Le leadership et l’idéologie des insurgés demeurent un mystère alors que la violence persiste
PERSONNEL D’ADF
Le groupe est connu sous plusieurs noms, y compris celui qui évoque l’horreur et le danger du groupe d’insurgés d’origine somalienne. Le nombre de ses adhérents est incertain. Il ne semble pas que son leadership soit lié à une seule personne. Même son idéologie centrale reste vague.
Mais le groupe attaque les cibles civiles et gouvernementales avec létalité et férocité ; il embusque les forces de sécurité et massacre les hommes, les femmes et les enfants avant de brûler complètement les maisons.
En septembre 2018, ces extrémistes ont tué 12 villageois et blessé 14 de plus dans le village de Paqueue au Nord du Mozambique, selon la déclaration faite à l’Agence France-Presse par un habitant local. « Dix des tués ont été abattus par des armes à feu et deux ont été brûlés (à mort) après la mise à feu de 55 maisons, a-t-il déclaré. Une personne a été décapitée après avoir été tuée par balle. »
Certains rapports indiquent que le groupe commença sa militarisation dès 2015, dans la province de Cabo Delgado du Mozambique, déclare James Wholley du Centre Afrique de l’Atlantic Council. À l’époque, les jeunes Mozambicains étaient envoyés dans d’autres pays pour étudier l’Islam et participaient à des camps d’entraînement armés avant de revenir. Des Tanzaniens ont aussi pu y participer. Le groupe commença à consolider sa base et à attaquer la structure régionale du pouvoir.
La première attaque majeure s’est produite le 5 octobre 2017 lorsque 30 à 40 membres du groupe islamiste militant ont attaqué des postes de police, des résidents et des responsables du gouvernement à Mocímboa da Praia, ville de la province de Cabo Delgado.
« C’est évidemment un événement ou un point d’inflexion lorsque l’insurrection annonce une sorte de métastase, quelque chose qui pourrait être défini comme une insurrection et non pas un simple mouvement », déclare M. Wholley à ADF.
L’analyse montre que le Nord du Mozambique possède un grand nombre d’ingrédients qui permettent la propagation des troubles sociaux et de la violence. FocusEconomics l’a classé comme étant le deuxième pays le plus pauvre du monde. La population mwani du pays, concentrée le long de la côte Nord, est constituée de musulmans qui se sentent marginalisés par le gouvernement. La région est connue pour ses entreprises criminelles de trafic de pierres précieuses, de bois de charpente, de stupéfiants, d’ivoire et d’êtres humains. Une nouvelle industrie extractive en plein essor a attiré de grandes sociétés dans la région, ce qui a fait augmenter la tension parmi les habitants. Pourtant, il manque une raison particulière et claire pour cette violence.
En fait et pour le moment, le mouvement et ses adhérents se distinguent principalement par le mystère qui les entoure. Ils ne revendiquent pas ces attaques et ne diffusent pas publiquement d’idéologie cohérente. Ils sont ainsi différents des insurrections comme celles de Boko Haram au Nigeria ou d’al-Shebab en Somalie.
« Alors que le militantisme islamiste continue à se propager en Afrique, il dépasse les pays sensibles », écrivent le Dr Benjamin P. Nickels et M. Paulo Araujo du Centre africain pour les études stratégiques (ACSS) pour le Wilson Center en octobre 2018. « L’extrémisme violent atteint désormais les communautés musulmanes périphériques qui constituent un petit pourcentage de la population nationale et qui sont des acteurs politiques secondaires, auxquels le gouvernement central pense après coup. »
UNE MENACE SANS NOM
M. Wholley a compilé un rapport exhaustif de cette menace émergente au Mozambique en 2018. Il y décrit ce que l’on sait du groupe, les noms qu’il utilise, son leadership et une liste d’attaques et de violences qui peuvent lui être attribuées.
Le groupe a été connu sous plusieurs noms :
• Ahlu Sunnah wa-Jama est traduit approximativement par « Les traditionalistes » ou « Les partisans de la sunna et de la mosquée ». Un ancien groupe terroriste irakien et une milice somalienne modérée ont aussi utilisé ce nom.
