Africa Defense Forum

UN GROUPE RÉFUTE LES CROYANCES DE L’EIIL

Une organisation anti-extrémiste déclare que le « manuel » de l’EIIL est basé sur des distorsions du Coran

PERSONNEL D’ADF  |  photos par AFP/GETTY IMAGES

Au nom d’Allah, les combattants de l’EIIL ont commis des atrocités innommables.

Ils ont décapité des civils. Ils ont brûlé vif les gens. Ils ont violé collectivement des enfants âgés d’à peine 12 ans. Ils n’ont pas hésité à massacrer les femmes et les enfants au cours de la guerre contre leurs ennemis. Leurs ennemis sont tout simplement ceux qui ne font pas partie de leur groupe.

L’EIIL a massacré 1.700 musulmans – de jeunes recrues militaires – en juin 2014 dans un ancien palais de Saddam Hussein près de Tikrit (Irak). L’EIIL a filmé des vidéos de ces atrocités, en montrant des colonnes de jeunes hommes terrifiés, qui marchaient sous la menace des armes vers des charniers qu’ils pouvaient voir remplis de cadavres. D’autres ont été forcés de descendre des escaliers vers un petit quai du Tigre. Les recrues ont été tirées en avant et abattues d’une balle dans la tête. Leur corps est tombé dans le fleuve le long de la rive couverte de sang.

Un combattant irakien qui a rejoint les unités paramilitaires Hachd al-Chaabi pour lutter contre l’EIIL forme des soldats dans l’utilisation des armes.

Les combattants de l’EIIL sont des musulmans, mais quelle est l’interprétation du Coran qui pourrait vraiment justifier ces horreurs et encourager des musulmans à tuer leurs coreligionnaires ?

Depuis les premières années d’al-Qaïda, les extrémistes se sont appuyés sur un livre intitulé Gestion de la barbarie. Il avait été écrit par le stratège islamiste Abou Bakr Naji et publié sur l’Internet en 2004. Il décrit une stratégie pour exploiter les régions sujettes à des gouvernements faibles et des troubles sociaux. L’objectif final consistait à mettre fin à la monarchie saoudienne, lorsqu’al-Qaïda prendrait le contrôle de la capitale religieuse de La Mecque.

Toutefois, l’EIIL se base sur un ouvrage d’inspiration salafiste appelé Fiqh al-Dima, ou Jurisprudence du sang. Ce livre de 579 pages présente une interprétation du Coran qui justifie soi-disant les atrocités telles que la décapitation et l’esclavage. Il sert aussi de manuel opérationnel pour les djihadistes.

Le manuel préconise ouvertement le « massacre systématique » des ennemis présumés et encourage les extrémistes à utiliser tous les moyens nécessaires pour « arracher leurs âmes, séparer leurs esprits de leurs corps, nettoyer la terre de leur souillure ».

Des ouvriers irakiens reconstruisent un trottoir à Mossoul après la reprise de la ville des mains de l’EIIL.

Quilliam, groupe qui déclare être « la première organisation anti-extrémiste du monde », a passé deux ans à examiner et à transcrire le livre de l’EIIL. En 2018, il produit une réfutation théologique détaillée de l’interprétation « déformée » des enseignements islamiques de l’EIIL, qu’il appelle Combattre la terreur : une réponse à la théologie terroriste du kufr, par Salah Al-Ansari et Usama Hasan.

Cette réfutation déclare : « Il existe une absence saisissante d’analyse et de préoccupation concernant ce texte détestable et dangereux dans presque toutes les investigations culturelles occidentales et arabes. Nous espérons exposer et saper ce texte rébarbatif mais profondément insidieux et pernicieux. »

DES ANTÉCÉDENTS DE FAUSSE INTERPRÉTATION

Les auteurs notent que les mauvaises interprétations du Coran sont presque aussi anciennes que le Coran proprement dit. Ils citent un expert coranique qui avait déclaré il y a treize siècles : « Apprenez votre religion avant de la pratiquer, car ceux qui la pratique sans l’apprendre deviennent en général si fanatiques que l’assassinat devient une partie essentielle de leur comportement. »

Dans les temps modernes, déclarent les auteurs, l’Islam est sujet à un grand éventail d’interprétations et de courants de pensée, comme toutes les autres religions.

« Lorsqu’une attaque terroriste se produit, deux voix fortes se font entendre inévitablement : celle des musulmans et des non-musulmans qui nient que l’attaque est associée de façon quelconque à la foi musulmane, et celle des populistes d’extrême droite qui souhaitent présenter tous les musulmans comme des terroristes, écrivent les auteurs. Les extrémistes islamiques hochent la tête en exprimant leur consentement, puisqu’ils pensent que Dieu approuve ces actes de terreur. »

Ce membre d’une force paramilitaire garde la frontière entre l’Irak et la Syrie. Son groupe a été formé en 2014 en réponse à l’EIIL.

