Le retrait du système économique régional ouest-africain de trois pays sahéliens à la fin janvier a sapé les efforts collectifs de contre-terrorisme, du Sénégal au Nigeria. La restauration de ce système nécessiterait de surmonter la méfiance entre les nations du Sahel et leurs voisins, selon les experts.
Un point de départ de ce périple, selon l’analyste Éric Tevoedjre du Bénin, pourrait être un nouvel accord diplomatique entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qui forment aujourd’hui l’Alliance des États du Sahel (AES), et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Le Dr Tevoedjre a récemment écrit pour le site web Développement et coopération : « Le maintien des bonnes relations avec les états de l’AES est un impératif stratégique pour la CEDEAO. Une offre de reconnaissance diplomatique pourrait améliorer considérablement la situation. »
Les trois pays sahéliens sont tourmentés depuis plus de dix ans par les groupes extrémistes et les attaques terroristes. Des groupes militaires de ces trois pays ont renversé leur gouvernement démocratiquement élu dans une série de coups d’État, en commençant par le Mali 2021. En 2024, les dirigeants des trois pays ont annoncé qu’ils formeraient leur propre pacte de défense mutuelle et quitteraient la CEDEAO, qu’ils critiquaient en la qualifiant d’inefficace contre la menace terroriste.
La perte des pays sahéliens a suscité des questions concernant l’avenir de la CEDEAO comme entité de sécurité collective, note le Dr Tevoedjre. Depuis cette époque, les pays du littoral ont contacté individuellement l’AES sur une base bilatérale mais les tensions avec la CEDEAO proprement dite ne sont pas résolues.
Les dirigeants des juntes de l’AES se sont engagés à maîtriser les terroristes, en particulier dans la région du Liptako-Gourma où les trois pays ont des frontières communes. Mais jusqu’à présent, ils ont enregistré des résultats pires que ceux de leurs prédécesseurs et la région est aujourd’hui le chef de file des activités terroristes dans le monde, selon l’Index mondial du terrorisme.
Ces activités terroristes aux frontières poreuses de la région menacent la sécurité des états du littoral, en particulier le long du complexe de parcs de faune sauvage W-Arly-Pendjari chevauchant la frontière commune entre le Niger et le Bénin, qui est peu patrouillée.
« La méfiance entre les deux organisations (CEDEAO et AES) empêche la mise en commun des renseignements vitaux et la coordination des opérations militaires pour éviter que certains territoires ne soient utilisés comme zones de replis », écrit en mars l’analyste Jeannine Ella Abatan pour l’Institut d’études de sécurité. De ce fait, la coopération limitée entre les deux organisations crée un environnement dans lequel les groupes terroristes peuvent prospérer et se propager.
Quelques semaines avant la séparation entre les pays de l’AES et la CEDEAO, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) avait tué 30 soldats béninois dans une base près de la frontière avec le Burkina Faso et le Niger. À l’époque, c’était l’attaque terroriste la plus létale de l’histoire du Bénin. Quatre mois plus tard en avril, une autre série d’attaques à la frontière près du parc du W a excédé l’attaque précédente : les combattants du GSIM ont tué au moins 54 membres des forces de sécurité. Le même mois, les militants du GSIM ont lancé leur première attaque par drones kamikaze contre l’armée togolaise dans la région Nord des Savanes à la frontière du Burkina Faso.
Les attaques dans le Nord du Bénin et les régions voisines du Togo se sont produites en réponse à de plus fortes mesures antiterroristes dans les deux pays, selon Liam Karr de l’Institut pour l’étude de la guerre. Les campagnes du GSIM dans les états du littoral font partie d’une stratégie visant à créer des bases à partir desquelles il pourra lancer des attaques contre le Burkina Faso.
« Un manque de coordination de contre-terrorisme entre le Bénin et ses voisins du Burkina Faso et du Niger a probablement créé des lacunes de sécurité et facilité l’offensive du GSIM », a récemment écrit M. Karr.
Les efforts indépendants RSR (renseignement, surveillance et reconnaissance) du Bénin n’ont pas été suffisants pour remplacer la coordination contre-terroriste multinationale précédente qui était disponible lorsque les pays sahéliens faisaient partie de la CEDEAO, selon lui.
Les analystes Michael Howard et Ethan Czaja déclarent que l’économie d’échelle est avantageuse pour la sécurité régionale. Il est improbable que l’AES ait les ressources nécessaires pour vaincre sa menace terroriste à elle seule, écrivent-ils dans le Small Wars Journal.
« Puisque la CEDEAO et l’AES ne financeront pas ensemble les initiatives de contre-terrorisme, il est probable que leurs projets individuels seront beaucoup moins efficaces, ou qu’ils ne seront tout simplement pas entrepris, à cause des coûts initiaux prohibitifs. C’est la sécurité des frontières qui sera la plus grande victime du manque de coopération entre la CEDEAO et l’AES. »
Lors de la récente conférence au sommet des chefs d’état-major africains de la défense à Nairobi (Kenya), les chefs militaires de plus haut rang du continent ont souligné maintes fois la nécessité d’améliorer les efforts de sécurité collective dans les zones telles que l’Afrique de l’Ouest, où le terrorisme existant dans quelques pays menace la sécurité de toute la région.
Dans ce but, la CEDEAO et l’AES doivent avancer au-delà de la coexistence et collaborer sur la menace mutuelle du terrorisme, écrit le Dr Tevoedjre.
« La reconnaissance politique indiquerait le début d’une nouvelle ère et préparerait le terrain pour la coopération africaine autodéterminée, au lieu de la confrontation. »