Africa Defense Forum

ARRIVER SUR PLACE C’EST REMPORTER LA MOITIÉ DE LA BATAILLE

LE PLAN LOGISTIQUE DE L’UNION AFRICAINE POUR AMENER LES TROUPES LÀ OÙ ELLES SONT LE PLUS UTILES

L’Union africaine a été créée en 2001, suscitant beaucoup d’espoir, mais aussi avec une lourde responsabilité. Les États membres subissent encore les conséquences de l’échec à intervenir rapidement lors du génocide de 1994 au Rwanda, et ils avaient bon espoir que la Force africaine en attente (FAA) pourrait offrir une solution.

L’UA a développé l’idée de la FAA en 2003 et l’a fait reposer sur deux principes :

Jamais plus des pays africains ne permettraient que des atrocités de masse soient perpétrées sur le continent sans intervention rapide.

Les interventions seraient dirigées par les pays africains selon leurs propres conditions. L’expression « des solutions africaines à des problèmes africains » a été maintes fois répétée.

La FAA s’est fixé l’objectif d’intervenir dans un délai de 14 jours dans l’éventualité de massacres, l’un des calendriers les plus volontaristes du maintien de la paix au monde. En revanche, les Nations Unies attendent un cessez-le-feu et ensuite se donnent 30 jours pour organiser une mission traditionnelle de maintien de la paix et 90 jours pour organiser une mission multidimensionnelle.

Durant le long processus de création de la FAA, ce noble objectif a été brusquement confronté à la réalité. Les dirigeants ont découvert que la volonté d’intervenir pouvait être entravée par la difficulté de déployer rapidement des troupes dans une zone de conflit et d’assurer la logistique une fois dans le théâtre d’opérations. Sans options fiables en matière de logistique et de transport aérien avancées par les communautés économiques régionales (CER) de l’Afrique, ils ont découvert que les bonnes intentions étaient vaines.

Des véhicules blindés sont embarqués sur un navire au moment où l’armée angolaise quitte la Guinée-Bissau en 2012 après une mission de maintien de la paix. AFP/GETTY IMAGES
Des véhicules blindés sont embarqués sur un navire au moment où l’armée angolaise quitte la Guinée-Bissau en 2012 après une mission de maintien de la paix.
AFP/GETTY IMAGES

Avec l’achèvement de l’exercice de l’UA sur le terrain Amani Africa II en novembre 2015 et la création de la FAA, la Division des opérations de soutien de la paix de l’UA va de l’avant avec une stratégie visant à surmonter les difficultés rencontrées en matière de soutien logistique et de mobilité aérienne. ADF s’est entretenu au téléphone avec le colonel sénégalais à la retraite Mor Mbow, chef de l’Unité de soutien de mission de l’UA, ainsi qu’avec d’autres experts quant à leurs espoirs pour l’avenir.

Le colonel Mbow affirme que l’objectif d’un calendrier de déploiement à 14 jours est réalisable, mais que le travail véritable devait être effectué à l’avance.

« Nous avons consacré beaucoup d’efforts à ce que nous appelons la préparation de la force », ajoute le colonel Mbow. « Nous ne nous contentons pas d’attendre que la mission soit fixée, pour être alors sous pression de parvenir au déploiement en 14 jours. Je pense que si vous préparez tout, si votre base logistique continentale est en place, si les communautés économiques régionales et les forces régionales sont prêtes, si le prépositionnement logistique des moyens est en place, si les communications sont établies et si nous avons une base de données sur les capacités de transport aérien stratégique, alors le calendrier de 14 jours est réalisable. Il s’agit d’être prêts ».

TRANSPORT STRATÉGIQUE

Le développement des capacités de transport aérien est un défi de longue date en Afrique. Les aéronefs aptes à réaliser les missions de la Capacité de Déploiement Rapide de la FAA sont onéreux, en termes d’acquisition et d’entretien. Par exemple, un Antonov An-124 capable de transporter plus de 136 tonnes de fret coûte au moins 30 millions de dollars et nécessite une large piste d’atterrissage renforcée et une équipe de mécaniciens formés pour le maintenir en état de navigabilité.

