Africa Defense Forum

UNE MISSION FAIT ENTENDRE SA VOIX

LA MISSION DE L’UNION AFRICAINE EN SOMALIE A REDÉFINI SON MESSAGE POUR COMBATTRE AL-SHEBAB

PERSONNEL D’ADF | PHOTOS DE L’AMISOM

La Mission de l’Union africaine
en Somalie (AMISOM) a parfois
eu des difficultés pour transmettre son message. La mission a fait plusieurs faux départs en essayant de communiquer avec
les civils somaliens, les habitants des pays contributeurs de soldats et le monde en général.

Aujourd’hui, après 11 années d’existence, l’équipe de communication de la mission a appris la polyvalence et l’improvisation. En mai 2018, la mission a commencé à faire le point sur ses accomplissements et a invité des journalistes à participer au processus.

Des officiers de police de l’état du Jubaland participent à un défilé à Kismaayo.

L’auto-évaluation a duré environ un mois, au cours duquel des journalistes du Burundi, de Djibouti, de l’Éthiopie, du Kenya et de l’Ouganda, pays contributeurs de troupes à la mission, ont visité des bases militaires de Somalie. Le lieutenant-colonel Richard Omwega, porte-parole de la mission, déclare qu’il voulait que les journalistes voient ce que leurs concitoyens faisaient en Somalie.

« Nous voulons que vous soyez témoins de ce qui se passe pour utiliser ces informations dans les reportages sur le prix que paient vos frères et vos sœurs », déclare-t-il, selon le journal ougandais Daily Monitor.

L’AMISOM est en Somalie depuis 2007. Son mandat consiste à soutenir le gouvernement dans ses efforts de restauration de la paix et de la stabilité. Sa mission consiste à développer les capacités des forces de sécurité somaliennes et de réduire les menaces dues à al-Shebab et aux autres groupes de militants. Il est prévu que le mandat de l’AMISOM prendra fin en 2021, et les Nations unies s’attendent à ce que la taille de la mission soit réduite d’ici à cette date. En décembre 2017, les effectifs de la mission ont été réduits de 1.000 personnes et il est anticipé qu’une autre réduction de 1.000 personnes aura lieu en octobre 2018, pour atteindre des effectifs d’environ 20.600.

La mission a enregistré sa part de succès. Elle a protégé deux gouvernements somaliens de transition et des processus électoraux qui ont conduit à des nouveaux gouvernements nationaux en septembre 2012 et en février 2017.

DES ADVERSAIRES HABILES

La Somalie a souffert d’une crise qui dure depuis plus de deux décennies et al-Shebab représente la plus forte menace pour sa stabilité. Le groupe extrémiste veut détruire le gouvernement central somalien et établir son propre régime basé sur une interprétation stricte des lois islamiques. Le groupe conduit aussi des attaques au Kenya, surtout dans la région frontalière de la Somalie, pour faire pression sur le gouvernement kényan afin que les troupes kényanes quittent la Somalie.

Bien qu’al-Shebab ait enregistré des revers au cours des derniers mois, il est toujours une force dangereuse en Somalie et peut continuer à transmettre son message de façon efficace. Dans son étude de 2018, « Communications stratégiques pour les opérations de paix : La guerre de l’information de l’Union africaine contre al-Shebab », Paul D. Williams de l’université George Washington remarque que les militants d’al-Shebab « ont uniformément, et parfois avec justesse, représenté les gouvernements somaliens successifs comme étant faibles, corrompus et illégitimes. »

« Les deux plus importants outils d’al-Shebab étaient la radio et l’Internet, écrit M. Williams. Ils avaient créé un ministère de l’information qui utilisait un réseau de stations de radio FM (et quelques stations de télévision) appelé al-Andalus et leur service médiatique rebaptisé Fondation médiatique et chaîne d’actualités Al-Kataëb créait des productions sur de multiples plates-formes en anglais et en somalien, avec des extensions en swahili, norvégien, suédois et même ourdou. »

Hate Speech International déclare qu’al-Shebab commença à diffuser des messages médiatiques en 2007 avec des films de propagande dont l’objectif principal était de recruter des combattants étrangers.

