DE NOMBREUX ENJEUX SONT À ENVISAGER EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ EN MER, ALLANT DE L’ENVIRONNEMENT JUSQU’À L’ÉCONOMIE
PERSONNEL D’ADF
Autrefois, la stratégie maritime d’un pays consistait à protéger ses eaux, à défendre ses habitants contre les ennemis et les pirates et à poursuivre les pêcheurs illégaux grâce à la marine ou la garde-côtière.
C’est une vision superficielle de la sécurité maritime au 21ème siècle. Les groupes comme l’Organisation des Nations unies et l’Union africaine déclarent qu’une stratégie maritime moderne doit protéger les ressources, assurer le développement économique durable, protéger l’environnement, gérer l’utilisation énergétique et développer les capacités de travail avec les pays et les régions avoisinants.
Historiquement, les nations africaines se sont montrées lentes dans la protection et la réglementation de leurs côtes. Depuis qu’elles ont acquis leur indépendance au 20ème siècle, ces nouvelles nations ont dû lever des armées pour préserver leurs frontières parfois arbitraires, prévenir ou réprimer des rébellions et protéger les habitants. Les marines n’étaient pas une priorité économique.
« Les états côtiers, les îles et les archipels partout dans le monde font face à divers défis pour sécuriser leurs zones maritimes »,
selon le rapport de 2016 sur les stratégies maritimes du Centre africain pour les études stratégiques (ACSS). « De façon similaire, la plupart de ces états doivent encore réaliser pleinement le potentiel de développement lié à l’exploitation durable du domaine maritime. Ces deux objectifs de sécurité et de développement constituent la raison principale pour laquelle les états et les organisations internationales du monde développent, mettent en place, évaluent et révisent constamment les stratégies maritimes. »
LE DOMAINE DE LA CÉDÉAO
Le golfe de Guinée offre un bon cas d’étude. Du Sénégal au Nord à l’Angola au Sud, le golfe de Guinée s’étend sur 6.000 kilomètres de côtes. Les pays possèdent des réserves estimées à 24 milliards de barils de pétrole brut, soit 5 % du total mondial. La région possède également de vastes réserves de gaz naturel et de minéraux précieux, ainsi que d’abondantes forêts tropicales. Le fleuve Congo long de 4.700 kilomètres est le deuxième fleuve le plus puissant du monde après l’Amazone et constitue l’artère commerciale principale de l’Afrique équatoriale. L’impact du golfe sur le commerce dépasse de loin ses frontières physiques.
Tout comme le reste du continent, le golfe fait face à de nombreuses menaces. La côte de l’Afrique est menacée par la piraterie, le kidnapping, le vol, le détournement de pétrole, la pêche illégale et toutes sortes de trafics, y compris les drogues, les armes et les êtres humains. Certains endroits de la côte sont rongés par une pollution à grande échelle. En 1975, les nations du golfe de Guinée ont établi la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) afin d’atteindre l’objectif « d’autosuffisance économique » pour les états membres en créant un bloc commercial unique. La CÉDÉAO sert aussi de force de maintien de la paix et celle-ci se concentre sur son rôle policier dans le golfe depuis quelques années. Le domaine maritime du groupe comprend 11 des 15 états membres. Dans la mise au point d’une stratégie maritime régionale, l’organisme a conclu depuis longtemps que « toute la CÉDÉAO est affectée par le domaine maritime ou dépend de ce dernier ».
« Nos économies sont malheureusement liées à la perspective des océans », explique le Dr Dakuku Peterside de l’agence nigériane pour l’Administration et la sécurité maritimes. « L’océan est un moyen de base pour la plupart de notre commerce et de nos transactions et il nous fournit aussi une opportunité unique pour optimiser les bénéfices de l’économie des océans ainsi que l’occasion spéciale de profiter des bienfaits de la nature », ajoute-t-il selon le rapport du Guardian du Nigeria.
En 2008, la CÉDÉAO a adopté la Vision 2020 de la CÉDÉAO qui détaille les objectifs stratégiques à atteindre pour assurer « une région sans frontières, le développement durable, la paix et la bonne gouvernance, et l’intégration dans le marché mondial ».
L’Union africaine lui a emboîté le pas en achevant en 2014 les négociations sur la Stratégie maritime intégrée 2050 pour l’Afrique, suivie en 2016 par une Charte sur la sûreté, la sécurité et le développement maritimes.
La CÉDÉAO a proposé sa Stratégie maritime intégrée en fonction de quatre principes clés :
- Le domaine maritime est d’une importance vitale pour le développement économique et cela affecte les états membres, côtiers ou non.
- Les enjeux maritimes sont transnationaux, transrégionaux et interdépendants ; ils ne peuvent donc pas être surmontés par une seule nation. Chaque pays doit coordonner et coopérer avec ses voisins et ses homologues du monde.
- La clé du succès régional est une gouvernance efficace du domaine maritime fondée sur des principes démocratiques et sur les droits humains.
- Pour faire face aux problèmes auxquels la région est confrontée, il s’agit de mettre en place des stratégies sécuritaires et non sécuritaires. La réponse de la justice criminelle basée sur l’état de droit reste un élément crucial de ces stratégies.
LES TROIS ÉTAPES ESSENTIELLES
Les responsables politiques déclarent à présent que l’économie des océans et la sécurité maritime sont indissociables.
