EN RÉPONSE À LA CRISE DE DÉFORESTATION,LES SOLDATS ONT PLANTÉ DES MILLIONS D’ARBRES
L’écologiste kényan Francis Muhoho déclare que trop d’arbres sont abattus dans son pays, ce qui pourrait provoquer une crise écologique.
« Le Kenya a perdu en moyenne 200.000 hectares de forêt par an entre 2000 et 2014 », déclare-t-il à Kenya News Agency en mars 2019. « Ce chiffre concerne à la fois les forêts de l’état et les forêts privées. »
Le président kényan Uhuru Kenyatta déclare que, depuis le début du siècle, l’Afrique de l’Est a perdu un total de 6 millions d’hectares de forêt. Certaines de ces forêts abritaient des plantes et des animaux qui n’existent nulle part ailleurs.
« Nos forêts sont les poumons qui maintiennent en vie cette planète », déclare le président Kenyatta en 2019 lors d’une conférence écologique. « La déforestation et la dégradation de notre environnement sapent en fin de compte nos efforts de préservation de la biodiversité, d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à ce dernier. »
Le service des forêts du Kenya assume ses responsabilités pour porter assistance, notamment en distribuant des semis d’arbre aux agriculteurs. Et depuis plusieurs années, le service des forêts possède un allié improbable : les Forces de défense du Kenya (KDF).
Les KDF ont reconnu que la nature de la mission des forces armées faisait partie du problème écologique. « Les opérations militaires, notamment les essais et les tirs d’armes, l’excavation des tranchées de tir pour se protéger des tirs directs de l’ennemi ou l’utilisation de la végétation comme camouflage pour fournir une couverture et empêcher l’observation directe par l’ennemi, affectent l’environnement, où qu’elles soient effectuées », déclarent les KDF. « Bien qu’il existe des zones désignées pour l’entraînement militaire terrestre, maritime et aérien, la croissance de la population et l’urbanisation s’avèrent être un défi pour les forces armées. »
Les KDF ont évalué franchement le rôle négatif qu’elles ont joué dans l’environnement. Elles déclarent que les agriculteurs et les bergers s’étaient plaints des décès causés par les munitions non explosées qui avaient été abandonnées après l’entraînement et les exercices des KDF, ainsi que des animaux morts après être tombés dans les trous d’obus abandonnés qui n’avaient jamais été remplis. Les KDF déclarent qu’elles ont essayé de remédier aux dommages provoqués par cet entraînement.
« Les soldats ont assumé le devoir et la responsabilité de prendre soin de l’environnement et de le préserver où qu’ils aillent », déclarent les KDF.
En 2003, elles ont pris la mesure proactive de créer le programme des soldats écologiques, dont le seul but consiste à planter des arbres.
Dans un e-mail adressé à ADF, les KDF déclarent que « le changement des tendances climatiques dans le monde a un impact, depuis la réduction des ressources naturelles jusqu’aux impacts sur la santé et la sécurité des populations et aux menaces d’extermination de nations entières, notamment les petits états insulaires menacés par la hausse du niveau de la mer. »
Les responsables des KDF déclarent : « Les idées et la pratique traditionnelles de la plupart des stratégies de réponse ont été dans une grande mesure réactives et leur impact a été temporaire ». Les KDF ont constaté que la situation environnementale compromettait l’exécution de leur mission et ont décidé que le « temps était venu d’agir afin de protéger effectivement et de préserver la souveraineté et l’intégrité territoriale du pays ». C’est ainsi que le programme des soldats écologiques a été créé. Ses objectifs sont les suivants :
- Réduire l’empreinte de semelle carbone d’ensemble des KDF.
- Lancer un programme de restauration écologique.
- Encourager l’efficacité et la durabilité de l’utilisation des ressources naturelles.
- Promouvoir les comportements qui améliorent l’environnement.
Les responsables kényans déclarent que l’une des raisons principales pour se concentrer sur la plantation des arbres est la facilité relative de cette tâche, qui pourrait fournir des résultats positifs précoces aussi bien que des avantages à long terme. Pour que cela fonctionne, les soldats ont dû former des partenariats avec d’autres institutions gouvernementales, avec les communautés, avec les organisations non gouvernementales (ONG) et avec les entreprises. Parmi les premiers partenaires, on compte le ministère kényan de l’Environnement et de la Foresterie, le Programme des Nations unies pour l’environnement et la lauréate du prix Nobel de la paix Wangari Maathai, fondatrice du Mouvement de la ceinture verte. Le Mouvement de la ceinture verte est une ONG basée à Nairobi qui se concentre sur la protection de l’environnement, le développement communautaire et le renforcement des compétences. En 2007, le mouvement s’est associé aux KDF pour planter 44.000 arbres dans la forêt Kamae afin de restaurer le bassin hydrographique principal de la région et d’empêcher l’érosion.
