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Faites Fleurir La Démocratie

Dans Une Période De Troubles, Les Forces Armées Peuvent Protéger Les Transitions Fragiles Vers La Démocratie

PERSONNEL D’ADF

Les manifestations du Printemps arabe ont balayé l’Afrique du Nord et le Proche-Orient au début des années 2010, lorsque les peuples se sont soulevés contre des années d’autocratie. Ces manifestations ont produit tout un éventail de résultats, depuis le chaos durable en Libye jusqu’à la séduction d’un régime démocratique dans l’Égypte voisine.

La portée du Printemps arabe s’est étendue à Bahreïn, aux Émirats arabes unis et au Yémen. Elle a allumé la mèche qui a causé l’explosion de la guerre civile sanglante syrienne, qui persiste encore.

Mais en Tunisie, nation de 12 millions d’habitants nichée entre l’Algérie et la Libye, les choses se sont passées différemment. Ces différences peuvent être attribuées en grande partie aux caractéristiques des forces armées tunisiennes et à la façon dont elles ont répondu aux manifestations. Les décisions prises par les commandants au moment crucial ont aidé à éloigner le pays d’un régime autocratique vers ce qui est depuis lors une démocratie relativement stable, quoiqu’imparfaite.

Des manifestants tunisiens brandissent des torches à Tunis pour célébrer le septième anniversaire du soulèvement qui a renversé le président Zine el-Abidine Ben Ali et lancé le Printemps arabe.
AFP/GETTY IMAGES

L’exemple de la Tunisie peut fournir une carte routière précieuse pour les autres armées. Lorsqu’un pays se trouve à l’orée de la démocratie, la façon dont ses forces armées répondent, ou choisissent de ne pas répondre, peut faire une différence cruciale.

« Qu’est-ce qui fait la différence entre un transfert démocratique et une transition mort-née ? C’est l’objet de la loyauté des forces armées », ont écrit le Dr Nathaniel Allen du  Centre africain pour les études stratégiques et le Dr Alexander Noyes, politologue à la Rand Corp., en 2019. « Lorsque les forces de sécurité soutiennent le parti politique d’un dictateur plutôt que l’opposition, comme c’était le cas au Togo ou au Zimbabwe, l’ancien régime reste au pouvoir par coup d’état ou avec des élections frauduleuses. Mais lorsque les forces de sécurité renversent le régime sortant, comme au Soudan ou en Algérie, ou lorsqu’elles restent en marge, comme en Éthiopie ou en Angola, il existe des opportunités de transformer le système politique grâce à des élections vraiment libres, pacifiques et équitables. »

L’EXPÉRIENCE DE LA TUNISIE

Les forces armées tunisiennes ont fini par faire le meilleur choix pour les habitants et pour les chances de démocratie en 2011. Mais peut-être la chose la plus fascinante est la motivation de ce choix. 

La taille, la structure et la connexion des forces armées au régime du président de l’époque, Zine el-Abidine Ben Ali, offrent une perspective. Alors que les manifestations commençaient en décembre 2010, les forces armées tunisiennes peu nombreuses (environ 40.000 soldats en uniforme) étaient essentiellement déconnectées du régime de M. Ben Ali parce que ce président autocratique avait créé un système dans lequel la force nationale de police et les gardes présidentiels et nationaux détenaient la majorité du pouvoir.

Cet éloignement a œuvré contre le régime lorsque les soldats ont refusé de se placer entre les manifestants et M. Ben Ali, lequel abandonna le pouvoir et s’enfuit du pays en janvier 2011. Plus de dix ans plus tard, le Dr Sharan Grewal appelle le Printemps arabe tunisien la « seule histoire à succès » puisque la Tunisie a réussi à préserver sa démocratie, bien qu’elle semble ténue.

M. Ben Ali et son prédécesseur Habib Bourguiba s’étaient appuyés sur un système de sécurité fragmenté qui éloignait les forces armées du régime en faveur des autres forces de sécurité, a écrit le Dr Grewal du Collège de William & Mary aux États-Unis pour la Brookings Institution en janvier 2021.

« Ce déséquilibre a été un avantage majeur pendant la révolution et la transition, lorsque l’armée marginalisée n’a pas défendu M. Ben Ali et a permis par la suite à la transition de se produire sans aucun intérêt particulier, écrit-il. En outre, le déséquilibre signifie que, sans l’armée, les forces de sécurité intérieure ne pouvaient pas préserver toutes seules M. Ben Ali ou organiser un coup d’état et enrayer la transition en 2013. »

En bref, l’armée a aidé à dynamiser la révolution et la marche du pays vers la démocratie en rejetant sa propre marginalisation, qui durait depuis longtemps. M. Ben Ali et son prédécesseur, comme l’a écrit le Dr Grewal pour le Carnegie Endowment en février 2016, ont gardé les soldats dans leurs casernes, manquant de ressources et d’équipement, loin des leviers du pouvoir politique et économique.

