La Structure De Sécurité Du Code De Conduite De Yaoundé Se Concrétise Dans Le Golfe De Guinée
PERSONNEL D’ADF
Les professionnels de la sécurité du golfe de Guinée savent bien que la région des frontières maritimes est le meilleur endroit pour repérer les criminels en pleine mer.
C’est le lieu historique où les pirates, les pratiquants de la pêche illicite et les trafiquants se sentaient le plus en sécurité, sachant qu’ils pouvaient s’échapper vers les eaux d’un autre pays s’ils étaient confrontés.
« Ceci résume les activités des bandits », déclare le capitaine de vaisseau Boniface Konan de la Marine de Côte d’Ivoire. « Même si vous faites des recherches sur [le système d’identification automatique], vous verrez ces groupements situés précisément sur la frontière de chaque pays. »
Grâce à une architecture maritime régionale de sécurité, ces sanctuaires sont en cours d’élimination. Le Code de conduite de Yaoundé a été signé en 2013 par 25 pays d’Afrique centrale et occidentale. Il fournit une structure pour les opérations conjointes, le partage du renseignement et l’harmonisation des cadres juridiques. Le code comprend cinq zones, deux centres régionaux et un centre de coordination inter-régional (CCI) qui surveille plus de 6.000 kilomètres de côte et 12 ports principaux.
Le capitaine Konan, directeur intérimaire du Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest (CRESMAO) basé à Abidjan, déclare qu’aucun pays ne peut à lui seul relever le défi de la sécurité maritime.
« Nous partageons désormais le fardeau de la mission, déclare-t-il à ADF. Face aux menaces du golfe de Guinée, les chefs d’état ont bien compris qu’aucun pays ne pouvait agir tout seul. La zone économique exclusive (ZEE) peut s’étendre à 200 milles marins des côtes, mais cette zone reste minuscule. Vous ne pouvez pas conduire d’opération en restant dans les eaux territoriales. »
Le capitaine Konan déclare que cette coopération a été démontrée en décembre 2018 lorsque la Marine ghanéenne détecta des navires suspects qui, selon elle, détournaient du pétrole dans ses eaux près de la frontière avec la Côte d’Ivoire. Le Ghana afficha cette information au Centre multinational de coordination maritime, zone F, à Accra, pour sa transmission au CRESMAO d’Abidjan. Le CRESMAO alerta la Marine de la Côte d’Ivoire, laquelle intercepta les navires.
« Le Ghana et la Côte d’Ivoire ont travaillé ensemble sur cette affaire, et elle a abouti à un débriefing à Abidjan, au centre CRESMAO, déclare le capitaine Konan. Les navires ont été détenus, puis sujets à des poursuites dans le système judiciaire de chaque pays. »
L’AYSSM se concrétise
L’architecture de Yaoundé pour la sûreté et la sécurité maritimes (AYSSM) est basée sur une idée simple : partager l’information, coordonner les actions, renforcer les lois et clôturer les domaines de vulnérabilité.
Le capitaine Konan déclare que, dans le passé, les marines de la région étaient affectées par la maladie métaphorique de « cécité océanique ». Elles ne savaient pas ce que les marines voisines faisaient et ne connaissaient pas les menaces qui rôdaient au-delà des frontières.
Dans le système AYSSM, l’information est conçue pour être transmise depuis les marines nationales, les pêcheries et les ports. Cette information est aussi destinée à être transmise depuis les niveaux CCI et régionaux jusqu’à celui des navires en mer.
L’AYSSM « n’est pas seulement une belle idée sur papier ; elle produit de plus en plus de résultats concrets en mer », écrivent le Dr Ian Ralby, le Dr David Soud et Mme Rohini Ralby dans un article pour le Centre pour la sécurité maritime internationale. « En outre, la communauté des professionnels maritimes participant à la mise en œuvre de cette conception architecturale est de plus en plus interconnectée et travaille collectivement pour faire de la sûreté et la sécurité maritimes une réalité dans le golfe de Guinée. »
L’amélioration est urgente. En 2018, on a constaté 72 attaques de navire dans les eaux entre la Côte d’Ivoire et le Cameroun. Ce chiffre est plus de deux fois celui signalé en 2014, lorsque 28 navires avaient été attaqués. Au cours des six premiers mois de 2019, 30 attaques ont été enregistrées, ce qui fait de la région le lieu de piraterie le plus sensible du monde, selon un rapport du Bureau international maritime (IMB).
L’IMB déclare que 130 des 141 otages capturés dans le monde en 2018 l’ont été dans le golfe de Guinée.
Le capitaine Emmanuel Isaac Bell Bell de la Marine du Cameroun, affecté au CCI basé à Yaoundé, déclare que les attaques sont réelles mais que les progrès le sont aussi. En mai 2019 par exemple, la Marine du Togo a sauvé des marins et arrêté huit pirates à la suite d’une attaque près de Lomé. Ce même mois, les autorités ont déjoué une attaque similaire dans les eaux de la Guinée équatoriale et ont arrêté 10 pirates.
