PERSONNEL D’ADF
Ujour du mois d’août dans le village de Gossi (Mali), un groupe s’est réuni pour célébrer l’ouverture d’un nouvel immeuble pour l’association locale des femmes. Cette humble structure en argile était une rare lueur d’espoir pour cette ville du désert d’environ 8.000 habitants, qui avait vécu des années de violence.
« Après les heures noires traversées par les habitants de Gossi, nous félicitons ces femmes pour leur approche », a déclaré le lieutenant Yacouba de la Garde nationale malienne pendant la cérémonie.
L’association des femmes, qui compte environ 250 membres, est un pilier de stabilité pour la ville. Avant la crise de 2012 au Mali, l’association gérait un moulin à vent pour meuler la graine de coton et produire de l’huile de cuisine. La vente de l’huile soutenait de nombreuses familles. Mais les attaques répétées des extrémistes ont endommagé le moulin et l’édifice de l’association des femmes. Plus tragique encore, un grand nombre de femmes ont perdu leur mari dans le conflit.
Lorsque l’association a tendu le bras aux Forces armées françaises et maliennes (FAMa) pour obtenir de l’aide dans le but de reconstruire l’association et un centre de garde d’enfants, afin de permettre aux femmes de travailler pendant la journée, les équipes civilo-militaires ont accepté avec empressement.
« Avant que les FAMa et Barkhane ne viennent ici, tout le monde avait tellement peur qu’ils restaient chez eux », déclare Mme Dicko, présidente de l’association des femmes. « La plupart des femmes de Gossi sont devenues veuves et beaucoup d’enfants sont orphelins. Mais aujourd’hui nous nous sentons en sécurité parce qu’ils sont ici devant nous. Nous pouvons sortir, aller au marché et même aller nous promener pendant la nuit. Avant, cela aurait été impossible. »
Alors que les attaques par les extrémistes prolifèrent dans cette région tourmentée, les forces françaises et maliennes s’efforcent de mettre en place une stratégie pour regagner le soutien de la population locale qui a été si terriblement malmenée par des années de conflit. En 2019, les forces de Barkhane et du Mali ont mis en œuvre plus de 75 projets civilo-militaires, y compris le forage des puits d’eau, l’offre de soutien aux pastoraux et la construction des écoles. Près de la moitié de ces projets ont été conduits dans la région du Liptako-Gourma, qui inclut Gossi et qui se trouve près de la frontière avec le Niger et le Burkina Faso.
On espère que cette stratégie civilo-militaire fera autant que les efforts militaires de frappe pour améliorer la vie et conduire à une paix durable.
« Vous participez à la reconstruction du pays ; assurez-vous que la solidarité malienne ne soit jamais rompue », a déclaré le lieutenant Yacouba à la foule rassemblée à Gossi. « Nous vous donnons les clés de ces immeubles pour que vous puissiez assurer le développement de ce projet. Nous sommes avec vous. »
La confiance ébranlée
Le gouvernement du Mali s’était presque effondré en 2012 à la suite d’une rébellion dans le Nord, d’une tentative de coup d’état et de l’occupation de 60 % du territoire par une coalition de Touaregs ethniques et d’extrémistes violents.
La confiance dans le secteur de la sécurité, qui était toujours douteuse, était devenue plus basse que jamais. Les accusations d’abus des droits humains, de corruption et de népotisme ternirent l’image des professionnels de la sécurité, y compris les FAMa, les gendarmes, la garde nationale et la police.
Pendant la crise, les récits concernant les soldats mal équipés qui abandonnaient leur position et les plaintes selon lesquelles les patrouilles n’avaient pas suffisamment de carburant pour leur camion ont fait empirer les choses.
« Lorsque je constate le niveau de mon armée, j’ai peur », a déclaré le ministre malien de la Défense Ibrahima Dahirou Dembélé lors d’une allocution au parlement. « Je veux atteindre le niveau des autres armées, et le moment est venu pour que le Mali prenne les choses en main. »
Un autre facteur de complexité est le fait que la majorité du soulèvement s’est produite dans le Nord du pays, alors que les FAMa étaient constituées principalement de soldats du Sud. Lors d’une étude des efforts déployés pour réformer les FAMa, le chercheur Marc-André Boisvert déclare que les forces armées ont besoin d’apprendre « la langue, la culture et les réalités quotidiennes » de la population qu’elles avaient juré de protéger.
« Les FAMa restent un corps éloigné de leur propre territoire, écrit M. Boisvert. Les soldats en provenance du Sud ne connaissent pas les populations locales du Nord. »
Pour protéger le public, les forces armées devaient d’abord gagner leur confiance.
