Le ravitaillement de missions de maintien de la paix complexes est entravé par l’éloignement et le manque d’infrastructures
Chaque mission internationale de maintien de la paix se voit confrontée à une longue liste de problèmes logistiques. Les postes des missions sont inévitablement établis dans des zones qui sortent d’anciens conflits, souvent ancrés dans des luttes ethniques ou politiques de longue date.
Les forces des Nations Unies et de l’Union africaine sont toujours composées de contingents internationaux. Parfois, des dizaines de pays du monde entier convergent vers une région, chacun apportant des centaines de soldats, de policiers, de ravitaillement, d’armes et de véhicules.
Une fois sur le théâtre des opérations, les forces doivent voyager sur de longues distances, établir d’énormes camps et construire des hôpitaux de campagne. Les chaînes de ravitaillement doivent être rapides, efficaces et sûres. Il peut se passer tellement de choses en route : les déploiements sont souvent retardés, le temps s’en mêle, la violence éclate et le terrain difficile est obstinément impassable, obligeant à des adaptations et des contournements.
Chaque kilomètre de la chaîne est un casse-tête de plus – un problème à résoudre, une situation à surmonter. Nulle part cela n’est plus évident qu’au Mali.
La mission de maintien de la paix de l’ONU y a vu le jour en 2013, lorsque la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a repris le flambeau de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine. Le mandat de la MINUSMA prévoit 12.680 soldats en uniforme, agents de police et tout ce qui implique le soutien à une telle force.
En juin 2013, l’exercice Western Accord à Accra, au Ghana, a préparé les commandants de la mission à l’aide d’une série de scénarios de poste de commandement au Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix. Il était déjà évident, à l’époque, pour l’un des participants à l’exercice, que le Mali serait une source d’importants problèmes.
Le général de brigade nigérian Koko Essien, un vétéran des missions de maintien de la paix au Burundi, en Sierra Leone et en ex-Yougoslavie, a examiné la géographie du Mali. Son évaluation à l’époque pour ADF était brève et concise : « Ce sera un cauchemar logistique au Mali ».
PARVENIR JUSQU’À TOMBOUCTOU
À une certaine époque, Tombouctou était un important carrefour et un centre spirituel et intellectuel islamique. L’ancienne ville du négoce de l’or a longtemps été synonyme d’éloignement. Dans le jargon populaire, son nom signifie le bout du monde et pour les forces de la MINUSMA, l’éloignement de la ville prend une signification toute littérale.
Comme certains de ses voisins – notamment l’Algérie, la Mauritanie et le Niger – le Mali a une capitale, Bamako, qui est située au bout d’un vaste territoire et où sont concentrées l’infrastructure, les ressources et l’administration. Voyager de Bamako à Tombouctou et Gao est pénible et prend beacoup de temps, dépit de distances qui ne dépassent pas 1.000 kilomètres. Les deux villes sont grosso modo à mi-chemin entre la capitale et la frontière la plus au nord du pays qui couvre 1,2 million de kilomètres carrés. Le sable du Sahara prolifère au nord, des collines et des formations rocheuses de granit couvrent le nord-est et les savanes prévalent dans le sud. Le Niger et d’autres cours d’eau traversent le milieu du pays à son point le plus étroit, ajoutant à la liste des problèmes logistiques.
Le général Essien était commandant du secteur ouest à Tombouctou d’août 2013 à août 2014. Juste avant de partir, il a commandé une force de réaction rapide de 450 hommes et trois bataillons de 850 hommes chacun. Un quatrième bataillon avait été prévu, mais n’était pas encore arrivé. Il a confié à ADF que lorsqu’il était à Western Accord, il n’aurait pas pu imaginer le nombre de problèmes logistiques que présentait le Mali.
« En fait, ce que j’ai dit à l’époque était même plus optimiste que ce que j’ai trouvé sur le terrain, parce que c’était le cauchemar logistique absolu. C’était encore pire que ce à quoi je m’attendais », a-t-il déclaré.
MALI : L’HISTOIRE DU TERRAIN
« Overcoming Logistics Difficulties in Complex Peace Operations in Remote Areas » (surmonter les problèmes logistiques dans des opérations de paix complexes dans des zones reculées) une étude parue en 2014 de Katharina P. Coleman, de l’université de British Columbia, énumère les problèmes auxquels est confrontée une mission comme la MINUSMA.
Le Mali, pays enclavé, incarne les problèmes de « l’éloignement extérieur » et de « l’éloignement intérieur ». Avant même d’avoir posé le pied sur le terrain, les organisateurs doivent réfléchir à la manière de transporter les troupes, le ravitaillement et le matériel sans pouvoir utiliser un port maritime ou un aéroport bien équipé.
Cet éloignement prend beaucoup de temps et coûte cher, écrit Katharina Coleman et peut faire l’objet d’atermoiements politiques et bureaucratiques de la part des pays voisins, au moment de négocier les autorisations de transit et de survol.
