PERSONNEL D’ADF
En 1827, Alexandre Pouchkine, le plus grand poète de la Russie, commença sa première œuvre de prose, un roman historique intitulé Le Nègre de Pierre le Grand. Il était basé sur la vie d’Abraham Pétrovitch Hannibal, son arrière-grand-père né en Afrique, qui était esclave mais qui est devenu soldat, ingénieur et érudit.
Alexandre Pouchkine ne termina jamais ce livre – et peut-être est-ce préférable. La vie de son arrière-grand-père est si remarquable qu’un seul livre n’aurait pas pu lui rendre justice.
Abraham Hannibal est né en 1696 dans ce qui est aujourd’hui le Cameroun. Son nom de naissance est Abraham et il est le fils d’un prince mineur de la région. Lorsqu’il a 7 ans, il est kidnappé par une tribu rivale et réduit en esclavage. Il est présenté en cadeau au sultan de Constantinople et, plus tard, il est acheté par un ambassadeur russe qui donne le petit garçon noir au tsar Pierre Ier de Russie ; c’est une chose nouvelle pour sa cour.
Le tsar voit dans ce garçon quelque chose qu’il aime et il devient son mentor. Lorsqu’Abraham grandit, Pierre décide de l’avenir du jeune garçon : il sera soldat.
Lorsqu’Abraham a 20 ans, il commence sa formation à Paris, en étudiant la science militaire, les mathématiques et l’ingénierie. Quatre ans plus tard, il s’inscrit à la nouvelle académie d’artillerie de France. Pour obtenir la meilleure expérience technique possible, il se bat pour la France et ses alliés contre l’Espagne dans la guerre de la Quadruple-Alliance. Pendant la guerre, il est capturé par l’Espagne et libéré en 1722, deux ans après la fin des hostilités.
Pendant son séjour en France, il prend le nom d’Hannibal en l’honneur du conquérant. Avec son éducation impressionnante, il devient l’ami des intellectuels français de l’époque, notamment le philosophe Voltaire qui est censé avoir appelé son ami l’« étoile noire des Lumières ».
Abraham retourne en Russie en 1723 comme militaire professionnel et expert en fortifications. Il assume des postes militaires en tant qu’ingénieur, et plus tard en tant que précepteur de mathématiques.
Pierre meurt en 1725 et son successeur ne fait pas confiance à l’étranger hautement cultivé de sa cour. Il exile Abraham à 6.000 kilomètres de distance en Sibérie en 1727. Trois ans plus tard, il est pardonné à cause de ses aptitudes d’ingénierie, qui ont été démontrées pendant son exil.
En 1741, Élisabeth, fille de Pierre, devient la nouvelle dirigeante de la Russie et Abraham devient un membre de plein droit de sa cour. Avec sa femme, descendante d’une famille noble de Scandinavie et d’Allemagne, il a 10 enfants.
Il reçoit finalement le grade de major-général et sert pendant 10 ans comme surintendant de ce qui est aujourd’hui une partie de l’Estonie. L’impératrice Élisabeth lui donne aussi des terres dans une région voisine, avec des centaines de serfs, paysans qui ne sont guère plus que des esclaves, comme il l’avait été jadis. Il prend sa retraite dans ses terres en 1762. Ce général très admiré, appelé le « seigneur noir », décède en 1781 à l’âge de 85 ans.
Abraham n’avait jamais oublié ses racines africaines. Lorsqu’il sollicite l’octroi d’un rang anoblissant auprès de l’impératrice Élisabeth, il soumet un écusson qu’il a conçu lui-même. Au centre de cet écusson se trouve un éléphant. Sous l’éléphant sont inscrites les lettres FVMMO. Les experts pensent maintenant que ces lettres représentent la phrase latine « Fortuna vitam meam mutavit oppido », qui signifie : « la Fortune a changé ma vie entièrement ».