Quilliam déclare que l’idéologie de l’EIIL commence par l’« excommunication » de tous les régimes politiques actuels, car ils n’appliquent pas les enseignements véritables de l’Islam et ils sont tombés dans le piège de l’« ignorance préislamique ». Les partisans de l’EIIL ont donc le droit de lutter contre tous les mécréants et d’attaquer tous les pays non musulmans du monde qui n’ont pas signé de traité avec eux. Ils croient que cette situation doit continuer jusqu’à ce que l’Islam devienne la seule foi dominante.

Pour atteindre cet objectif, le manuel de l’EIIL justifie les assassinats, les kidnappings, les prises d’otages, les attentats suicides, les mutilations des cadavres, les décapitations, les massacres d’enfants et de non-belligérants, l’esclavage sexuel, la vente des organes humains, l’utilisation des armes de destruction massive et le génocide.

Quilliam déclare qu’il existe certains principes de base qui soutiennent les interprétations islamiques traditionnelles et correctes du djihad :

Le Coran enseigne que le djihad est une lutte perpétuelle et non violente pour le bien, la justice et la vérité, et contre le mal, l’injustice et la malhonnêteté.

Lors de sa mission de 13 ans à La Mecque, le Prophète Mahomet et ses disciples souffrirent de persécution, mais ils reçurent l’ordre de rester patients et non violents. Pendant cette période, les disciples du Prophète furent torturés et massacrés, mais en réponse ils ont dû rester pacifiques et non violents.

Pendant la mission de 10 ans du Prophète à Médine, un djihad militaire d’autodéfense fut finalement autorisé.

Le djihad militaire peut être déclaré uniquement par une autorité légitime. Dans les temps modernes, cela signifie que seuls les gouvernements légitimes ont l’autorité de déclarer un état de guerre ou un djihad militaire. Les acteurs d’autodéfense ou non gouvernementaux tels que les groupes terroristes ne détiennent aucune autorité islamique pour lancer l’appel aux armes au nom du djihad.

Le djihad militaire a aussi été légiféré pour protéger et encourager la liberté religieuse. Les musulmans sont autorisés à protéger la liberté religieuse des musulmans, des juifs et des chrétiens.

Le djihad militaire a toujours été tempéré par de fortes limitations éthiques.

Le Prophète parlait de l’obligation d’éviter de tuer les femmes, les enfants, les personnes âgées, les paysans, les moines et autres personnes en temps de guerre. Mahomet avait aussi interdit de couper des arbres, de brûler des vergers ou d’empoisonner des puits ou d’autres sources d’eau en temps de guerre. « Ces enseignements peuvent être considérés des précurseurs islamiques de l’éthique moderne de la guerre, telle que les Conventions de Genève ; ils s’inscrivent aussi dans un esprit islamique et doivent être regardés comme contraignants pour tous les musulmans du monde », déclare Quilliam.

« Le meilleur djihad est une parole de vérité face à un dirigeant tyrannique », déclare le Prophète. Le djihad est donc une lutte universelle pour le bien et contre le mal.

Le djihad externe, lutte pour le bien et la vérité dans le monde, est toujours renforcé par le djihad interne, lutte contre les vils désirs en soi-même.

Tous les efforts charitables ou les luttes pour le bien, la vérité et la justice et contre le mal et l’injustice entrepris par les musulmans aujourd’hui peuvent s’appeler un djihad.

UNE MENACE POUR LE MONDE

Quilliam déclare que le manuel de l’EIIL définit le djihad comme une déclaration de guerre contre tous ceux qui ne sont pas musulmans et qui vivent hors des territoires islamiques, jusqu’à ce qu’ils se convertissent à l’Islam, qu’ils acceptent d’être gouvernés par des musulmans, ou qu’ils paient des impôts réservés aux non-musulmans pour montrer leur soumission. Les auteurs déclarent qu’une telle interprétation est une menace contre l’ordre international parce qu’elle adopte une politique territoriale sans frontière qui sera mise en œuvre par des guerres sans fin.

Les auteurs signalent des exemples dans le manuel où les passages du Coran sont cités sans tenir aucun compte de leur contexte. Dans un certain passage, la référence à des personnes est interprétée comme une référence à tout le monde, alors qu’il s’agit seulement d’un groupe particulier de conquérants de l’époque de Mahomet. 