Toutefois, quand il s’agit du transport de troupes pour une intervention rapide, la mobilité aérienne est essentielle.

Pour répondre à ce besoin, l’Union africaine a développé le concept de transport aérien stratégique et a établi une cellule au sein de sa Division de support aux opérations de paix appelée le Centre de Coordination des Mouvements Continentaux (CMCC). Le CMCC supervise le transport aérien provenant des CER, le transport aérien provenant de contrats à court terme, le transport maritime commercial et les mouvements terrestres pour les opérations de maintien de la paix au niveau stratégique. En outre, l’UA a commencé à compiler une base de données des actifs aériens continentaux mis à disposition par les États membres, en vue de déterminer la présence de lacunes et d’opportunités.

Ce travail porte déjà ses fruits. Durant Amani Africa II, un appareil de transport C-130H du Nigeria, dans la région de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, a répondu à une demande de transport aérien d’urgence en acheminant 100 soldats et du matériel de la Force africaine en attente. Cet exemple de soutien en matière de transport aérien négocié par le CMCC à Addis-Abeba, en Éthiopie, a démontré qu’à l’avenir le Conseil de paix et de sécurité de l’UA pourra utiliser ce processus pour mettre à la disposition de la FAA des ressources provenant du continent.

« Par conséquent, autant que faire se peut, nous devons en premier lieu utiliser les ressources africaines et mettre les ressources en commun pour le transport stratégique, qui peut alors être complété avec l’appui de partenaires », explique le colonel Mbow.

La capacité d’utiliser des ressources continentales a été réaffirmée durant Amani Africa II, lorsque des troupes ont été acheminées en Afrique du Sud par les forces aériennes de l’Algérie et de l’Angola.

Certains ont proposé la création de quelque chose de similaire au Centre de Coordination des Mouvements Europe (MCCE), composé de 27 pays membres mettant en commun leurs capacités de transport aérien en réservant de l’espace sur les appareils de partenaire en cas de nécessité. De telles pratiques rendent les ressources aériennes disponibles au pied levé et garantissent que les pays disposant de forces aériennes hautement développées reçoivent une compensation pour leurs contributions. Le Commandement des forces des États-Unis en Europe et l’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique ont récemment négocié un accord prévoyant l’utilisation du programme MCCE pour le soutien logistique des États-Unis.

Un soldat aux commandes d’un tank durant l’exercice Amani Africa II de l’Union africaine en Afrique du Sud. AFP/GETTY IMAGES
Un soldat aux commandes d’un tank durant l’exercice Amani Africa II de l’Union africaine en Afrique du Sud.
AFP/GETTY IMAGES

Le colonel Uduak Udoaka, un logisticien de l’Armée de l’air américaine, qui a étudié en détail les défis auxquels le transport aérien africain est confronté, observe que les pays africains pourraient également établir une flotte aérienne de réserve civile. Cet arrangement, qui existe aux États-Unis, est essentiellement un accord conclu entre le ministère de la Défense et le secteur aérien commercial en vue de fournir un transport aérien en cas de besoin et à un coût convenu. Durant Amani Africa II, le CMCC a coordonné l’utilisation d’un appareil commercial angolais pour acheminer des troupes en Afrique du Sud. De la même façon, le CMCC pourrait utiliser les compagnies aériennes nationales pour le transport de troupes dans le cadre de missions de maintien de la paix.

« Je pense qu’il y a des solutions ; il faut simplement qu’il y ait une volonté de les explorer et d’engager les ressources », conclut le colonel Udoaka. « Une approche régionale est nécessaire pour que ces choses se produisent. Le MCCE fonctionne parce qu’un certain nombre de pays y participent et font valoir que c’était un moyen plus intelligent et plus efficace pour nous de disposer des capacités de transport aérien dont nous avons besoin ».