UN OBJECTIF PLUS GRAND
Avec le soutien du ministère de la Défense, les KDF ont établi des pépinières au sein de certaines unités militaires pour assurer qu’il y ait suffisamment de jeunes arbres à planter pendant les deux saisons des pluies du Kenya.
Les soldats se sont initialement concentrés sur la plantation des arbres dans les cinq forêts montagneuses principales du pays, appelées aussi « châteaux d’eau » car elles recueillent l’eau provenant de tous les fleuves principaux du Kenya, à l’exception d’un seul. Depuis lors, la plantation a été élargie pour couvrir plus de 50 zones forestières et terres publiques dans tout le pays.
La plantation des KDF suit une méthode mise à l’essai dans le monde entier et développée par le botaniste japonais Akira Miyawaki. Selon cette méthode, on recherche les arbres qui existaient initialement dans une forêt dégradée, puis on plante ces arbres de façon rapprochée, ce qui force les semis à « se faire concurrence » et leur permet de simuler les environnements naturels. Les arbres sont souvent autonomes au bout de trois ans seulement.
Le programme des soldats écologiques a permis de planter plus de 25 millions d’arbres. En 2018, les KDF ont conclu un accord avec le ministère de l’Environnement et de la Foresterie pour adopter cinq forêts très dénudées comme « essais pilotes » pour la restauration. La première phase de l’accord, selon Capital FM du Kenya, concerne la plantation et l’entretien de 2 millions d’arbres indigènes dans la forêt Kibiku et 1 million d’arbres dans la forêt Ololua.
En plus de la restauration de la santé des forêts, ce programme a d’autres avantages. Par exemple, lorsque les KDF ont planté plus de 5 millions d’arbres dans les zones arides et semi-arides de Lodwar, Lokichogio, Turkana, Pokot et la province Nord-orientale, l’escadron de forage de puits du Corps du génie des forces armées y a construit des puits qui ont été utilisés pour maintenir les arbres. Ces puits ont aussi fourni de l’eau aux résidents.
Les officiels kényans déclarent qu’ils en sont arrivés à considérer que le programme des soldats écologiques avait un objectif plus grand : celui de maintenir la paix dans leur pays. La protection de l’environnement est la première ligne de défense pour résoudre les conflits axés sur les ressources, tels que ceux entre les bergers et les agriculteurs.
Lors d’une cérémonie de plantation d’arbre en 2018, Margaret Kenyatta, Première dame du Kenya, déclare que le choix vert est une mission urgente. « La politique attentiste n’est plus appropriée, déclare-t-elle. Nos actions exigent une réponse urgente, audacieuse et décisive de la part de toutes les parties prenantes, privées aussi bien que publiques, pour encourager un changement de comportement visant à faire face aux menaces créées par les actions humaines. »
LES CHÂTEAUX D’EAU DU KENYA
Les cinq forêts principales du Kenya sont appelées les « châteaux d’eau » du pays. Ces écosystèmes de forêt montagneuse incluent le mont Kenya, l’Aberdare, la forêt Mau, les collines de Cherangani et le mont Elgon. Ils forment les zones de confinement et de drainage naturel pour quatre des cinq fleuves principaux du Kenya.
Les châteaux d’eau s’étendent sur moins de 2 % de la superficie totale du pays mais ils hébergent 40 % des espèces de mammifère du Kenya, y compris 70 % des espèces menacées. Les forêts abritent 30 % des espèces d’oiseau du Kenya, y compris la moitié de celles qui sont menacées.
Ils représentent la source d’eau la plus importante du Kenya, destinée à la consommation humaine directe et à l’emploi industriel. Des millions d’agriculteurs vivent sur les pentes forestières et dépendent du sol riche et des conditions microclimatiques pour leurs récoltes.
Les fleuves provenant des châteaux d’eau représentent une planche de salut pour les zones principales de conservation dans les basses-terres. Ces zones de conservation hébergent une diversité de plantes et d’animaux.
Les châteaux d’eau fournissent de l’eau pour les centrales hydroélectriques et produisent 57 % de la capacité électrique installée totale du Kenya.
La réduction de la couverture forestière dans les châteaux d’eau a été attribuée à l’abattage illégal des arbres indigènes pour produire du bois de charpente et du charbon, aux incendies de forêt et à l’empiètement des zones d’agriculture et de peuplement.
La restauration et la réhabilitation des cinq châteaux d’eau sont l’un des projets phares de Vision 2030, le plan de croissance à long terme du Kenya.
Sources : « A review of Kenya’s national policies relevant to climate change adaptation and mitigation: Insights from Mount Elgon » (Un examen des politiques nationales du Kenya liées au changement climatique ; adaptation et atténuation : perspectives du mont Elgon) publié par le Centre pour la recherche forestière internationale ; Rhino Ark