« Ce manque d’intérêts personnels leur a permis de surmonter rapidement le renversement de M. Ben Ali en janvier 2011, puis de se tenir beaucoup plus éloignés des développements de la politique nationale comparé aux autres forces armées de la région », écrit le Dr Grewal pour Carnegie.

Lorsque M. Bourguiba était au pouvoir, il a fini par s’appuyer davantage sur le personnel militaire pour la sécurité, et certains d’entre eux ont assumé un rôle plus politique. Mais M. Ben Ali, ex-général de brigade, a commencé son ascension en assumant des postes politiques civils et a fini par éliminer M. Bourguiba lors du coup d’état en douceur de 1987.

« Bourguiba n’aimait pas l’armée mais il la respectait », a déclaré au Dr Grewal le général Saïd el-Kateb (à la retraite), ex-chef d’état-major des forces armées. « Sous Bourguiba, l’armée était mieux traitée que la police en ce qui concerne le budget, l’équipement et la formation. Sous Ben Ali, le budget alloué à la police était plus élevé que celui de l’armée ; le nombre d’officiers de police a augmenté considérablement. Nous pouvions constater notre marginalisation. »

LE POUVOIR DES FORCES ARMÉES

Les commandants militaires tunisiens auraient pu ordonner aux soldats de se rendre dans la rue pour éradiquer violemment la rébellion civile dès le début. Au lieu de cela, les troupes ont soutenu le peuple et, finalement, la démocratie. Aujourd’hui, la Tunisie a selon le Dr Grewal « l’une des constitutions les plus progressives du monde » et continue son long périple compliqué vers la consolidation de la démocratie.

Les fleurs d’un manifestant tunisien sont placées dans le canon d’un fusil de soldat pendant les manifestations de janvier 2011. GETTY IMAGES

Malheureusement, certaines forces armées d’Afrique n’ont pas agi de la même façon que la Tunisie. L’histoire récente indique de nombreux exemples de forces armées qui prennent de mauvaises décisions concernant l’intervention dans les affaires politiques. Les antécédents de coup d’état du continent en sont la preuve.

Selon la Banque africaine de développement (AfDB), il y a eu plus de 200 coups d’état militaires entre le début des mouvements d’indépendance en 1960 et 2012. Environ 45 % ont réussi et ont conduit à un changement de pouvoir au sommet. L’étude a examiné 51 pays africains, et seulement dix d’entre eux n’ont jamais subi de coup d’état militaire réussi, ni même de tentative ou de complot de coup d’état militaire pendant cette période. Ils sont l’Afrique du Sud, le Botswana, le Cap-Vert, l’Égypte, l’Érythrée, le Malawi, Maurice, le Maroc, la Namibie et la Tunisie. Depuis lors, l’Égypte a été sujette à un coup d’état militaire.

L’étude de l’AfDB a montré que, pendant cette même période, 80 % des pays étudiés avaient été l’objet d’au moins un coup d’état, réussi ou non. Près des deux tiers (61 %) avaient subi entre deux et dix tentatives de coup d’état militaires.

Lorsque les forces armées s’ingèrent dans la politique d’un état démocratique, elles foulent au pied la souveraineté du peuple, écrit Craig Bailie, maître de conférences en science politique à l’université Stellenbosch d’Afrique du Sud, pour l’African Centre for the Constructive Resolution of Disputes (ACCORD, Centre africain pour la résolution constructive des litiges).

Un soldat zimbabwéen salut les civils à Harare après la démission de Robert Mugabe, président de longue date, en novembre 2017. Les forces armées ont chassé M. Mugabe et aidé à installer un autre chef civil. AFP/GETTY IMAGES

Les forces armées d’Afrique « doivent connaître, comprendre et accepter » leur place en politique. « Ceci conduira à ce que les experts en relations civilo-militaires appellent le “contrôle démocratique” de l’armée, écrit-il. Sans l’acceptation par l’armée des principes du contrôle démocratique, la démocratie ne peut pas exister. »

Le Dr Naison Ngoma, vice-chancelier de l’université Copperbelt en Zambie, a résumé les principes et les responsabilités généralement acceptés des forces armées professionnelles dans « Relations civilo-militaires en Afrique : avancer en terrain inconnu » pour la Revue sur la sécurité africaine de l’Institut pour les études de sécurité. Les forces armées doivent :

  • Rendre des comptes aux autorités civiles, à la société et aux agences de supervision appropriées.
  • Se conformer aux lois nationales et internationales.
  • Conduire leur planification et budgétisation de façon transparente.
  • Respecter les droits humains et défendre la civilité culturelle.
  • Se soumettre au contrôle politique en matière opérationnelle et financière.
  • Consulter régulièrement la société civile.
  • Se comporter de façon professionnelle.
  • Soutenir la paix et la sécurité collaboratives.