• Swahili Sunnah, qui pourrait être traduit par « Les partisans swahilis de la sunna » ou « La coutume ou le chemin swahili », correspond aux Mwanis de la côte et aux autres personnes parlant le swahili. Il permet de les distinguer des autres groupes vivant dans l’intérieur du Mozambique et du gouvernement au Sud.
• Al-Shebab, nom identique à celui du groupe d’insurgés somaliens, apparaît dans les médias et les rapports du gouvernement mais rien n’indique que les membres du groupe utilisent ce nom. En outre, il n’existe pas de lien connu avec le groupe somalien.
• Ansar al-Sunnah est une référence précoce au groupe et pourrait indiquer un lien à un groupe tanzanien portant ce nom, une association fausse avec ce groupe ou une erreur.
M. Wholley écrit que le groupe possède une structure de commandement décentralisée, « sans leadership cohérent apparent ». L’idéologie du groupe manque aussi de cohérence, en dehors de l’extrémisme violent, du crime et des messages anti-soufistes et anti-gouvernementaux. Les recrues sont jeunes et n’ont pas reçu d’éducation coranique ; les membres du groupe sont au nombre de 200 à 1.500.
« Les attaques sont soi-disant conçues pour accroître l’insécurité, dans le but de promouvoir les entreprises criminelles dans la région, écrit M. Wholley. Les sources prétendent que les affrontements sont aussi conçus pour encourager une réponse forte des forces de sécurité, ce qui fera à son tour augmenter le soutien donné au groupe. »
LES ATTAQUES SE MULTIPLIENT
Malgré les noms différents et l’idéologie vague, une chose reste constante : la violence des militants est brutale et conduit à de nombreux morts et à la destruction générale des biens, en particulier les maisons qui sont souvent brûlées complètement.
Deux jours après l’attaque du 5 octobre 2017, les forces de sécurité sont intervenues : 14 militants ont été tués et 52 arrêtés, selon M. Wholley. Deux policiers ont été tués. Cet incident violent est l’un des 14 au moins qui se sont produits au Nord du Mozambique entre octobre 2017 et juin 2018. Pendant cette période, les militants ont tué au moins 55 civils et 7 policiers. 5 policiers et 2 civils ont été blessés, 4 policiers ont été portés disparus et au moins 3 civils ont été kidnappés.
Les extrémistes ont décapité 10 personnes, y compris des enfants, le 7 mai 2018 après les avoir kidnappées dans les villages de Monjane et d’Ulumbi près de la ville côtière de Palma dans la province de Cabo Delgado, selon un rapport de Voice of America du 11 juin 2018.
Les militants ont aussi fait de gros dégâts dans la région. M. Wholley signale que 450 maisons ont été brûlées et que le bétail a été massacré.
LE MOZAMBIQUE RÉPOND
En décembre 2017, les forces gouvernementales mozambicaines ont attaqué et bombardé Mitumbate, village de Mocímboa da Praia que l’on considérait comme un bastion extrémiste, selon un article d’ACSS écrit par Gregory Pirio, Robert Pittelli et Yussuf Adam. L’attaque, qui avait utilisé des hélicoptères et un navire de la marine, est censée avoir tué 50 personnes et a conduit à la détention de 200 de plus. La police nationale a déclaré qu’elle avait rétabli la paix dans la région.
En date de mars 2018, la police avait arrêté 470 personnes et poursuivi en justice 370, y compris 314 Mozambicains, 52 Tanzaniens, 1 Somalien et 3 Ougandais, selon l’article d’ACSS.
Martin Ewi du programme ENACT à l’institut pour les études de sécurité de Pretoria (Afrique du Sud) déclare à ADF que les poursuites criminelles liées à la violence extrémiste éclairent quelque peu le caractère encore ténébreux du groupe. Elles confirment dans une certaine mesure les allégations du gouvernement selon lesquelles des étrangers sont responsables pour la violence, bien que certains Mozambicains en soient aussi responsables. Il déclare que, vers la mi-novembre 2018, la Tanzanie a empêché plus de 100 personnes soupçonnées d’extrémisme violent de franchir la frontière vers le Mozambique.