Le général Essien a expliqué que seul l’aéroport international de Bamako-Sénou, dans la capitale, est capable de recevoir de grands jets commerciaux. Cela signifie que toute cargaison arrivant par avion au Mali doit être déchargée et rechargée dans des camions ou dans des avions militaires plus petits comme des C-130, pour être transportée vers les bases au nord à Tombouctou et Gao. Mais ce n’est qu’un premier obstacle, les plus grands défis sont encore à venir.
ALLER DU POINT A AU POINT B AU MALI
L’éloignement intérieur se réfère à la difficulté d’accéder à des zones primaires d’opérations à l’intérieur du pays hôte. « Les régions éloignées à l’intérieur sont souvent sous-développées et sous-desservies en termes d’infrastructure nationale, de sorte que les transports, les communications et l’infrastructure médicale peuvent être rares », écrit Katharina Coleman, professeure associée en sciences politiques. « Ainsi, du fait de cet éloignement intérieur, l’opération nécessite davantage de moyens de transport aérien, unités de génie (y compris des ingénieurs en construction routière et aéroportuaire), et sociétés de transport lourd, que les Nations Unies ont parfois du mal à obtenir des États (surtout en temps utile) et qui sont chers à se procurer auprès de sous-traitants. »
Ce sont ces types de problèmes auxquels ont été confrontées les forces du général Essien à Tombouctou. À commencer par le transport aérien ; certains pays occidentaux ont fourni quelques C-130, mais beaucoup de transports dépendaient de convois de camions voyageant de Bamako à Tombouctou, Gao et ailleurs. Des convois de 50 à 60 camions partaient vers le nord et à peu près à mi-parcours, les routes disparaissaient pour faire place au désert. Les camions transportant de gros conteneurs s’enlisaient dans le sable et en période de pluie, les routes étaient inondées. Les camions devaient attendre que les eaux se retirent. Parfois, a raconté le général Essien, les camions bloqués voyaient la nourriture qu’ils transportaient pourrir, après avoir attendu plusieurs jours les rares dépanneuses militaires qui devaient les sortir de là.
Arrivés à près de 20 km de Tombouctou, un obstacle restait à franchir : la traversée du Niger. Il fallait utiliser des bacs et ceux-ci ne peuvent contenir que deux ou trois camions à la fois. Avec un convoi de 50 camions, cette opération pouvait prendre jusqu’à cinq jours. « Comme les points d’embarquement ne sont pas très sophistiqués, charger trois camions sur le bac prend beaucoup de temps », a expliqué le général Essien. « Les décharger de l’autre côté prend aussi beaucoup de temps, c’était un vrai désastre. »
Le réseau routier – ou son absence – et les problèmes associés au transport aérien et à la traversée fluviale mettent en évidence un problème d’infrastructure général au Mali et dans toute l’Afrique. Seulement un quart des 22.000 kilomètres de routes au Mali sont asphaltés.
« Nous avions des camions qui arrivaient après cinq ou six jours de leur départ de Bamako, a-t-il dit, et nous avions des camions qui avaient mis trois semaines pour venir de Bamako. »
CONTOURNER LES PROBLÈMES
Le général Essien et ses forces ont trouvé des moyens de surmonter les obstacles logistiques, en dépit des problèmes d’infrastructure. L’un d’entre eux était de demander l’avis de la population locale sur les routes à emprunter en cas de mauvais temps. Leur avis a ajouté une dimension précieuse aux systèmes traditionnels de positionnement global.
Katharina Coleman admet que ce genre de participation civile peut être utile, mais elle appelle à la prudence dans ce genre de contacts. « On peut certainement, je pense, argumenter que les relations avec les populations hôtes sont d’une importance cruciale pour le fonctionnement de la mission sur le terrain », a-t-elle expliqué à ADF. « Je voudrais simplement émettre une note de prudence, en ce sens qu’elles doivent être gérées soigneusement, de sorte que les soldats de la paix ne se retrouvent pas – peut-être sans le savoir – impliqués dans une relation qui pourrait être perçue comme non transparente ou partiale. »
De plus, les forces de maintien de la paix doivent être prudentes lorsqu’elles s’approvisionnent auprès de commerçants locaux, là encore pour éviter le parti pris et s’assurer qu’elles ne privent pas les populations locales de ressources. On pourrait imaginer, par exemple, une vaste force militaire achetant localement de l’eau ou d’autres choses, d’une manière qui entraîne une pénurie pour les résidents.
Le général Essien a aussi pu profiter des avantages fournis par certains pays contributeurs de troupes à la MINUSMA. Le Burkina Faso, qui partage une frontière avec le Mali au sud-est, a ravitaillé l’un des bataillons à Tombouctou. Le général Essien a précisé que les routes entre le Burkina Faso et Tombouctou n’étaient pas si mauvaises, si bien que les transports venant de cette direction étaient plus souples. Le Nigeria avait un hôpital de niveau 2 à Tombouctou et le Ghana y a fourni une compagnie de génie militaire.
