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Les groupes d’autodéfense offrent une sécurité à court terme, mais le nord du Cameroun nécessite un développement à long terme.

PERSONNEL D’ADF

Lorsqu’une femme kamikaze est arrivée à Mora, au Cameroun, et a refusé de s’arrêter au poste de contrôle, il a semblé qu’encore une fois un horrible attentat allait être perpétré dans une région qui s’est progressivement accoutumée au carnage.

Toutefois, quelque chose d’inhabituel s’est produit. Un civil faisant partie d’un groupe d’autodéfense de la ville a tiré une flèche à l’extrémité empoisonnée sur l’attaquante. La flèche a tué la femme au moment où une deuxième kamikaze a fait détoner son gilet, mais l’explosion a seulement tué la terroriste. La réaction rapide du citoyen armé a probablement sauvé des dizaines de vies.

Les milices privées et les groupes d’autodéfense prolifèrent dans le nord du Cameroun et dans le nord du Nigeria, au fur et à mesure que des civils cherchent des moyens de défendre leurs communautés contre les insurgés de Boko Haram et d’autres menaces. Certains sont payés, mais la plupart sont bénévoles. Certains reçoivent une formation militaire de base, et leur équipement s’échelonne des armes semi-automatiques jusqu’aux arcs et aux flèches ou même aux instruments agricoles. Le gouvernement camerounais distribue à ces groupes du matériel, notamment des fusils, des lampes torches et des jumelles de vision nocturne. Il collabore également avec les anciens des villages pour s’assurer que ce sont les meilleurs candidats qui sont sélectionnés pour rejoindre les groupes.

Le président camerounais Paul Biya a avalisé cette pratique, appelant les citoyens armés des « modèles pour la nation ».

Le général de corps d’armée René Claude Meka, chef d’état-major des armées du Cameroun, a déclaré qu’ils faisaient partie d’une tradition bien établie au Cameroun de « défense populaire ». « En effet, le peuple camerounais s’est levé comme un seul homme contre la barbarie », a affirmé René Claude Meka. « C’est ce qui a permis d’obtenir les résultats que nous connaissons aujourd’hui ».

Les groupes d’autodéfense ont été précieux pour les forces de sécurité qui comptent sur eux pour la transmission de renseignements et pour qu’ils soient effectivement leurs yeux et leurs oreilles dans les zones reculées du pays. « Ils travaillent avec l’armée et lui donnent des renseignements », a expliqué le colonel Didier Badjeck, responsable de la division des communications au Ministère de la Défense du Cameroun. « Ils vont nous dire, « Attention, il y a un étranger que nous ne connaissons pas », et cela nous permet de limiter énormément les conséquences de ces kamikazes ». Ce travail les expose également au danger lorsque Boko Haram commence à exercer sa vengeance. En juillet 2016, des membres de Boko Haram se sont introduits la nuit dans le village de Cherif Moussari et ont tranché la gorge du chef du groupe d’autodéfense du village, quelques heures après sa désignation à ses fonctions.

Le lien entre la société civile et la sécurité va bien au-delà de la présence de quelques citoyens qui se portent volontaires pour monter la garde. Les observateurs affirment que la véritable sécurité exigera qu’il y ait davantage de développement dans le nord du Cameroun ainsi que de nouvelles opportunités d’emplois pour les jeunes gens qui sont des cibles de recrutement de prédilection pour Boko Haram.

« La plupart des gens recrutés par Boko Haram sont recrutés à la suite d’incitations socioéconomiques », a déclaré Hans De Marie Heungoup, un expert de la sécurité et analyste camerounais auprès de l’International Crisis Group. « Ils leur offrent des motos ou un prêt ou un salaire pour trois ou six mois ».

Guibai Gataba, fondateur de L’œil du Sahel, un journal qui couvre les questions de sécurité de la région, a indiqué que le nord du pays, qui est la zone la plus densément peuplée du Cameroun, pourrait nécessiter son propre Plan Marshall après des années de perturbations dues à la menace de Boko Haram et à d’autres formes de pression. L’âge moyen des adeptes de Boko Haram est de 23 ans, et nombre d’entre eux rejoignent le groupe durant leur enfance et grandissent au sein du groupe. « Vous avez affaire à une zone où règne le désespoir, une zone surpeuplée où il n’y a pas d’éducation, pas d’espoir, pas de travail », poursuit-il. « Ce sont des proies faciles pour Boko Haram ».

Il n’existe pas de solution miracle à ce problème. Le gouvernement camerounais a approuvé un financement de 10 millions de dollars destinés à un plan de développement d’urgence et de redressement pour le nord. Toutefois, le coût estimé pour répondre aux besoins régionaux est plus proche de la somme de 1 milliard de dollars, admet Hans De Marie Heungoup. Des membres du corps du Génie apportent leur contribution avec des projets civils de construction de routes et de ponts, dont un projet routier à Maroua, correspondant aux attentes locales et qui devrait favoriser l’activité commerciale.

Tous conviennent que les besoins sont considérables pour les 4 millions d’habitants de la région, dont 70 pour cent vivent dans la pauvreté. Dans un essai publié dans le magazine militaire camerounais Honneur et Fidelité, Vincent Ntuda Ebodé, de l’Université de Yaoundé Il-Soa, fait valoir que les forces de défense et les acteurs de la société civile ont intérêt à collaborer pour combattre l’influence à long terme de Boko Haram. « Il ne s’agit pas seulement de mettre un terme au conflit », écrit Vincent Ntuda Ebodé. « Il est davantage question d’instaurer une paix durable. C’est pourquoi, à côté des initiatives militaires, il y a les initiatives civiles. D’autre part, sous des formes multiples, les civils représentent le soutien essentiel qui est nécessaire à la victoire finale. »

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