« Dès 2009, le groupe avait considérablement perfectionné sa campagne médiatique et la qualité de ses productions audiovisuelles, ce qui permit à son dispositif médiatique de produire des films de plus en plus sophistiqués, en plus de productions écrites, audio/radio et photographiques », conclut le groupe d’investigation dans un rapport de 2016.

M. Williams déclare à ADF qu’al-Shebab continue à avoir « une présence médiatique importante » en Somalie. « Il produit des histoires quotidiennes en somalien et s’efforce de diffuser ses messages clés grâce à divers interlocuteurs médiatiques. Il continue aussi à produire des vidéos, bien que cette production semble être moins fréquente qu’elle ne l’était il y a quelques années. »

Des gardiens de la paix de l’AMISOM posent pour une photo lors de la Journée des femmes en mars 2018.

Il ajoute que l’AMISOM fait un meilleur travail pour répondre à la propagande d’al-Shebab.

« Aujourd’hui, l’AMISOM produit beaucoup plus qu’auparavant, y compris des vidéos courtes, un magazine officiel de la mission et de nombreuses annonces de presse. Ses efforts principaux aujourd’hui devraient être de s’assurer qu’elle devienne une source d’information fiable, ainsi que de contester les communications stratégiques d’al-Shebab. »

PLUS QUE DES GARDIENS DE LA PAIX

La volatilité de la Somalie signifie que, dès le début, les gardiens de la paix de l’AMISOM devaient faire plus que ceux affectés à d’autres régions du monde. En avril et mai 2008, les troupes de l’AMISOM et les forces nationales de sécurité somaliennes ont évacué plus de 10.000 personnes menacées par de violentes inondations.

Les officiels déclarent que l’AMISOM est depuis longtemps sujette à de grandes attentes de la part des Somaliens et de la communauté internationale. Cheryl Sim, ancienne conseillère de la force opérationnelle interarmées combinée pour la Corne de l’Afrique, déclare au groupe de renseignement Cipher Brief qu’on anticipait que les troupes de la mission s’engagent dans des activités de gouvernance, notamment les efforts civiques et humanitaires, tâches dont la responsabilité devrait incomber au gouvernement somalien et aux gouvernements régionaux. Elle déclare que la mission n’avait jamais été équipée ou financée pour effectuer ce genre de travail.

« Une chose que je voudrais dire, c’est que la communauté internationale devrait se concentrer sur les forces de sécurité de la Somalie, plutôt que d’essayer d’améliorer l’efficacité de l’AMISOM, en particulier parce que cette dernière ne peut pas durer indéfiniment, déclare-t-elle à ADF. Que l’AMISOM ait ou non une stratégie de communication efficace est à côté du sujet lorsque les forces de sécurité somaliennes, militaires aussi bien que policiers civils, ne sont pas capables de sécuriser et de garder de façon fiable les zones abandonnées par al-Shebab. »

La stabilité du pays, déclare Mme Sim, se trouve fermement entre les mains des Somaliens. « Certains peuvent soutenir que l’AMISOM n’a pas obtenu les moyens de renforcement dont elle avait besoin pour faire de plus grandes avancées, mais sans la présence de forces somaliennes capables de conserver les gains par elles-mêmes, la question des renforcements est sans objet. »

LA DIFFUSION DU MESSAGE

L’AMISOM s’est efforcée de concevoir des messages pour expliquer sa mission aux civils. En 2017, l’Initiative sur les droits des réfugiés internationaux a publié l’étude intitulée « Ils disent qu’ils ne sont pas ici pour nous protéger. Perspectives civiles sur la Mission de l’Union africaine en Somalie ». Cette étude était le résultat d’entretiens avec 64 Somaliens et montre que beaucoup d’entre eux ne comprenaient pas ce que l’AMISOM essayait de réaliser.