« Il est nécessaire d’avoir un environnement opérationnel stable fondé sur la sécurité, l’état de droit et des politiques qui sont en place et appliquées come cadre de base », explique Paul Holthus, président de World Ocean Council, selon un rapport du African Business Journal. « Il existe clairement des enjeux importants en ce qui concerne la pêche illégale ou non réglementée, la piraterie du commerce maritime et les problèmes liés au pétrole et au gaz. Confronter ces problèmes est vraiment le premier pas vers la création de cet environnement stable, donc la résolution de ceux-ci crée des opportunités en soi. »
L’ACSS indique que pour développer des stratégies maritimes nationales et internationales réalistes, les pays doivent commencer par trois étapes essentielles : l’auto-évaluation, l’évaluation du domaine et l’évaluation de la menace.
L’AUTO-ÉVALUATION
L’auto-évaluation se traduit par l’examen de ce qu’un pays ou une région a déjà à son actif comme point de départ pour établir une stratégie. L’ACSS recommande d’effectuer cette auto-évaluation en 10 étapes :
- Quelles sont les agences nationales qui ont des responsabilités maritimes ?
- Quels processus et mécanismes existent déjà pour la coopération et la coordination inter-agences sur les questions maritimes ?
- Quelles agences non maritimes sont le plus affectées par le domaine maritime ?
- Quelles lois maritimes internationales ont été signées et intégrées au droit national ?
- Est-ce qu’une personne externe peut facilement accéder aux lois et à la réglementation maritimes existantes ?
- Qu’est-ce qui est couvert par les lois et les politiques maritimes actuelles, et existe-t-il des carences connues ?
- Comment l’application du droit maritime est-elle conçue ?
- Quelles institutions ont l’autorité d’appliquer le droit naval ou maritime ? Quelles sont leurs ressources humaines? Quel est leur équipement ? Quelles formations ont été suivies ?
- Quelles sont les obligations conjointes, régionales ou internationales existantes ?
- Quelles ressources sont disponibles pour le domaine maritime ?
L’ÉVALUATION DU DOMAINE
L’évaluation du domaine demande des recherches approfondies pour analyser des secteurs que des planificateurs axés sur la défense sont susceptibles de survoler ou d’ignorer complètement. Des recherches bien développées sur ce point pourraient servir de base pour les stratégies économiques à venir. L’ACSS déclare que cette étape nécessite que le pays ou la région soit « conscient de son potentiel maritime économique réel et non pas hypothétique », c’est-à-dire le niveau maximum auquel les ressources peuvent être exploitées de façon durable. L’évaluation de ce domaine comprend les questions suivantes :
- Quel est le niveau d’exploitation durable maximum pour les poissons et les fruits de mer de la région, qu’il s’agisse du plus petit village ou du niveau industriel ? Quelle est la valeur économique du poisson à chacun de ces niveaux ?
- Quel est le potentiel pour le pays ou la région en ce qui concerne l’exploitation minière, de gaz ou de pétrole en mer ? Où se trouvent ces ressources et est-il rentable de les exploiter ? Le rapport ACSS de 2016 ne couvre pas le sujet de l’extraction du diamant en mer, mais une exploitation relativement nouvelle au large de la côte namibienne a déjà affecté le marché mondial du diamant.
- Quel est le potentiel pour la région en ce qui concerne les énergies durables : solaire, éolienne, hydroélectrique et marémotrice par exemple ?
- Comment utiliser au mieux les infrastructures portuaires et côtières de la région ?
- Quels transports maritimes sont nécessaires pour l’agriculture et l’industrie de la région et quelles améliorations s’agit-il d’y apporter ? Quels sont les besoins en transport pour les exploitations régionales de minéraux, de pétrole ou de gaz ?
- De quelles installations d’entreposage terrestres dispose la région et faut-il en prévoir plus ?
- De quelles installations terrestres de transformation et de conditionnement du poisson dispose la région ?
- Quelle infrastructure de tourisme maritime s’agit-il de développer ou d’améliorer ? Quelles activités de loisir ou de luxe est-il possible de commercialiser ?
L’ÉVALUATION DE LA MENACE
L’Afrique a été particulièrement affectée par les menaces et les défis maritimes, en partie parce que de nombreuses nations ont développé tardivement leur marine et leur garde côtière. L’ACSS déclare que le succès d’une stratégie maritime doit se fonder sur une évaluation et une priorisation des menaces et des défis. Ceux-ci peuvent être répartis sur trois catégories :
- Les menaces qui peuvent être mesurées et classées par priorité en fonction des pertes matérielles et du coût de ces opportunités. Ces menaces comprennent la pêche illégale sous toutes ses formes, le vol des ressources comme le détournement du pétrole, le trafic des êtres humains, des armes, des stupéfiants, des biens volés et des antiquités, la piraterie, le blanchiment d’argent et l’insécurité des voies navigables.
- Les menaces à la santé de la région, notamment le changement climatique, l’érosion des côtes et la dégradation de l’environnement, y compris les décharges illégales, les déchets toxiques, la pollution, les marées noires et les déversements chimiques.
- Les menaces institutionnelles, notamment la pauvreté à long terme et la pauvreté régionale, les forts taux de chômage, l’insécurité alimentaire et politique, les conflits et la corruption.
COMPRENDRE LE MESSAGE
Le président de l’agence nigériane pour l’administration et la sécurité maritimes Jonathan Garba s’est prononcé lors de la journée africaine pour les mers et les océans le 25 juillet 2018. Avec d’autres, il a donné l’alerte sur les conséquences à envisager si les pays africains ne travaillent pas ensemble pour préserver leur ressources :
« Compte tenu de notre dépendance croissante sur les ressources naturelles, nous devons nous poser une question », déclare-t-il selon The Nation du Nigeria. « Comment peut-on forger une vision de l’utilisation des ressources naturelles des mers et des océans qui soit économiquement viable, écologiquement bien fondée et socialement responsable sans compromettre le patrimoine des générations futures ? »