L’Architecture africaine de paix et de sécurité de l’UA doit surmonter des défis pour remplir sa mission.
TIM MURITHI/INSTITUT POUR LA JUSTICE ET LA RECONCILIATION
Tim Murithi, Ph.D., est le responsable du programme Justice et Réconciliation en Afrique au nom de l’Institut pour la Justice et la Réconciliation au Cap, en Afrique du Sud. Il est aussi chercheur à l’African Gender Institute de l’Université du Cap. Il est l’auteur de plusieurs articles et livres sur l’Union africaine.
L’emploi des ressources collectives africaines pour résoudre les problèmes de sécurité sur le continent est un rêve de longue date des dirigeants africains. L’un de ses plus fervents partisans était Kwame Nkrumah, le président fondateur du Ghana. Dès les années 1950, il avait imaginé un « Haut commandement africain » qui pourrait être appelé à intervenir pour prévenir les crises, lutter aux côtés des mouvements de libération et repousser les occupants étrangers. Kwame Nkrumah a prononcé cette phrase célèbre : « Nous devons nous unifier maintenant ou périr. »
Le Haut commandement qu’évoquait Kwame Nkrumah n’a jamais vu le jour, mais son influence a été essentielle dans la création du panafricanisme, un concept reposant sur la promotion d’un esprit de solidarité et de coopération entre les Africains sur le continent et dans la diaspora. Ce concept a été institutionnalisé le 25 mai 1963, avec la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), qui avait pour mandat d’éradiquer les vestiges du colonialisme européen, de promouvoir la solidarité et de s’exprimer d’une seule voix sur les problèmes affectant le continent. Toutefois, l’OUA n’a pas été aussi efficace dans la surveillance et le contrôle des affaires de ses États membres. Par exemple, le génocide rwandais de 1994 s’est produit durant le mandat de l’OUA.
Ceci a conduit les dirigeants africains à créer une autre organisation plus interventionniste à travers le lancement de l’Union africaine (UA) lors d’un Sommet de l’OUA qui s’est tenu à Syrte, en Libye, en 1999. L’Acte constitutif de l’Union africaine a été signé à Lomé, au Togo, le 11 juillet 2000, et l’organisation a été officiellement inaugurée en juillet 2002 à Durban, en Afrique du Sud. La vision de l’UA est demeurée fidèle à l’esprit du panafricanisme, mais elle s’est fixée comme priorité de servir la cause de la paix, de la sécurité et du développement. Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine a été créé en 2004, et est l’une des composantes de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS). Les autres composantes sont le Système continental d’alerte rapide (SCAR), le Groupe des Sages, la Force africaine en attente (FAA), le Comité d’état-major (CEM) et le Fonds pour la Paix de l’UA.
Le Conseil de paix et de sécurité : le CPS, composé de 15 membres, évalue les crises potentielles, envoie des missions d’enquête dans les zones de conflit mais aussi autorise et légitime une intervention de l’UA, le cas échéant. L’article 4(h) de l’Acte constitutif de l’UA affirme le droit de l’UA à intervenir dans un État membre en situation de crise. L’article 7(e) du Protocole portant création du Conseil de paix et de sécurité stipule que le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine peut « recommander à la Conférence des chefs d’État et de gouvernement une intervention au nom de l’Union dans un État membre dans certaines circonstances graves, à savoir les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité, tels qu’ils sont définis dans les conventions et instruments internationaux compétents ». Pays membres du CPS, au 1er avril 2014 :
- EN AFRIQUE CENTRALE :
Burundi, Tchad et Guinée équatoriale - EN AFRIQUE DE L’EST :
Éthiopie, Tanzanie et Ouganda - EN AFRIQUE DE L’OUEST :
Guinée, Niger, Nigeria et La Gambie - EN AFRIQUE DU NORD : Algérie et Libye
- EN AFRIQUE AUSTRALE :
Mozambique, Namibie et Afrique du Sud
L’Algérie, l’Éthiopie, le Nigeria et l’Afrique du Sud apportent une expérience dans le domaine du rétablissement et du maintien de la paix au CPS. Le fait que le Nigeria et le Tchad, membres du CPS de l’UA, soient également membres du Conseil de sécurité des Nations Unies jusqu’en 2015 leur permet de surmonter les problèmes de communication et les différences culturelles existant entre les deux institutions. Depuis sa création jusqu’en avril 2014, le CPS a convoqué plus de 430 réunions. Il a également autorisé des sanctions contre plusieurs États membres ainsi que le déploiement d’opérations de soutien de la paix au Burundi (de 2003 à 2004), aux Comores (depuis 2008), en Somalie (depuis 2007) et au Soudan (depuis 2004, à présent conjointement avec les Nations Unies). En outre, l’UA participe à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, qui devrait se transformer en Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations Unies en République centrafricaine le 15 septembre 2014. En 2013, l’UA a participé à la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine, dont elle a contribué au financement. La Force régionale d’intervention conduite par l’Union Africaine, dont la mission est de pourchasser les membres de l’Armée de résistance du Seigneur, opère en République centrafricaine et dans le Nord-Est de la République démocratique du Congo.
