contrebandiers du Nigeria jusqu’aux intermédiaires d’Asie et aux consommateurs de Chine et du Viêt-Nam. On pense que le Cameroun, la République centrafricaine et la République démocratique du Congo sont parmi les principaux pays africains d’approvisionnement.
Les pangolins ne sont pas une espèce qui peut se régénérer facilement. Les femelles des espèces africaines donnent en général naissance à un seul petit (les pangolins asiatiques peuvent en avoir entre un et trois) et le petit nécessite deux ans pour devenir adulte et quitter sa mère.
Il existe un nombre surprenant de pangolins qui sont vendus vivants, surtout en Asie du Sud-Est où ils sont mangés. Ceux qui mangent du pangolin préfèrent la viande fraîche, ce qui exige que des animaux vivants soient expédiés. Les animaux sont faciles à charger dans des caisses et des sacs car, lorsqu’ils sont capturés, ils forment une boule compacte pour se défendre. Les pangolins vivants arrivent à leur destination dans des conditions horribles : ils sont confinés dans un petit espace et couverts de leurs propres déchets. Si les autorités récupèrent les animaux braconnés, ceux-ci sont souvent dans un état lamentable et nécessitent des soins médicaux considérables.
En Afrique du Sud, la vétérinaire Karin Lourens est appelée le « médecin africain des pangolins » pour ses efforts concernant les pangolins de Temminck sauvés des contrebandiers. Il semble être plus difficile de prendre soin des animaux africains que de leurs cousins asiatiques.
« Nous avons très peu d’information sur le pangolin terrestre de Temminck » déclare le Dr Lourens à Voice of America. « Cela fait très longtemps qu’ils subissent cette épidémie de braconnage en Asie. Ils ont donc eu beaucoup de temps pour conduire des recherches sur leurs animaux. Nous en recevons un à la fois, mais les pangolins asiatiques en captivité mangent leur nourriture dans un bol. Les nôtres ne le font pas. Il faut les amener dans leur environnement naturel et presque les suivre pour qu’ils se nourrissent. »
UNE POLITIQUE CONFLICTUELLE
D’une certaine façon, la Chine semble coopérer avec les efforts mondiaux visant à mettre fin au braconnage des pangolins. En 2017, les douaniers chinois ont saisi 13 tonnes d’écailles de pangolin importées illégalement. Mais le gouvernement chinois n’a pas interdit l’emploi des écailles.
L’ONG China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation [Fondation chinoise pour la conservation de la biodiversité et le développement vert] note que plus de 200 sociétés pharmaceutiques chinoises produisent environ 60 marques de médicaments traditionnels qui emploient des écailles de pangolin. La fondation déclare que la Chine autorise les sociétés à utiliser 29 tonnes d’écailles par an, du moment qu’elles sont acquises légalement. Pour produire autant d’écailles, il faut abattre 73.000 pangolins.
La fondation note aussi que, lorsque des équipes furent envoyées dans les provinces du Sud de la Chine pour conduire une enquête sur le commerce du marché noir des écailles de pangolin, elles découvrirent des restaurants qui servaient de la viande de pangolin.
Le marché chinois des pangolins menace d’extinction les races indiennes. Le Fonds mondial pour la nature (WWF) déclare que la population des pangolins indiens a baissé de 80 % entre 2013 et 2018.
Pour protéger les pangolins et les autres espèces offertes sur les marchés noirs asiatiques, le WWF élabore des campagnes visant à réduire la demande des produits illégaux dérivés de la faune sauvage en Chine et dans d’autres pays de l’Asie du Sud-Est. Le groupe fait aussi pression pour réclamer « des lois nationales plus efficaces et des programmes anti-braconnage, mesures nécessaires pour interdire la mise en vente de ces animaux sur les marchés et pour qu’ils restent dans la nature, là où ils devraient être. »
Si rien n’est fait, les pangolins indiens disparaîtront et les braconniers se concentreront sans aucun doute sur les pangolins africains.
Une histoire de la médecine chinoise traditionnelle
PERSONNEL D’ADF
La médecine chinoise traditionnelle, appelée aussi MCT, est un système de soins de santé remontant au troisième siècle av. J.-C.
Il a été développé à partir des textes des anciens guérisseurs, qui avaient commencé à prendre des notes de leurs observations du corps, de ses fonctions et de ses réactions à divers traitements et thérapies, notamment aux remèdes à base de plantes, aux exercices, aux massages et à l’acupuncture.
« Pendant plus de 2.000 ans, des générations de guérisseurs et de chercheurs ont développé et affiné ces connaissances », selon un rapport du magazine National Geographic. « Le résultat est une collection de livres traitant de presque tous les problèmes de santé, depuis le rhume jusqu’au cancer, à la grossesse et à la vieillesse. »
L’intérêt de la Chine pour utiliser des parties d’animaux qui figurent aujourd’hui sur les listes d’espèces menacées remonte aux débuts de la MCT. Le fait que ces animaux, notamment le rhinocéros et le tigre, soient rares signifiait que seuls les plus riches Chinois pouvaient les acheter, y compris les personnes de sang royal. Cela n’a fait qu’augmenter la valeur des médicaments aux yeux de la population qui ne pouvait pas les acheter, perception qui persiste aujourd’hui.
On estime que la MCT s’est répandue dans 180 pays. Toutefois, les praticiens occidentaux de la MCT considèrent l’emploi des animaux menacés comme du charlatanisme pur et simple.
La Chine a tenté à diverses reprises de réduire la demande pour les animaux rares. La Chine a signé la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction en 1981 mais, comme l’écrit Adam Minter de Bloomberg News, le pays possédait toujours en 1986 116 usines produisant du vin fabriqué avec des parties du corps des tigres.
En 1993, la Chine interdit la vente, l’achat, l’importation et l’exportation des os de tigre et des cornes de rhinocéros, mais cette interdiction pousse simplement le commerce de ces espèces menacées dans la clandestinité.
Aujourd’hui, la Chine peut être décrite comme un pays avec « deux systèmes médicaux », parce qu’elle a approuvée, en plus de la MCT, des traitements médicaux basés seulement sur la science.