« Bien que la conformité à ces principes ne soit pas toujours facile, les CMR [relations civilo-militaires] en Afrique ont avancé dans la direction de l’observation de ces principes et continueront à le faire, écrit le Dr Ngoma. Il est donc essentiel pour les forces armées africaines d’inclure des programmes d’éducation civique à tous les niveaux d’éducation et de formation afin d’obtenir une meilleure compréhension de ces principes et un meilleur engagement avec eux. »

QU’EST-CE QUI INCITE LA LOYAUTÉ DE L’ARMÉE ?

Les Dr Allen et Noyes identifient cinq éléments qui peuvent indiquer comment les forces armées se comporteront pendant une transition potentielle vers la démocratie, pour déterminer si elles la soutiendront ou œuvreront contre elle.

Premièrement, plus les manifestations populaires sont inclusives, pacifiques et généralisées, moins il est probable que les soldats réagiront violemment contre elles. Si les manifestants sont unis sur les plans économiques, ethniques et religieux, les armées seront moins à-même de les réprimer, en particulier si les non-gradés sont représentatifs de la société. Tel était le cas en Algérie, en Éthiopie et au Soudan.

Un manifestant soudanais contre le régime embrasse un soldat près du quartier général militaire de Khartoum en avril 2019, le jour où le président autocratique Omar el-Beshir a été renversé par un coup d’état. AFP/GETTY IMAGES

Deuxièmement, si les forces militaires sont généralement représentatives de la population et sont recrutées et promues selon leur mérite, il est probable qu’elles soutiendront les transitions démocratiques. 

Un point crucial proposé par les Dr Allen et Noyes est que les forces armées agissent souvent dans leur propre intérêt. Les budgets, les salaires, les équipements, les conditions de vie, etc., peuvent avoir de l’influence. La marginalisation de l’armée tunisienne en faveur des autres forces de sécurité en est un exemple. Les soldats n’ont pas pensé qu’ils devaient intervenir contre le public. De même, le régime Ben Ali n’a pas dépendu d’eux et ne les a pas déployés pour sa défense.

Ce sentiment d’intérêt propre possède un double tranchant. Au Zimbabwe par exemple, l’armée est étroitement alignée aux responsables politiques. Bien qu’elle ait renversé le dictateur Robert Mugabe en 2017 après 37 ans au pouvoir, l’armée a installé un autre civil avec lequel elle avait des liens étroits.

« Ceci lui a permis de conserver son accès aux revenus tout en évitant les répercussions politiques qui auraient accompagné leur maintien continu au pouvoir », écrit le professeur Bailie pour ACCORD.

Emmerson Mnangagwa, choisi par l’armée pour remplacer M. Mugabe, a évité de justesse un deuxième tour de scrutin lors des élections contestées de 2018.

Les chefs politiques peuvent aussi s’appuyer sur leurs connexions personnelles aux forces militaires en utilisant des concessions et des encouragements pour aider à inciter les chefs militaires récalcitrants à soutenir des réformes plus démocratiques. Ceci a été le cas récemment en Éthiopie où le Premier ministre Abiy Ahmed a institué un certain nombre de changements, y compris la fin de la loi martiale, la libération des prisonniers politiques et l’assouplissement des relations avec l’Érythrée voisine. M. Ahmed est un ex-colonel de l’armée. De même, l’opposition civile doit pouvoir communiquer efficacement avec les forces de sécurité.

« Les groupes d’opposition au Soudan ont aidé à mettre fin au régime [du président Omar el-] Beshir en partie en faisant directement appel aux forces de sécurité et en évitant la violence, en restant unis et en organisant des occupations pacifiques devant le quartier général militaire », écrivent les Dr Allen et Noyes.

Finalement, la formation externe et le développement des capacités sont très efficaces pour prioriser la responsabilité, l’intégrité financière et les droits humains au lieu de la formation et la fourniture de matériel.

Le chemin entre la tyrannie et la démocratie n’est pas facile. La Tunisie a toujours des difficultés pour consolider pleinement ses réformes démocratiques durement obtenues. Le Soudan est au bord d’un précipice précaire plus de deux ans après avoir renversé un dictateur ; il pourrait toujours facilement sombrer dans le chaos. Les forces armées africaines basées sur le professionnalisme, la formation appropriée et la protection du public, et non pas en servant un régime, sont les mieux placées pour soutenir toute transition réussie vers la démocratie.  

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