« Je crois que nous parlons beaucoup des incidents qui se produisent d’un jour à l’autre », déclare le capitaine Bell à ADF. « Mais nous ne parlons pas suffisamment des incidents qui ont été évités grâce aux mesures que les état ont prises, individuellement et collectivement. »
Dans son rôle stratégique, le CCI se base sur quatre principes généraux :
Promouvoir l’échange d’information : Les centres d’opération maritimes à un niveau national, zonal et régional doivent rester au courant de leurs activités respectives. Le capitaine Bell déclare que le CCI communique avec les parties prenantes par e-mail, téléphone et chat en ligne, et publie un rapport hebdomadaire.
Harmoniser les lois : Beaucoup de pays ont des lois maritimes obsolètes et inadéquates. Par exemple, un certain nombre de pays d’Afrique de l’Ouest n’ont pas adopté de loi pour traduire les pirates en justice. Certains autorisent seulement les poursuites intentées contre leurs propres ressortissants. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime travaille avec ces pays pour moderniser leurs lois.
Conduire une formation et des exercices régionaux : Il existe aujourd’hui un certain nombre d’exercices annuels dans la région pour encourager la coopération et le partage de l’information. Les États-Unis parrainent l’exercice annuel Obangame Express et la France organise l’Exercice de la marine pour les opérations maritimes. Le CCI s’associe également à des universités pour offrir des opportunités d’éducation aux professionnels de la sécurité maritime.
Promouvoir les opérations conjointes de mise en application des lois : Pour que les marines de plusieurs nations collaborent, il doit exister des protocoles d’accord précisant ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas l’être. Il est aussi utile de disposer de procédures opérationnelles standards harmonisées afin que toutes les marines, les forces de police, les gardes côtières et autres forces de sécurité suivent les mêmes règles pour arrêter, détenir et poursuivre les criminels capturés en mer.
La marche à suivre
Les chefs de l’AYSSM déclarent que le système fonctionne, mais qu’il est encore en développement. Les deux centres régionaux sont opérationnels mais attendent toujours l’arrivée des équipes internationales de certains pays membres. Le CRESMAO ne s’est pas relocalisé à son siège permanent.
Au cours des prochaines années, un certain nombre de problèmes devront être résolus pour améliorer la performance. Parmi ceux-ci figure la démarcation des frontières maritimes. Plusieurs pays du golfe de Guinée ont des frontières maritimes disputées ou non marquées. Un autre problème concerne la coopération inter-agences. Pour que le système soit efficace, l’AYSSM doit développer des protocoles d’accord pour les agences nationales, notamment les pêcheries et les ministères des transports des différents pays.
Enfin, il doit exister un accord sur la structure de commandement et de contrôle lorsqu’un navire franchit les eaux territoriales d’un pays ou passe d’une zone à l’autre. Ces problèmes incluent les procédures opérationnelles standards pour arrêter, aborder et chercher les navires, et pour déterminer qui a le droit de le faire.
Le capitaine Konan souligne que ces problèmes sont étudiés, mais que les marines de la région ne vont pas attendre que tout soit parfait. Elles collaborent déjà.
« Les marines et les acteurs de la mer n’attendent pas que le CRESMAO ait tout son personnel en place. Depuis l’adoption du Code de conduite de Yaoundé, la culture des efforts conjoints existe déjà », déclare-t-il.
Une autre étape recommandée par le Dr Ralby et ses co-auteurs concerne l’acquisition de la technologie de connaissance du domaine maritime (MDA) et de surveillance à un prix abordable, au niveau régional et CCI. Bien que le CCI et les centres régionaux aient des capacités MDA, le Dr Ralby déclare que des outils additionnels pour pister la pêche illégale, le transbordement des cargaisons et le détournement peuvent s’autofinancer.
« Si les agences de mise en application de la loi peuvent démontrer presque chaque fois leur efficacité grâce au succès de leurs interdictions lorsqu’elles déploient leurs ressources, ce succès peut devenir contagieux », écrivent le Dr Ralby et ses co-auteurs. « Cela peut aider à dynamiser les agences maritimes, dissuader les acteurs criminels, et en même temps accroître la volonté politique pour assurer la sûreté et la sécurité à long terme du domaine maritime. »
Le but final consistera à intégrer l’AYSSM dans un système continental, comme l’envisage l’Union africaine. Cette stratégie maritime intégrée 2050 pour l’Afrique établirait des centres de coordination régionaux tout autour du continent et, finalement, une zone maritime exclusive combinée qui éliminerait les barrières et encouragerait le commerce.
Lorsque cela se produira, selon le capitaine Konan, les frontières qui entravent les opérations de sécurité n’existeront plus. La coopération deviendra la norme plutôt que l’exception.
« Nous savons que nous ne devons pas détruire les frontières. Ce sont des frontières économiques et elles devraient le rester, déclare le capitaine Konan. Mais en ce qui concerne la sécurité, nous allons rompre toutes ces frontières. »
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