L’engagement de l’UA à intervenir dans des situations de crise est entravé par son manque de capacités et de ressources autonomes. En conséquence, elle dépend des Nations Unies pour renforcer ses interventions et en prendre graduellement le contrôle. Historiquement, cette situation a posé un problème épineux entre les deux institutions, les Nations Unies faisant valoir qu’elles ne peuvent pas toujours assumer la responsabilité des affaires de l’UA.
La Force africaine en attente : le 6 mai 2003, le Document-cadre sur la mise en place de la Force africaine en attente (FAA) et du Comité d’état-major (CEM) a été adopté à Addis-Abeba, en Éthiopie. La FAA, dont le mandat est de coordonner les activités des mécanismes sous-régionaux de l’Afrique, est composée de cinq brigades originaires de chacune des sous-régions de l’Afrique (centrale, est, ouest, nord et australe). Celles-ci comprennent des unités de brigade constituées à partir des communautés économiques régionales (CER), notamment la Communauté de développement de l’Afrique australe, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Il existe également deux mécanismes régionaux en Afrique de l’Est, à savoir l’EASBRIGCOM, et la Force régionale nord-africaine. L’état de préparation opérationnelle de la FAA et le processus de prise de décision utilisé par le CPS ont été testés grâce à une série d’exercices de poste de commandement appelée Exercice AMANI. Malgré cette « répétition générale », la FAA demeure une œuvre inachevée. Les États membres de l’UA n’ont pas réussi à déployer les ressources nécessaires pour rendre cette force opérationnelle.
Cette situation a affecté l’état de préparation logistique en raison des préoccupations concernant les conséquences politiques liées à la mise en place d’une force qui serait susceptible de remettre en cause la souveraineté nationale. La FAA sera efficace uniquement s’il existe une coordination beaucoup plus étroite entre les ministères de la Défense et des Affaires étrangères des nations membres de l’UA et si une source stable de financement est trouvée.
Le déploiement de la FAA, prévu pour 2008, a été retardé trois fois, dont en 2013 pour la dernière fois. Suite à un audit de l’UA, il s’avère improbable que la FAA soit prête avant la nouvelle date envisagée, c’est-à-dire 2015.
L’état de préparation varie selon les brigades. Les brigades de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique australe sont essentiellement prêtes au déploiement, ce qui n’est pas le cas des brigades de l’Afrique du Nord et de l’Afrique centrale. Ramtane Lamamra, ancien Commissaire de l’Union africaine pour la paix et la sécurité, a déclaré que la brigade de l’Afrique du Nord avait été retardée par les soulèvements du Printemps arabe. Raychelle Omamo, secrétaire du cabinet de la Défense du Kenya, a déclaré, pour sa part, que la Force africaine en attente de l’Afrique de l’Est serait opérationnelle vers la fin 2014.