La CIMIC
Les projets de coopération civilo-militaire (CIMIC) font partie d’une vaste catégorie qui peut inclure les travaux d’infrastructure, l’aide humanitaire, le dialogue communautaire et plus encore. Les meilleurs projets CIMIC ont un impact en « 3D », ce qui veut dire qu’ils aident à soutenir la défense, le développement et la diplomatie.
En plus d’aider à améliorer la vie de ceux qui se trouvent dans les zones qui émergent d’un conflit, ils peuvent obtenir des « dividendes de paix » en montrant à la communauté les avantages économiques de la stabilité. Les projets améliorent la réputation des forces armées et peuvent souvent ouvrir des voies de communication entre les soldats et les civils. Les projets CIMIC sapent aussi le soutien aux insurrections dans les situations où les combattants reçoivent de l’aide ou sont impliqués dans la communauté.
Le Centre d’excellence CIMIC de l’OTAN conseille vivement aux professionnels de poser des questions avant de s’engager dans un projet. Ces questions incluent :
Ce projet fait-il du mal ? Certains projets peuvent conduire à la concurrence, la jalousie ou les préjugés dans une communauté.
Comment ce projet affectera-t-il les autres communautés ? Certains projets peuvent nuire aux relations intercommunautaires en donnant un avantage inéquitable à l’une aux dépens de l’autre.
Qui bénéficiera le plus du projet ? Certains projets profitent seulement à certains groupes, par exemple les hommes, les femmes, les enfants ou les personnes âgées. D’autres peuvent profiter à seulement une certaine classe sociale, une religion ou un groupe ethnique.
Les ressources sont-elles sécurisées ? Le projet risque-t-il d’être dérobé ou détruit par des acteurs malveillants ?
Y a-t-il quelqu’un d’autre dans la région qui fait quelque chose de semblable ? Les projets qui font concurrence aux entreprises locales ou qui les déplacent peuvent avoir des effets négatifs non anticipés.
Une image en voie de rétablissement
En 2019, l’Opération Barkhane de la France a ouvert une base à Gossi. Il était prévu qu’elle soit une « base temporaire avancée » permettant de lancer des missions contre les extrémistes dans la région volatile du Liptako-Gourma. La région des trois frontières est devenue l’une des plus mortelles du monde. En 2019, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont enregistré 4.779 décès dus à la violence extrémiste ou au conflit armé. La plupart se sont produits dans la région des trois frontières.
Les forces maliennes et françaises savaient que, pour restaurer la sécurité, il faudrait prioriser la CIMIC.
« L’objectif consiste à essayer de restaurer la paix, non pas par le combat mais par les projets sociaux et structurels », déclare le lieutenant Émilie, spécialiste CIMIC auprès des Forces armées françaises. « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que nous pouvons accomplir cela ensemble. »
Gossi est fortement dépendante d’un lac d’une longueur de 14 kilomètres qui est vital pour la pêche, le pâturage et l’irrigation. La mission de maintien de la paix de l’ONU au Mali a construit une digue pour empêcher l’assèchement du lac. Les équipes de Barkhane et des FAMa ont investi des fonds pour exploiter un petit navire permettant de transporter les écoliers de l’autre côté du lac, afin qu’ils puissent se rendre à l’école. L’équipe CIMIC a aussi organisé des « journées de propreté » où les soldats et les civils ramassent les ordures et nettoient les rues. Finalement, l’équipe CIMIC a remis un puits en service et a construit un mur autour d’une école primaire.
« Depuis notre arrivée, nous avons mis l’accent sur l’eau, l’éducation et l’emploi », déclare l’adjudant Pierre, chef de la CIMIC pour l’Opération Barkhane à Gossi. « L’oisiveté est un terrain fertile qui conduit au banditisme. »
Jusqu’à présent, il est impossible de juger de l’impact qu’ont ces efforts, mais des données récentes indiquent une augmentation du soutien public pour l’armée malienne. Un sondage de la fondation allemande Friedrich-Ebert a montré que 69 % des Maliens déclarent qu’ils font confiance aux FAMa pour leur sécurité. C’est le taux de favorabilité le plus élevé de tout organisme de sécurité dans le pays.
En février 2020, le Dr Boubou Cissé, Premier ministre du Mali, a passé plusieurs jours à visiter les villes du Nord du pays et a annoncé des plans pour recruter 10.000 nouveaux membres des FAMa.
« Grâce à ce voyage, j’emporte avec moi la détermination et la résilience de la population qui affronte une crise, a-t-il déclaré. Malgré ces difficultés quotidiennes, ils gardent leur espoir dans le Mali et dans les autorités. En retour, nous allons leur montrer que les autorités sont à leurs côtés. »