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La junte du Burkina Faso emploie la conscription forcée pour réduire au silence les dissidents

PERSONNEL D’ADF

Le Dr Arouna Louré, anesthésiologiste, était en consultation avec des patients lorsque des soldats armés ont fait irruption dans la salle opératoire de son hôpital de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso.

« Ils m’ont fait comprendre qu’ils pouvaient me faire partir en employant une méthode modérée ou une méthode violente », a déclaré ce médecin de 38 ans à la BBC.

Les soldats l’ont mis dans une camionnette et l’ont emmené dans un camp d’entraînement militaire à des centaines de kilomètres de distance ; il a été enrôlé, a reçu un minimum de formation militaire et a été déployé en première ligne dans la guerre brutale du pays contre plusieurs groupes extrémistes violents.

Le Dr Louré a été enlevé en septembre 2023. Il a fait un service militaire pendant trois mois environ dans trois zones différentes, notamment celle de Koumbri, l’un des lieux les plus dangereux de la région du Nord.

Aujourd’hui, il proteste à l’égard des nombreux cas de critiques de la junte au pouvoir qui ont été réduits au silence par conscription forcée. Il pense qu’il a été puni à cause d’un article sur Facebook dans lequel il caractérisait les gouvernants militaires de « déserteurs constitutionnels » et critiquait la réponse de l’armée à une attaque des militants. « Dans ce pays, nous ne sommes plus libres de dire ce que nous pensons », déclare-t-il.

Il est l’un des quinze hommes burkinabés (au moins) qui ont récemment disparu ou ont été forcés de rejoindre la milice des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), selon les groupes de défense des droits de l’homme. Le gouvernement civil du Faso avait créé les VDP en 2020.

La liste comprend des journalistes, des activistes de la société civile, un imam et l’ancien ministre des Affaires étrangères Ablassé Ouédraogo, membre de l’opposition politique arrêté à la fin décembre. Chacun avait critiqué la junte pour ses abus contre les civils et pour ne pas avoir vaincu les insurgés en adoptant une approche uniquement militaire.

« Le but [de la junte] est d’humilier, déclare le Dr Louré. Si vous obéissez, ils vous prennent en photo et l’affichent sur les réseaux sociaux pour vous humilier. Si vous quittez le pays, ils vous qualifie de lâche. »

Les groupes de défense des droits et les avocats du Burkina Faso déclarent que la junte abuse le décret de « mobilisation générale » adopté en 2023, qui lui donne le pouvoir d’enrôler dans l’armée toute personne de plus de 18 ans.

« Les autorités burkinabés mènent une guerre légitime, mais répondre aux abus par d’autres abus n’est pas la solution », déclare Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel chez Human Rights Watch, à la BBC.

Le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte, utilise les VDP pour renforcer l’armée du Faso, qui lutte depuis plus de sept ans contre les extrémistes liés à l’État islamique et al-Qaïda. Les combattants extrémistes ont tué plusieurs milliers de personnes et ont forcé plus de 2 millions à s’enfuir, selon les Nations unies.

Les responsables du gouvernement ont déclaré que 50.000 personnes s’étaient portées volontaires pour rejoindre les VDP mais les insurgés ont réussi à occuper jusqu’à la moitié du territoire du pays, principalement dans le Nord.

Lorsqu’il avait saisi le pouvoir en septembre 2022, le capitaine avait promis d’améliorer la sécurité dans « deux ou trois mois » et de restaurer un régime civil au plus tard en juillet 2024, mais il a fait marche arrière.

« Il n’y aura pas d’élections qui se concentreraient seulement à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et les autres villes voisines », a-t-il déclaré dans un discours de novembre 2023, tout en précisant aussi son opinion de la conscription : « Les libertés individuelles [ne sont] pas supérieures à la liberté nationale. »

En février 2024, des photos ont été circulées sur les réseaux sociaux montrant le ministre Ouédraogo, âgé de 70 ans, en tenue de treillis, participant à des manœuvres militaires avec un AK-47. C’était la première fois qu’on le voyait depuis son arrestation.

Lorsque le Dr Louré a été libéré et qu’il est rentré chez lui à la fin décembre, il a déclaré que la conscription forcée avait seulement renforcé sa conviction que l’approche de la junte au contre-terrorisme est en voie d’échouer, et que la réduction au silence des dissidents aggrave les dangers pour les civils.

« Cette épreuve de la vie renforce ma conviction que la fondation nécessaire pour bâtir une nation de paix et de prospérité durable reste l’état de droit », a-t-il écrit sur Facebook le 13 décembre 2023.

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