Malgré les retards de la FAA, l’UA a mis en place la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC) en 2013. La CARIC a été développée comme une force de réaction rapide principalement formée de contingents volontairement fournis par les États. Selon les rapports publiés, l’Algérie et l’Afrique du Sud ont été à l’origine de la mise en place de la CARIC. Ils ont été rejoints par l’Angola, le Tchad, le Liberia, le Niger, le Sénégal, le Soudan, la Tanzanie et l’Ouganda. Un « rapport détaillé » sur les progrès de la FAA et de la CARIC était attendu en juin ou juillet 2014.
Le Système continental d’alerte rapide (SCAR) : l’article 12 (1) du protocole du CPS établit un SCAR dont le mandat est de fournir des informations d’alerte rapide aux décideurs de l’UA. Le SCAR collecte des données et les analyse par l’intermédiaire d’un Centre d’observation et de contrôle basé au siège de l’UA. En outre, il coordonne les unités d’observation et de contrôle des CER et des mécanismes régionaux. L’idée à l’origine du SCAR est d’identifier et de prévenir les conflits avant qu’ils n’échappent à tout contrôle. Ces capacités additionnelles et une coordination améliorée avec des structures complémentaires aux niveaux régional et international sont nécessaires pour que le SCAR tienne ses promesses.
Le Groupe des Sages : ce groupe, créé en 2007, est composé de « personnalités africaines hautement respectées, venant des diverses couches de la société, qui ont apporté une contribution exceptionnelle à la cause de la paix, de la sécurité et du développement sur le continent », a précisé l’UA. Le groupe se réunit au moins trois fois par an et est chargé de soutenir le Conseil de paix et de sécurité « en particulier dans les domaines de la prévention des conflits ». Les cinq membres désignés représentent l’ensemble des régions du continent (Afrique centrale, de l’Est, du Nord et australe), et leur mandat est de trois ans. En 2010, le groupe s’est élargi pour inclure les Amis du Groupe des Sages, qui représentent également ces cinq régions.
L’UA indique que le groupe a produit des rapports thématiques sur des questions « concernant la paix et la sécurité, telles que la non-impunité, les femmes et les enfants dans les conflits armés et les conflits liés aux élections ». Le groupe s’est réuni au Caire en avril 2014 pour engager des pourparlers entre l’UA et l’Égypte, et s’est rendu en Égypte trois fois depuis le coup d’État militaire qu’a connu ce pays le 30 juin 2013.
L’article 11 du protocole établissant le groupe l’investit de l’autorité de servir d’intermédiaire dans les différends susceptibles de se déclarer ou en cours et d’en faciliter le règlement, de son propre chef. Même si le groupe a l’autorité de prendre des mesures préventives, il est regrettable qu’il doive consacrer l’essentiel de ses ressources et de son énergie à organiser des discussions de réflexion et à produire des déclarations. L’indépendance du groupe devrait être assurée par la mise en place d’un mécanisme adéquat de soutien institutionnel qui veillerait à ce qu’il dispose des informations en temps opportun et qu’il ait la capacité d’intervenir dans toute question et de sa propre initiative.
Comité d’état-major : le CEM, constitué d’officiers de haut rang et d’attachés militaires des États membres du CPS, a été créé par l’article 13 dans le but d’informer le conseil sur l’évaluation des aspects militaires de ses discussions, recommandations et décisions. Selon le protocole du CPS, le CEM a pour mandat de se réunir avant toutes les réunions du CPS au niveau des officiers de haut rang. Au minimum, le CEM devrait aspirer à se réunir chaque mois et à assister régulièrement aux procédures du CPS. En raison de l’absence d’une représentation adéquate des attachés militaires des 15 membres du CPS à Addis-Abeba, le CEM ne s’est pas réuni régulièrement et, par conséquent, demeure l’une des composantes de l’architecture dont le niveau de fonctionnement est faible.
Le Fonds pour la paix de l’Union africaine : l’intention initiale du financement de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) était d’établir un fonds pour la paix qui serait soutenu par une combinaison de contributions volontaires et de ressources provenant du budget ordinaire de l’UA. En pratique, le fonds est resté notablement sous-financé. Ainsi, l’UA ne dispose pas des ressources dont elle a besoin pour conduire des opérations et renforcer les capacités professionnelles. Le Fonds pour la Paix dépend de ressources provenant de partenaires de l’UA et des donateurs. Par conséquent, les États membres de l’UA doivent se donner les moyens nécessaires à la mise en œuvre de leurs plans ambitieux pour l’AAPS en assurant son financement.
