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La nouvelle interdiction de consommer les animaux sauvages sera-t-elle efficace ?

PERSONNEL D’ADF

Bien qu’elle ait été à l’origine de deux pandémies mondiales, celles du SRAS et du Covid-19, au cours des 20 dernières années, la demande des animaux sauvages et des produits d’origine animale ne montre guère de signes de ralentissement. Ce commerce, largement promu par la consommation chinoise, continue à décimer un grand nombre d’espèces parmi les plus iconiques d’Afrique, et menace d’extinction plusieurs autres.

Bien que le gouvernement chinois ait fermé les marchés de faune sauvage et interdit la consommation de la viande d’animaux sauvages, il a aussi créé des vides juridiques pour la médecine traditionnelle chinoise (MTC) qui continuent à assurer l’existence d’un marché pour les animaux sauvages et les parties de leur corps.

Les chercheurs ont tracé l’origine du Covid-19 à la section de faune sauvage du marché humide de Wuhan, dans la Chine centrale. Le marché vendait du poisson, du poulet et autres aliments plus typiques, mais la section de la faune sauvage vendait des espèces plus exotiques. Parmi celles-ci, on comptait les chauves-souris, les pangolins et autres animaux vendus pour être utilisés dans la MTC ou comme nourriture rare pour les consommateurs riches.

Les scientifiques pensent que le nouveau coronavirus qui a semé la mort et la dévastation économique dans le monde depuis janvier dernier aurait pu être transmis d’un animal sauvage à la première victime humaine dans la section de faune sauvage du marché humide, avec ses conditions insalubres et encombrées.

Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, le gouvernement chinois a fermé les marchés d’animaux sauvages, interdit la consommation de la viande d’animaux sauvages et promis de renforcer la protection légale de la faune sauvage. Wuhan a interdit la consommation de la viande d’animaux sauvages pour une durée de 5 ans. Pékin a interdit les marchés lorsqu’une épidémie de Covid-19 s’y est déclarée en juin dernier.

Étant donné les antécédents peu reluisants du gouvernement pour gérer ce type d’épidémie (les marchés avaient rouverts après une brève fermeture due au SRAS en 2003), les experts déclarent que la durée de ces changements et la rigueur de leur mise en application sont douteuses.

« Une question majeure se pose : maintenant que cette interdiction temporaire est en place, sera-t-elle entérinée par un amendement de la Loi sur la protection de la faune sauvage ? », a déclaré Edward Cunningham, directeur des Programmes chinois du Centre Ash de l’université Harvard, à Deutsche Welle. « Le problème est dans les détails : comment mettre en application non seulement les mesures actuelles mais aussi les changements juridiques. »

Toute mesure prise pourrait être rendue inefficace par les vides juridiques en faveur de la MTC, qui utilise souvent les os, les organes et autres parties du corps des animaux sauvages, selon les critiques.

« Rien n’empêche les éleveurs de continuer leurs opérations comme d’habitude, tout en commençant à vendre leurs animaux sauvages d’élevage pour la médecine traditionnelle chinoise », déclare à Reuters Peter Li, professeur adjoint de politique d’Asie de l’Est à l’université de Houston.

La carence de la réglementation complique aussi sa mise en application, en particulier lorsque le trafic se fait de plus en plus en ligne et utilise des expéditeurs de fret commerciaux pour transporter les articles.

« En ce moment, les règlements qui spécifient la responsabilité des plateformes en ligne sont insuffisants », déclare Zhou Jinfeng, directeur de la China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation, à Al Jazeera. « S’ils ne jouent pas leur rôle et sont incapables de renforcer leurs mécanismes de surveillance, il sera difficile de mettre fin au commerce en ligne de la faune sauvage. »

Jusqu’à présent, les marchés humides ont été autorisés à rouvrir sans leur section de faune sauvage, mais l’Assemblée nationale populaire de Chine a clôturé sa réunion annuelle à la fin mai sans prendre de mesures pour enrayer le commerce de la faune sauvage. Selon le magazine Science, jusqu’à 6,3 millions de Chinois participent à ce commerce, dont la valeur annuelle pourrait atteindre 18 milliards de dollars.

Une grande partie du commerce chinois de la faune sauvage concerne des animaux élevés dans le pays, programme que le gouvernement chinois a encouragé depuis les années 80 pour faire sortir de la pauvreté les habitants des zones rurales. Dans l’ensemble du pays, 54 espèces d’animaux sauvages sont élevées pour leur viande, leur fourrure ou leurs organes utilisés dans la MTC.

Le gouvernement continue à subventionner les élevages de toute sorte, depuis les fermes de paons jusqu’à celles de rats des bambous, pour leur abattage dans les marchés d’animaux sauvages. La législature a récemment classé 33 espèces d’animaux, notamment plusieurs espèces de chevreuil, de renne, d’alpaga et d’autruche, comme « bétail spécial » comestible au lieu d’animaux sauvages.

Pour couronner le tout, la Chine reste le marché principal des animaux et des parties du corps des animaux africains, de provenance légale et illégale, notamment les cornes des rhinocéros braconnés, les ormeaux et les lions utilisés pour la MTC. Les pangolins, dont la consommation par les humains est désormais interdite, restent un ingrédient crucial de certaines potions de la MTC.

« Il est triste que la crise de la faune sauvage en Afrique ait coïncidé avec l’énorme présence économique de la Chine sur le continent africain », déclare M. Li à ADF.

Selon lui, entre 2009 et 2017, la Chine était la première destination pour le trafic illégal de l’ivoire des éléphants. Pendant cette même période, la Chine était aussi l’une des destinations principales pour le trafic des cornes de rhinocéros. Depuis une dizaine d’années, la Chine est aussi la destination principale des éléphanteaux, des rhinocéros, des pangolins, des chimpanzés et autres animaux sauvages.

« La Chine devrait réprimer ce commerce si elle ne veut pas que sa réputation soit détruite par les commerçants chinois scélérats qui se moquent complètement de la faune sauvage africaine, de la subsistance des habitants locaux et de la réputation même de la Chine », déclare M. Li.

Il dit que le commerce chinois complexe de la faune sauvage, depuis l’élevage national jusqu’aux braconniers internationaux et aux adeptes de la MTC, crée une situation pleine d’opportunités pour la transmission des infections entre espèces, comme celle du Covid-19.

« La Chine a beaucoup de lois qui auraient pu réduire le commerce, déclare M. Li à ADF. Mais cela fait trop longtemps que le commerce chinois de la faune sauvage est dans une situation d’anarchie complète. »

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