La réponse des forces de sécurité inclut une combinaison de force de frappe militaire, telle que le bombardement de décembre 2017, et d’actions politiques et judiciaires. Par exemple, en janvier 2018 le Mozambique et la Tanzanie ont signé un protocole d’accord concernant la sécurité commune le long de la frontière entre les deux pays.
Dans le cadre de cet accord, les forces de police et de défense du Mozambique échangeront des informations, conduiront des opérations conjointes et échangeront une assistance technique, selon un rapport du journal Noticias. La coopération inclura la lutte contre la corruption, les crimes financiers, les stupéfiants et les crimes liés aux ressources naturelles.
En mai 2018, le parlement du Mozambique a adopté une loi anti-terroriste qui prévoit des peines de prison de 20 à 24 ans et le gel des biens utilisés pour commettre des crimes, selon un rapport du service d’actualités portugais Lusa. La loi prévoit aussi des peines de prison de 12 à 16 ans pour les personnes qui rejoignent les groupes terroristes, et de 8 à 12 ans pour les actes « préparatoires à la création d’un groupe terroriste ».
Le Mozambique et l’Ouganda ont convenu en mai 2018 de coopérer dans la lutte contre les groupes extrémistes. Le ministre mozambicain des Affaires étrangères et de la Coopération Jose Pacheco a déclaré au service d’actualités APA que l’Ouganda avait accepté de former les policiers mozambicains sur la lutte contre le terrorisme.
M. Wholley déclare que la coopération régionale est utile, mais qu’il est difficile d’évaluer l’efficacité de la réponse du Mozambique contre la violence. « Le fait que le groupe continue à exister est assez éloquent, déclare-t-il. Nous ne savons pas ce qui se passe avec leurs renseignements ; nous ne savons pas ce que [le Mozambique] essaie de faire avec la communauté locale ; nous ne savons pas à qui ils parlent en arrière-plan. »
La contre-insurrection ne fait pas nécessairement partie de la formation militaire régulière du pays, et c’est la première fois qu’il est aux prises avec une insurrection islamiste. Les soldats pourraient aussi ne pas parler les langues locales de la région. Des problèmes similaires se sont manifestés lorsque les soldats du Sud du Nigeria ont affronté l’insurrection de Boko Haram dans le Nord. « Vous avez donc toutes ces difficultés opérationnelles qui se répètent ailleurs », déclare M. Wholley à ADF.
M. Ewi constate des parallèles entre le Nord du Nigeria et le Nord du Mozambique. Au début des années 2000, un groupe s’appelant les « talibans » était apparu dans le Nord du Nigeria. M. Ewi déclare que ce groupe n’avait pas été pris au sérieux, mais au cours du temps il s’est transformé en Boko Haram, secte islamiste militante responsable de la mort de dizaines de milliers de personnes dans le bassin du lac Tchad. Le groupe représente toujours une menace importante dans la région.
« Je me rends compte que cela se produit aussi au Nord du Mozambique, déclare M. Ewi. Même les discussions sur ceux qui mènent ces activités, que ce soient des personnes étrangères ou locales, ne me semblent pas pertinentes. Nous devons regarder plus loin. Nous devons imaginer le potentiel de ce groupe. »
Pour éradiquer l’insurrection avant qu’elle ne croisse, déclare M. Ewi, il est crucial que le Mozambique crée une force opérationnelle pour lancer une campagne robuste de recueil des renseignements et d’investigation, qui commencera dans le Nord. Ensuite, tout lien découvert avec d’autres pays, tels que la Somalie ou le Kenya, devra être poursuivi en coopération avec ces pays « jusqu’au bout ».
« J’ai peur que si les choses continuent comme cela au Mozambique, ce groupe va complètement se rétablir et il va devenir une force avec laquelle il faudra compter au Mozambique, une force qui pourrait rester avec le peuple pendant de très longues années. »