PERSONNEL D’ADF
Alors que le Kenya et la Chine s’affrontent devant les tribunaux au sujet d’un contrat de 3,2 milliards de dollars visant à construire un système de chemin de fer, l’avenir du port de Mombasa, qui est l’un des principaux atouts d’Afrique de l’Est, pourrait être menacé.
Une Cour d’appel kényane a jugé que le contrat concernant le nouveau Standard Gauge Railway (SGR, chemin de fer à écartement normal) du pays avait été conclu illégalement. La société de chemin de fer Kenya Railways avait accordé le contrat à la China Road and Bridge Corp. à la suite d’un protocole d’accord en date de 2011. Trois ans plus tard, un activiste kényan et l’association principale de juristes du pays avaient intenté des poursuites dans le but d’arrêter la construction liée au projet, en déclarant que la société chinoise avait remporté le contrat sans suivre la procédure publique correcte d’appel d’offres.
En juin 2020, les juges de la Cour d’appel ont décidé que la procédure d’appel d’offres avait enfreint l’Article 227 de la Constitution du Kenya.
Le chemin de fer fait partie du projet chinois de l’initiative de la Nouvelle route de la soie (BRI), qui vise à construire une infrastructure à l’échelle mondiale financée par la Chine. Depuis le début de l’épidémie mondiale de Covid-19, de nombreux pays ont dû trouver un équilibre entre le paiement de leurs dettes chinoises et la protection de leur économie et de la santé de leurs habitants.
90 % des coûts du projet sont financés par Exim Bank of China sous forme de deux prêts de 1,6 milliard de dollars chacun. Business Daily Africa signale que la banque Exim a accordé ces prêts sous réserve de la nomination d’un maître d’œuvre chinois pour construire et gérer la voie ferrée, ce qui veut dire que le contrat ne pouvait pas faire l’objet d’un appel d’offres public.
The Sentinel de l’Inde signale que, depuis 2013, le Kenya a accepté plus de 5 milliards de dollars de prêts chinois pour la construction du chemin de fer. Mais au cours de la première année de service, il a enregistré des pertes de 98 millions de dollars, « ce qui rend impossible le service du prêt par le Kenya ».
Selon les conditions du prêt, l’actif du port de Mombasa est déposé en tant que collatéral. The Sentinel explique que cet actif servant de collatéral n’est pas protégé par l’immunité souveraine du Kenya par suite d’une dérogation au contrat. Le terminal conteneur de Nairobi, qui reçoit et envoie le fret acheminé par les nouveaux trains de marchandises du port, est aussi menacé, selon Hellenic Shipping News.
Il s’agit du plus grand port d’Afrique de l’Est et du lieu d’entrée principal pour les marchandises livrées au Kenya. Il est aussi utilisé par les pays voisins du Burundi, de l’Ouganda, de la République démocratique du Congo, du Rwanda et du Soudan du Sud.
L’experte Huang Zhengli de l’Université de Sheffield a passé plusieurs années à étudier les relations financières entre la Chine et ses partenaires commerciaux africains. Elle a déterminé que la prise de contrôle du port de Mombasa serait une « catastrophe stratégique pour Pékin et pour son souhait de dissiper les accusations de créancier prédateur », selon le Projet Chine-Afrique. Elle déclare que cela saperait la confiance dans la BRI, avec des répercussions ressenties dans le monde entier.
Le journaliste Edwin Okoth a écrit un article sur l’accord financier pour le journal Daily Nation basé à Nairobi. Il déclare que le Kenya aurait bien pu dépasser ses capacités financières en acceptant les conditions de cet énorme emprunt il y a cinq ans.
« J’ai pu découvrir quelque chose de choquant : aucun des actifs nationaux normalement protégés par la souveraineté n’a été exclu dans cet accord de prêt », déclare M. Okoth à Radio France internationale.
Les critiques soutiennent que la Chine pratique la « diplomatie de l’endettement ». Cela signifie que Pékin prête de grosses sommes d’argent aux pays plus pauvres pour construire leur infrastructure, dans le but d’obtenir davantage de concessions lorsque le pays manquera inévitablement de rembourser les intérêts du prêt.
L’Institut pour les études de sécurité déclare que certains analystes comprennent bien que la pandémie actuelle de Covid-19 accroît les opportunités chinoises de prise de contrôle. Sam Parker, co-auteur d’une étude de 2018 sur la diplomatie de l’endettement, a déclaré au Guardian que la pandémie a commencé à influencer les prochaines initiatives chinoises.
« Quel que soit l’effet de levier que la Chine détient à l’égard de l’endettement des autres pays, cet effet va s’accroître, déclare M. Parker. Quelles que soient les mauvaises conséquences qui allaient résulter du fait de ne pas pouvoir rembourser la Chine, je pense que leur échéancier pourra s’accélérer dramatiquement. »