« Bien que l’on sache généralement que l’AMISOM est chargée de conduire des opérations offensives contre al-Shebab et de protéger les institutions gouvernementales, d’autres aspects de son mandat sont beaucoup moins connus, selon l’étude. Ce manque de compréhension correcte du mandat contribue à des critiques extrêmes de la part de certains, notamment ceux qui vivent dans les zones sujettes à de hauts niveaux d’insécurité. »

Le rapport montre aussi que certains gardiens de la paix sont meilleurs que d’autres. Beaucoup de personnes interviewées ont exprimé une méfiance concernant certains contingents de l’AMISOM à cause de conflits antérieurs. Mais le contingent de maintien de la paix de Djibouti est considéré bien meilleur, « principalement grâce à leurs efforts visant à bâtir des relations avec la communauté et à fournir des services aux communautés voisines ». Les membres de la force opérationnelle Corne de l’Afrique ont remarqué que le contingent de Djibouti souhaitait améliorer ses aptitudes de communication.

Certaines personnes interviewées se sont plaintes des abus commis par les gardiens de la paix eux-mêmes. Ces abus n’ont pas pu être vérifiés ou documentés. Le rapport note que l’AMISOM a établi plusieurs mécanismes pour faire face à de tels abus, mais les victimes présumées n’avaient pas connaissance de l’existence d’un recours.

Le rapport conclut que l’AMISOM devait mieux communiquer : « l’AMISOM doit répondre à la perception courante selon laquelle elle est incapable de protéger les civils et d’assurer des communications plus efficaces avec la population locale en ce qui concerne le mandat, les activités et la stratégie de sortie de la mission. »

COMMUNIQUER AVEC LES GENS À L’AIDE DE LA RADIO

La radio est depuis longtemps le média africain dominant et l’AMISOM l’a intégrée dans ses campagnes médiatiques. En 2010, l’équipe de soutien de l’information de l’AMISOM produit The Misleaders (Les Trompeurs), drame radiodiffusé en 10 épisodes, visant à combattre al-Shebab en se concentrant sur les tactiques qu’il utilise pour endoctriner les jeunes et les femmes. Chaque épisode durait 30 minutes. La série a été suivie par une autre production de 10 épisodes appelée Happy People Can’t Be Controlled  (Les gens heureux ne peuvent pas être contrôlés).

L’équipe d’information a aussi produit un certain nombre de vidéos, y compris Gate of Hope (Portail de l’espoir), Somalia Back from the Brink (La Somalie s’éloigne du précipice), AMISOM Hospital (Hôpital de l’AMISOM), et Mayor of Mogadishu (Le maire de Mogadiscio). Contrairement aux épisodes radio dramatiques, les vidéos sont principalement en anglais et ciblent des auditoires hors de la Somalie.

En 2016, l’AMISOM commença à former ses responsables des informations publiques pour qu’ils utilisent la technologie de la « mallette radio ». C’est un système de diffusion portable et économique comprenant un ordinateur portable, un mélangeur audio, un magnétophone numérique, un lecteur médiatique, des microphones et d’autres équipements pour établir rapidement et facilement une station de radio temporaire dans les zones éloignées ou les lieux de catastrophes. Les responsables de l’AMISOM déclarent que les systèmes seront utilisés pour améliorer les communications entre la mission et les populations locales.

Des troupes djiboutiennes nouvellement déployées arrivent à Beledweyne pour participer à la Mission de l’Union africaine en Somalie en janvier 2018.

« En Somalie, la radio est un outil de communication vital utilisé pour diffuser des informations, et peut-être plus de 80 % des gens en possèdent une », déclare le colonel Daher Aden, chef d’état-major militaire intérimaire de l’AMISOM, lors du commencement de la formation officielle sur ces systèmes. « Ce concept a l’avantage de pouvoir immédiatement diffuser des informations vitales à un vaste auditoire en cas de crise. Les forces armées peuvent utiliser cette fonctionnalité pour communiquer avec les villageois et les anciens et partager des idées avec la communauté. Cela améliorera la capacité d’interface des soldats avec les populations locales. »

En avril 2018, l’AMISOM commence à examiner ses capacités technologiques d’information et de communication afin d’améliorer son efficacité. Le Centre pour les journalistes africains Actualités Afrique signale qu’une équipe de 39 cadres de l’information et de la communication ont conduit un examen de la technologie et des ressources pour améliorer les systèmes de communication et sécuriser les réseaux.

