Personnel d’ADF
Les navires qui pêchent illégalement adoptent fréquemment la tactique consistant à se placer hors des eaux protégées d’un pays pendant la journée et d’y entrer à la tombée de la nuit.
Les navires d’une capacité de 300 tonnes ou plus sont requis d’avoir un système d’identification automatique (SIA).
Lorsqu’un navire éteint son SIA, c’est un grand signal d’alarme.
Mais l’envoi d’un vaisseau patrouilleur chaque fois que cela se produit est difficile. Le survol par hélicoptère ou avion pourrait être trop onéreux. Les conditions météo pourraient être trop dangereuses pour risquer des vies.
La plupart des pays côtiers du continent ont des capacités de patrouille limitées et beaucoup manquent totalement de ressources aéro-maritimes, selon le chercheur Denys Reva de l’Institut pour les études de sécurité basé en Afrique du Sud.
Il déclare à ADF : « Un drone peut assumer cette fonction, en tant que solution assez économique, en particulier avec le type correct d’équipement embarqué. Le simple fait de posséder cette capacité peut servir de dissuasion et réduire les activités illégales. »
De plus en plus de pays africains emploient des systèmes aériens sans humain à bord, ou drones, pour relever tout un éventail de défis liés à la sécurité maritime : surveillance, contrôle des frontières, sécurité des ports et des côtes, recherche et sauvetage, patrouilles maritimes et inspections des navires et des cargaisons.
La défense contre la piraterie et le terrorisme est devenue le plus grand enjeu de la sécurité côtière.
Des ressources naturelles non sécurisées sont présentes en quantité abondante juste au large des côtes du continent, comme l’ont écrit le commandant Chris Rawley et le capitaine de corvette Cedric Patmon, officiers de la Marine américaine, dans un article de 2018 pour le Centre pour la sécurité maritime internationale :
« L’économie maritime de l’Afrique sera absolument cruciale pour la croissance et la prospérité du continent au cours des prochaines décennies. En bordure de l’Atlantique Est, le golfe de Guinée est partagé entre huit pays d’Afrique de l’Ouest. C’est un vecteur économique extrêmement important. »
« Plus de 450 millions d’Africains obtiennent un bénéfice commercial de cette étendue d’eau. La région contient des réserves pétrolières prouvées de 50,4 milliards de barils et a produit jusqu’à 5,5 millions de barils de pétrole par jour. En outre, plus de 90 % des importations et exportations étrangères traversent le golfe de Guinée, ce qui en fait le premier connecteur de la région avec l’économie mondiale. »
Davantage de pays doivent investir dans la sécurité maritime, déclare M. Reva, mais l’Afrique souffre de ce qu’il appelle la « cécité marine ».
« Le secteur maritime en Afrique a été historiquement négligé, ce qui a conduit au sous-développement, dit-il. Cette tendance a changé quelque peu au cours des dernières années mais de nombreux états africains n’ont pas, jusqu’à aujourd’hui, les capacités et les aptitudes de sécurité maritime en place, même les plus basiques, pour répondre à l’insécurité maritime, et encore moins la possibilité d’investir des millions de dollars pour acheter des drones et l’équipement associé. »
Un état insulaire au premier rang
Les Seychelles donnent un exemple du changement d’approche en Afrique pour la protection des eaux territoriales.
Elles forment un archipel de 115 îles dans l’océan Indien occidental à environ 1.100 km au Nord-Est de Madagascar, et elles ont une zone économique exclusive (ZEE) de 1,3 million de kilomètres carrés.
Jusqu’à ce que le pays achète récemment huit drones, la pêche illégale y était généralisée.
L’autorité de pêche du pays a acheté deux drones à grand rayon d’action équipés de l’intelligence artificielle en 2021. En 2022, la Garde côtière des Seychelles a acquis deux drones quadrirotors compacts auprès du Royaume-Uni, de concert avec l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime.
« Bien que la menace de piraterie dans l’océan Indien occidental se soit résorbée, nous avons pris de plus en plus conscience des défis posés par la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), le trafic des personnes et des armes et le trafic des stupéfiants illicites, peut-être ce qui est le plus préjudiciable pour les Seychelles », a déclaré le Haut-Commissaire britannique Patrick Lynch lors d’une cérémonie le 15 février 2022.
L’immensité de l’océan autour de l’Afrique fait des drones un complément excellent aux ressources disponibles, expliquent le commandant Rawley et le capitaine Patmon. Ils soulignent aussi le golfe de Guinée, où la pêche illégale fait perdre aux économies de la région 2 ou 3 milliards de dollars par an.
Ils écrivent : « La clé de la mise en application des lois est la capacité d’identifier, traquer et poursuivre en justice les acteurs malveillants en haute mer et dans les zones côtières. Ce que l’on appelle la sensibilisation au domaine maritime augmente dans la région mais les options actuelles de surveillance maritime sont limitées. »
« Les marines locales les plus vastes ont des navires patrouilleurs en haute mer capables de conduire des opérations transhorizon de plusieurs jours, mais même ces vaisseaux possèdent une capacité policière limitée. Les patrouilleurs font face à des problèmes de maintenance et au manque de carburant. Les systèmes radars basés sur le littoral ont une portée maximale de 30 à 40 milles marins mais ils sont en proie à des problèmes d‘alimentation électrique et de maintenance. »
Les Seychelles ont plusieurs bateaux patrouilleurs mais seulement un ou deux avions qui peuvent conduire des vols de reconnaissance ou de surveillance.
