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L’EXPÉRIENCE ALGÉRIENNE 

Connues sous le nom de « Décennie noire », les années 1990 en Algérie ont été effroyables. Après que les militaires eurent décidé d’intervenir et d’annuler les élections en 1992, les insurgés ont lancé des attaques quasiment quotidiennes contre des cibles civiles et gouvernementales auxquelles répondaient des mesures de répression violentes prises par les forces de sécurité. On estime que cette guerre civile a fait 200.000 victimes.

Lorsque le président Abdelaziz Bouteflika est arrivé au pouvoir en 1999, il s’est engagé à restaurer la paix et à faire de la réconciliation la pierre angulaire de son administration. Les efforts entrepris par le gouvernement algérien pour déradicaliser deux groupes, l’Armée islamique du salut (AIS) et le Groupe islamique armé (GIA), illustrent la promesse et la difficulté de la déradicalisation. Les dirigeants de l’AIS ont accepté de déposer les armes, et presque tous les combattants de base les ont suivis dans cette voie. Les membres sont entrés dans des programmes de déradicalisation, et ultérieurement la plupart ont réintégré la vie civile. À l’inverse, les dirigeants du GIA ont rejeté les ouvertures de paix du gouvernement. Bien que la direction du GIA ait été rapidement démantelée, le groupe s’est scindé en formant une nébuleuse. D’anciens combattants du GIA continuent la lutte armée aujourd’hui, et ont été prépondérants dans l’essor de groupes terroristes internationaux, notamment al-Qaida au Maghreb islamique. À ce titre, l’initiative algérienne de déradicalisation constitue un cas d’étude intéressant, selon le Dr Omar Ashour, qui a étudié le modèle algérien et a écrit l’ouvrage The De-Radicalization of Jihadists: Transforming Armed Islamist Movement (La déradicalisation des djihadistes : transformation des mouvements islamistes armés).« L’Algérie offre les deux modèles », explique Omar Ashour. « Il y a le modèle dans lequel les dirigeants échouent à se déradicaliser ou n’y sont pas disposés, et l’autre modèle dans lequel les dirigeants ont été prêts à le faire. Chacun de ces modèles est allé dans des directions très différentes ».

Le programme de déradicalisation de l’Algérie était exhaustif. Il était basé sur des initiatives axées dans trois directions : contrecarrer l’idéologie extrémiste, réintégrer les ex-combattants et démanteler les structures dirigeantes. Voici quelques-unes des stratégies employées par l’Algérie dans son programme de déradicalisation :

Protection pour ceux qui acceptent de renoncer à la violence : Quitter un groupe terroriste est dangereux. En Algérie, par exemple, l’un des fondateurs du Front islamique du Salut a survécu à quatre tentatives d’assassinat après avoir accepté de négocier avec le gouvernement. D’autres ont subi des attentats à la voiture piégée ou contre les membres de leurs familles. En conséquence, l’Algérie a offert la réinstallation et la protection à ceux qui ont quitté ces groupes, et dans certains cas, leur ont même fourni des pistolets afin qu’ils assurent leur propre protection. « Nombre de ceux qui ont quitté le maquis ont été considérés comme des traîtres par ceux qui sont restés combattre dans les montagnes », explique Omar Ashour. « C’était très clair. Cette menace a été mise à exécution, et ceux qui ont quitté le maquis sont à présent ciblés ».

Radiodiffusions : Pour entrer en contact avec les partisans purs et durs dans les montagnes, le ministère algérien des Affaires religieuses radiodiffuse des messages d’ex-combattants et d’érudits religieux. Omar Ashour fait valoir que les messages provenant des érudits religieux ont un impact particulier parce qu’ils sapent les certitudes idéologiques des combattants. « Cela a été efficace pour ébranler leurs convictions, parce que, avant cela, ils étaient tout à fait certains de faire leur devoir », précise Omar Ashour. « En revanche, maintenant, vous avez cette autorité qui en sait 100 fois plus au sujet de la théologie et qui vous dit que ce que vous faites n’a rien à voir avec la religion ».

Versement d’indemnités de décès : Dans l’expérience algérienne, l’un des éléments qui tendaient à perpétuer la violence était le cycle de représailles. Lorsqu’un combattant était tué, les membres de la famille étaient incités à prendre les armes pour venger sa mort. Pour intervenir dans ce cycle, le ministère de la Solidarité nationale a dépensé environ 50 millions de dollars entre 2005 et 2007 afin de verser une somme d’argent aux familles de ceux qui avaient été tués par les forces gouvernementales. « Ces versements représentaient un effort visant à se réconcilier avec les gens les plus susceptibles d’adhérer à la violence à la suite de la colère engendrée par leurs pertes injustes », indiquent Justin Duvall, Lee Novy et Calvin Knox dans un rapport de la Naval Postgraduate School paru en 2012. « Ce programme n’était pas destiné à un groupe spécifique. Toutes les personnes qui avaient le sentiment que leurs proches avaient été tués par l’État ou que celui-ci les avait fait disparaître injustement pouvaient faire une demande de compensation. On peut faire valoir que ces paiements ont atténué chez ces familles leur sentiment de justification à recourir à la violence ».

Formation des imams : Les responsables algériens ont découvert qu’un petit nombre de mosquées dirigées par des imams fanatiques était à l’origine de la radicalisation de nombreux individus. Légalement, les pouvoirs publics peuvent convoquer tout imam soupçonné de donner des prêches incorrects et le traduire devant un conseil de spécialistes du droit islamique. S’il est reconnu coupable, l’imam est soumis à une nouvelle formation. En outre, ceux qui sont reconnus coupables d’avoir prêché sans autorisation des pouvoirs publics risquent des amendes et des peines d’emprisonnement.

Aucune de ces méthodes de déradicalisation n’est une panacée, et de profondes différences idéologiques ainsi que des activités terroristes occasionnelles existent encore en Algérie. Toutefois, ajoute Omar Ashour, le gouvernement a essentiellement réussi à persuader les gens qui ont des griefs d’ordre religieux ou politique de les exprimer pacifiquement.

« Je pense que l’enseignement principal que l’on peut tirer du modèle algérien est de savoir comment faire évoluer un conflit, depuis la phase d’affrontements terribles dans les montagnes, jusqu’à une phase plus ou moins structurée dans les médias et les tribunaux, par opposition à une guerre réelle avec des balles », fait-il valoir.

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