La réponse de l’AAPS aux menaces et aux défis
L’AAPS est ambitieuse et met en évidence la politique interventionniste émergente de l’UA. L’UA est déterminée à servir la cause de la paix dans tout le continent en partenariat avec d’autres organisations intergouvernementales, telles que les Nations Unies et les CER, ce qui tranche nettement avec la politique tacite de « non-intervention » de l’OUA. L’UA est compétente pour concevoir et proposer des politiques, mais a eu moins de succès dans la mise en œuvre de ces politiques, en raison d’un manque de volonté politique. Ceci entrave la capacité de répondre aux menaces et de relever les défis, même si le CPS fait régulièrement des déclarations. L’AAPS ne réussira qu’en se penchant sur les questions d’éducation et de formation aux compétences sur la paix et la sécurité à travers des partenariats panafricains et internationaux.
L’AAPS est la somme de chacune de ses composantes. Même si certains de ses éléments constitutifs, comme le CPS, ont commencé à bien fonctionner, d’autres, notamment la FAA et le CEM, ont encore besoin d’être mis en œuvre de façon appropriée. L’Union africaine existe, mais le continent africain continue de faire des efforts pour s’unifier. Le problème majeur auquel l’UA est confrontée est le manque d’intégrité de la part de certains de ses dirigeants pour faire respecter les droits de l’homme et la gouvernance démocratique, ainsi que la répression, la domination et l’exploitation qu’ils font peser sur leur propre peuple, parfois en collusion avec certaines forces mondiales aux activités prédatrices. L’« afro-optimisme » est nécessaire pour que les Africains puissent atteindre les objectifs escomptés, à savoir la paix et le développement. Le panafricanisme et l’AAPS de l’UA sont des véhicules qui contribuent à atteindre ces objectifs. Toutefois, comme tous les véhicules, ils tombent parfois en panne, ont des accidents ou refusent de démarrer. Lorsque la voiture tombe en panne ou ne démarre pas, ce n’est pas le moment d’y renoncer ; le conducteur doit encore essayer de trouver quelqu’un pour la réparer. Le véhicule africain a commencé son chemin vers la paix et la sécurité. Il avance doucement, mais s’arrête fréquemment. L’AAPS peut jouer le rôle de moteur pour s’assurer que l’UA est en mesure de traiter les menaces existantes et émergentes.
L’Architecture africaine de paix et de sécurité
Personnel d’ADF
Le Conseil de paix et de sécurité
- Est composé de 15 États membres (de deux à quatre de chaque région)
- Envoie des missions d’enquête dans les zones de conflits
- Autorise l’intervention de l’Union africaine lorsque cela est nécessaire
- Constitue la composante la plus opérationnelle de l’Architecture africaine de paix et de sécurité
La Force africaine en attente
- Est constituée de cinq brigades
- Comprend une brigade de chaque sous-région africaine (centrale, est, ouest, nord, et australe)
- Est limitée par la logistique et l’infrastructure
- Inclut des brigades régionales à différents stades de leur développement
Le Système continental d’alerte rapide
- Est destiné à fournir des informations aux décideurs sur les crises
- Comprend des observateurs au siège de l’UA et dans les communautés économiques régionales
- Fournit déjà des informations régulières
- N’opère pas encore à pleine capacité
Le Groupe des Sages
- Informe le Conseil de paix et de sécurité et le président de la Commission de l’UA
- A l’autorité de servir d’intermédiaire pour régler les différends
Le Comité d’état-major
- Aide le Conseil de paix et de sécurité à évaluer l’aspect militaire de son action
- Est composé d’officiers de haut rang ou d’attachés militaires
- Ne s’est pas régulièrement réuni
Le Fonds pour la paix de l’Union africaine
- Doit être financé à partir du budget de l’UA et de contributions volontaires
- A été constamment sous-financé