Les experts déclarent que de nombreux pays feraient bien de suivre l’exemple des Seychelles : explorer l’emploi des drones pour combattre la pêche illégale, puis étendre leur utilisation vers d’autres applications de sécurité maritime.
« Bien qu’il soit important d’adresser la pêche INN, déclare M. Reva, les questions telles que le terrorisme maritime et les mouvements des terroristes, la piraterie et le trafic des stupéfiants sont considérées comme fortement prioritaires en termes de sécurité. Jusqu’à une époque relativement récente, les pays africains ne prenaient même pas la pêche INN au sérieux, et perdaient sans le savoir des millions de dollars de revenu. Aujourd’hui, on semble la traiter toujours comme une question “secondaire”.
Toutefois, les pays qui développent leur capacité pour faire face aux questions “primaires” de sécurité maritime peuvent ensuite employer l’équipement existant pour affronter les problèmes additionnels tels que la pêche INN. »
L’emploi des drones maritimes en Afrique peut aussi inclure :
Anti-piraterie et lutte contre le terrorisme
Au cours des années récentes, une partie de l’océan Atlantique en bordure d’environ vingt pays d’Afrique de l’Ouest est devenue bien connue sous le nom de « l’allée des pirates ».
C’est une zone de plus de 2,35 millions de kilomètres carrés où se produit actuellement la quasi-totalité des enlèvements mondiaux en mer. Les pirates ont perpétré un nombre record de 130 enlèvements de marins en 2020, comparé à 5 dans le reste du monde.
Les drones faisaient partie d’une initiative nigériane de 195 millions de dollars appelée « Deep Blue ». Ce projet, qui est la première stratégie intégrée de sécurité maritime en Afrique de l’Ouest et Afrique centrale, vise à faire face à la piraterie, au vol et aux autres crimes maritimes.
Observation et inspection en mer
Le trafic des stupéfiants, des êtres humains et des produits de faune sauvage est un problème constant dans les eaux africaines.
De nombreux pays sous-traitent efficacement la sécurité maritime à des missions navales étrangères, déclare Denys Reva, en notant aussi les rôles importants joués par les acteurs internationaux et les opérations régionales de sécurité maritime.
« Ils conduisent de vastes patrouilles navales anti-narcotiques dans les eaux internationales, dit-il. Ceci fait baisser un peu la pression sur les pays africains qui peuvent concentrer leurs investissements dans certains secteurs tout en dépendant de la coopération avec des partenaires internationaux dans d’autres. »
Il déclare que les drones représentent une autre méthode économique de renforcer l’application de la loi.
Surveillance
La détection des menaces en haute mer peut ressembler à la recherche d’une aiguille dans un champ plein de bottes de foin.
Les drones lancés depuis la terre ou sur un navire, équipés de système de vision nocturne, infrarouge ou de caméra thermique, peuvent améliorer les capacités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance d’un pays sur ses eaux.
La Marine des États-Unis emploie des drones pour protéger ses biens. Elle déploie le MQ-4C Triton pour assurer une surveillance maritime presque continuelle autour des bases navales clés.
Parmi ses nombreuses missions, l’Agence européenne pour la sécurité maritime déploie des drones pour aider à contrôler les frontières.
Recherche et sauvetage
Les drones ont prouvé qu’ils améliorent considérablement l’efficacité des missions de recherche et sauvetage, en particulier en mer.
Un drone équipé d’un système de détection visuelle et télémétrie (VIDAR) peut localiser des centaines d’objets grands et petits en mer.
Des drones employant VIDAR ont pu identifier des objets tels que des embarcations personnelles stationnaires et des bouées à des distances jusqu’à 9 km.
Des défis à relever
Ian Ralby, expert en sécurité maritime qui a longuement écrit sur les questions de pêche, déclare que les pays font face à plusieurs obstacles pour déployer des drones.
Ils sont difficiles à maintenir dans les climats tropicaux. Il peut être difficile de déployer des drones plus petits suffisamment longtemps pour assurer une surveillance adéquate. Certains drones ont un rayon d’action maximum de 22 km, ce qui rend difficile la couverture de la ZEE d’un pays.
« Même si tout fonctionne bien, si le drone est en bon état d’entretien et couvre la zone nécessaire, vous affrontez le problème selon lequel certains états pourraient ne pas admettre les preuves [INN] fournies par les drones », déclare le Dr Ralby à ADF.
Mais il pense que les drones peuvent être utiles pour combattre la pêche INN et les autres crimes maritimes en Afrique.
« Il est probable que nous les verrons davantage au cours des prochaines années », déclare-t-il.