« Une erreur cruciale de l’auteur du livre de l’EIIL, et de son idéologie mensongère, est le focus sur des points spécifiques du droit islamique, tout en ignorant les principes d’éthique et de philosophie qui le régissent », déclare Quilliam. Ceci permet à l’EIIL d’isoler une section de texte « pour soutenir un argument et en même temps invalider le Coran. »

Les auteurs mentionnent spécifiquement les armes de destruction massive dans leur étude, en les définissant comme tout ce qui cause des massacres systématiques, par exemple la mise à feu de tout un village. De telles armes, écrivent-ils, ne permettent pas de différencier les combattants des non-combattants et sont interdites par le Coran. 

Selon les propres règles d’engagement du Coran, les civils doivent rester sains et saufs. Quilliam déclare que, même si les armes de destruction massive pouvaient être utilisées uniquement contre des cibles militaires, elles tueraient et mutileraient les gens de façon tellement horrible qu’elles enfreindraient les enseignements islamiques concernant le combat sans cruauté. Il déclare finalement que de telles armes provoquent des dommages durables de l’environnement, « résultat qui doit être évalué selon la perspective des appréciations morales islamiques, puisque la vie, étant la création de Dieu, est précieuse, quels qu’en soient les avantages obtenus par les êtres humains ».

LES EXPERTS DÉNONCENT LES EXTRÉMISTES

Les auteurs de Quilliam ne sont pas les premiers experts musulmans à condamner les extrémistes. En 2010, l’expert islamique Mohammad Tahir ul-Qadri émet une fatwa de 600 pages déclarant que les terroristes musulmans sont voués à l’enfer.

Une fatwa est une opinion religieuse concernant le droit islamique émise par un expert islamique. Elle est souvent émise pour susciter une prise de conscience et fournir une clarification concernant une question particulière pour les musulmans, qui peuvent ensuite décider s’ils souhaitent la suivre. 

De façon tout à fait brusque, le Dr Tahir-ul-Qadri déclare que ses recherches prouvent que « l’assassinat des musulmans et l’exécution d’actes terroristes sont non seulement illégaux et interdits par l’Islam, mais ils représentent aussi un rejet de la foi ». Il déclare que sa fatwa est nécessaire parce que, dans l’esprit de certains occidentaux, l’Islam et le terrorisme sont devenus synonymes. La conclusion du résumé de la fatwa sur les attentats suicides et le terrorisme est la suivante : « Les attentats suicides et les attaques contre les cibles civiles sont non seulement condamnés par l’Islam, mais leurs auteurs en deviennent complètement exclus de l’Islam. »

En 2010 aussi, une confédération d’experts musulmans éminents s’est réunie à Mardin (Turquie) pour étudier une fatwa émise par l’expert du 14ème siècle Ibn Taymiyya, laquelle avait été mal interprétée depuis longtemps. Ces 15 érudits provenant de plusieurs pays du monde musulman, notamment l’Inde, l’Indonésie, l’Iran, le Koweït, le Maroc, l’Arabie saoudite, le Sénégal et la Turquie, ont déclaré que la fatwa, utilisée par les radicaux pour justifier les assassinats au nom de l’Islam, ne pouvait pas être utilisée pour justifier le terrorisme dans le monde moderne, où la foi et les droits civiques sont respectés. En cette même année, le Conseil des oulémas d’Arabie saoudite a émis une fatwa citant le Coran pour déclarer que le financement du terrorisme était une violation du droit islamique, sujette à punition.

Mais la fatwa du Dr Tahir-ul-Qadri s’est distinguée par son analyse et ses détails. Cette fatwa, publiée depuis lors sous forme de livre, inclut des références au Coran, aux hadiths, aux opinions des compagnons du Prophète et aux « textes classiques d’études islamiques généralement acceptés ». 

La fatwa condamne le terrorisme mais va plus loin, en critiquant les musulmans qui se taisent face à la violence. « On ne peut pas nier le fait que la grande majorité des musulmans opposent et condamnent le terrorisme sans équivoque, et qu’ils ne sont pas prêts à accepter qu’il soit lié, même de loin, à l’Islam d’une façon quelconque », écrit le Dr Tahir-ul-Qadri. 

« L’assassinat des musulmans et la commission d’actes terroristes sont non seulement illégaux et interdits par l’Islam, mais ils représentent aussi un rejet de la foi. C’est un fait établi : toutes les autorités expertes ont eu la même opinion du terrorisme au cours des 14 siècles d’histoire de l’Islam. »

Le Dr Tahir-ul-Qadri est spécifique lorsqu’il dresse la liste des personnes que les musulmans ont le droit de tuer : les soldats ennemis pendant la guerre, et personne d’autre.

De façon peut-être prévisible, le groupe islamique militant Tehrik-e-Taliban basé au Pakistan a ajouté le Dr ul-Qadri à sa liste des personnes à abattre après la publication de sa fatwa.  

Comments are closed.