« Pour que toute opération de soutien de la paix ou toute autre opération fonctionne efficacement, le commandement et le contrôle militaires doivent dépendre d’un réseau de communication complexe incluant l’équipement, le personnel et les protocoles de communication pour transmettre les informations entre les forces », déclare au service d’actualités le major-général Charles Tai Gituai, commandant de force adjoint de l’AMISOM chargé des opérations et de la planification.

LES QUATRE LEÇONS

Dans son étude de 2018, M. Williams énumère quatre leçons cruciales sur les communications, apprises par l’AMISOM :

Le déploiement d’une opération de paix sans capacité pour conduire une campagne de communication stratégique efficace est une erreur grave. M. Williams déclare que l’Union africaine a besoin d’une capacité de communication stratégique permanente qu’elle pourra utiliser dans les opérations futures de maintien de la paix. Une telle capacité inclurait le développement de politiques et de plans. Puisqu’il n’existe pas de stratégie unique qui fonctionne dans toutes les situations, la capacité de l’UA devrait inclure une adaptabilité « en fonction des besoins sur le terrain ».

Assurez-vous que votre message de politique de communication est clair, cohérent et réaliste. Précisez vos objectifs et expliquez comment les auditoires particuliers peuvent être contactés et influencés. Pour l’AMISOM, développer une politique claire n’était pas suffisant ; elle devait être mise en œuvre par les pays participant à la mission.

Les communications stratégiques efficaces d’une mission nécessitent souvent un état d’esprit explorateur et une volonté de prendre des risques. Dans le cas de l’AMISOM, les communicateurs devaient évoluer rapidement dans leur travail. L’équipe d’information, déclare M. Williams, était initialement conçue pour « mettre en œuvre une approche stratégiquement focalisée et décentralisée à la conception des projets ». Après 2013, cette approche a été largement abandonnée. L’équipe d’information de l’AMISOM devait s’adapter et « la capacité de prendre des risques était cruciale ».

À cause du besoin d’expertise concernant la dynamique des conflits locaux, vous nécessiterez probablement une équipe principalement locale pour assurer le succès à long terme. Avec l’AMISOM, il n’y avait pas initialement d’expertise locale disponible pouvant gérer une mission de communication d’une telle portée et complexité. Au cours du temps, la situation s’est améliorée au point que l’équipe de soutien de l’information était constituée de plus de 50 % de personnel local.

Le manque d’argent ou de ressources est souvent considéré comme la cause des mauvaises communications dans les missions telles que l’AMISOM. Mais M. Williams déclare à ADF que d’autres facteurs sont plus importants.

« Toutes les opérations de paix ont besoin des ressources nécessaires pour créer une équipe de communication stratégique efficace, déclare-t-il. Il n’est pas nécessaire que cela soit très coûteux, mais un soutien politique durable de la part du leadership de la mission et des pays contributeurs est requis. Il est aussi nécessaire de développer une stratégie de communication claire et cohérente pour livrer des produits qui soutiennent la mise en œuvre des tâches requises. »

M. Williams ajoute que la fiabilité reste le facteur crucial de la stratégie de communication de l’AMISOM.

« Les communications de l’AMISOM devraient cibler de multiples auditoires, et l’importance de ces auditoires pourrait varier en fonction de la tâche à exécuter, déclare-t-il. Assurer que le type correct de message atteigne la population locale, le gouvernement hôte, les partenaires externes et les pays contributeurs et gardiens de la paix est un exercice d’équilibrisme difficile. Mais pour tous ces auditoires, l’équipe de communication stratégique de l’AMISOM doit développer une réputation comme source d’information fiable et crédible. Sans crédibilité, aucun élément de communication n’aidera la mission. »

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