« Ils ont suivi les mêmes routes, apportant leur matériel sans avoir à aller par la mer en Côte d’Ivoire et en faisant passer leurs camions par Bamako, » a-t-il raconté. « Par exemple lorsque les Nigérians ont monté l’hôpital de niveau 2, ils ont obtenu des autorisations de passage de tous les pays entre le Nigeria et le Mali, soit le Burkina Faso et le Niger, et après avoir obtenu ces autorisations, ils ont mis leurs camions sur la route… et ils sont venus par la route depuis le Nigeria jusqu’à Tombouctou. » Ils ont rencontré leur premier obstacle majeur à la traversée du fleuve Niger.
De même, a ajouté le général Essien, le bataillon togolais a transporté son équipement à travers le Togo au Niger, à travers le Burkina Faso puis en direction de Tombouctou.
Pour ce qui est de l’infrastructure, les grandes missions militaires sont souvent confrontées à un double problème. D’abord elles sont forcées d’improviser face à des réseaux de transit en mauvais état ou inexistants, tels que les ports, et les aéroports ou les routes. Ensuite, même quand il y a des routes, les camions lourds, les véhicules de dépannage et les véhicules blindés de transport de troupes peuvent les endommager. La compagnie de génie militaire ghanéenne a pu effectuer des réparations mineures sur les routes pour que les véhicules puissent continuer à rouler dans la zone.
Le général Essien a servi comme chef adjoint de la planification militaire au siège de l’ONU à New York pendant quatre ans. Il a précisé que d’autres missions de maintien de la paix comme celles du Soudan et de la République démocratique du Congo, ainsi que des petites missions comme au Burundi, en Côte d’Ivoire, au Liberia et en Sierra Leone, étaient plus faciles à gérer, sur le plan de la logistique, parce que la plupart de ces pays ont des ports maritimes et que la majorité d’entre eux n’ont pas de vastes déserts comme le Mali.
« Je pense que le Mali a posé à l’ONU un problème logistique probablement sans précédent ».
Photo: MINUSMA
PERSONNEL D’ADF
La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a commencé en été 2013. Le gouvernement démocratique du Mali est tombé à la suite d’un coup d’État, en mars 2012, qui a suivi la rébellion d’un groupe de Touaregs au nord.
Peu de temps après, diverses factions dont le Mouvement national touareg pour la libération de l’Azawad, Ansar Dine et al-Qaida au Maghreb islamique ont commencé à semer le chaos, capturant des villes et menaçant d’avancer vers le sud sur la capitale, Bamako.
Les forces françaises et tchadiennes sont intervenues en janvier 2013, dans le cadre de l’Opération Serval, reprenant les villes de Tombouctou et Gao. La France a commencé à retirer ses troupes en avril 2013 et les troupes, qui servaient dans la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine et étaient entrées au Mali en février, ont commencé à soutenir les forces maliennes.
FORCE AUTORISÉE
- 12.680 PERSONNEL TOTAL EN UNIFORME
- 11.240 PERSONNEL MILITAIRE, Y COMPRIS 40 OBSERVATEURS MILITAIRES
- 1.440 POLICIERS (Y COMPRIS UNITÉS FORMÉES)
FORCE
- 10.207 PERSONNEL TOTAL EN UNIFORME
- 9.149 PERSONNEL MILITAIRE
- 1.058 POLICIERS (Y COMPRIS UNITÉS FORMÉES)
PAYS contributeurs de personnel militaire
L’Allemagne, le Bangladesh, le Bénin, le Bhoutan, la Bosnie-Herzégovine, le Burkina Faso, le Cambodge, le Cameroun, la Chine, la Côte d’Ivoire, le Danemark, Djibouti, l’Égypte, l’Estonie, les États-Unis, la Finlande, la France, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, l’Indonésie, l’Italie, la Jordanie, le Kenya, le Liberia, Madagascar, la Mauritanie, le Népal, le Niger, le Nigeria, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, la République démocratique du Congo, la Roumanie, le Royaume-Uni, le Rwanda, le Salvador, le Sénégal, la Sierra Leone, la Suède, la Suisse, le Tchad, le Togo, la Tunisie, la Turquie, et le Yémen.
PAYS contributeurs de personnel policier
L’Allemagne, le Bénin, le Burundi, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, Djibouti, la France, le Ghana, la Guinée, la Jordanie, Madagascar, le Niger, le Nigeria, les Pays-Bas, la République démocratique du Congo, la Roumanie, le Rwanda, le Sénégal, la Suède, le Tchad, le Togo, la Tunisie, la Turquie et le Yémen.
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