BASE LOGISTIQUE CONTINENTALE

La Base logistique continentale (CLB), un concept initialement élaboré en 2009, était destinée à être un entrepôt permanent pour tout ce qui était nécessaire au lancement d’une mission de la FAA, depuis l’équipement radio jusqu’aux véhicules et à l’équipement tactique. En plus, il devait y avoir des centres logistiques régionaux dans chacune des cinq régions géographiques du continent.

Le général de brigade kényan à la retraite David Baburam, ancien chef de l’Unité de soutien de mission de l’UA, indique que ce plan initial s’inscrivait un peu excessivement dans une « mentalité de guerre froide » et qu’il avait besoin d’être réduit. À présent, la conception de la CLB est d’entreposer des « stocks de déploiement stratégique », qui sont des composantes nécessaires à l’établissement du quartier général d’une mission et à un déploiement rapide. Le général Baburam ajoute que la CLB peut également entreposer des équipements fournis par les donateurs tels que des véhicules, des générateurs et des tentes données par des pays partenaires.

Des progrès sont réalisés sur le projet. L’UA a signé un protocole d’accord avec le Cameroun, qui hébergera la CLB dans la ville côtière de Douala. En outre, suite à une évaluation technique en novembre 2015 réalisée à Douala, le gouvernement camerounais a convenu d’améliorer les installations pour répondre aux besoins de l’UA. La CLB disposera d’un espace à la base aérienne de Douala, d’un terminal à conteneurs dans le port et d’un quartier général dans les installations du corps du génie militaire.

« Du point de vue de la préparation et de l’aménagement de la base, nous sommes très près d’avoir atteint notre objectif », assure le colonel Mbow.

FORMATION/C3IS

Une logistique en temps opportun n’est pas viable sans communications efficaces. C’est pourquoi l’UA est en train de mettre en place un système de commandement, de contrôle, de communication et d’information (C3IS) intégré et interopérable. Dans le cadre d’un partenariat avec l’Union européenne qui a commencé en 2013, l’UA est en train d’installer un système de communications par satellite permettant à des éléments de la FAA d’envoyer des données et des messages vocaux et vidéo sécurisés depuis le siège de l’UA à Addis-Abeba vers les quartiers généraux des missions de maintien de la paix et les quartiers généraux régionaux. Le système inclura une composante informatique pour analyser les situations, envoyer des ordres aux troupes sur le terrain et établir des rapports.

Le colonel Mbow indique que l’exercice Amani Africa II a révélé certains problèmes de communications persistants et il a préconisé à cet effet un exercice dédié exclusivement aux communications de commandement et de contrôle. Il souligne également la nécessité d’une formation plus approfondie en matière de logistique au niveau opérationnel dans certains des centres d’excellence du continent ainsi que d’une formation tactique au sein des armées de chacun des États membres de l’UA.

« Nous allons utiliser l’opportunité et l’occasion de la Conférence Logistique Afrique, qui sera organisée en avril [2016], pour attirer l’attention des États membres sur la nécessité de réellement aider à mettre l’accent sur le renforcement de la formation à la logistique », précise le colonel Mbow.

FINANCEMENT

L’obstacle le plus important aux efforts de maintien de la paix de l’UA est l’insuffisance d’un financement interne régulier. Le budget annuel de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), par exemple, est de 500 à 600 millions de dollars, dont seulement 2 pour cent environ proviennent de l’UA.

« L’insuffisance de sources fiables de financement limite véritablement les moyens de planification d’une action », observe le général Baburam. « Parce que vous pouvez toujours dire que vous voulez tels et tels moyens, mais vous ne pouvez pas dire comment vous allez trouver les ressources nécessaires à vos besoins ».

L’UA est censée financer les missions de la FA par le biais de son Fonds de la paix. Celui-ci est financé en partie par le biais du budget de l’UA et en partie sur une base volontaire et « souffre d’un sous-financement chronique », affirme le général Baburam.

Ce dernier précise que le but devrait être de disposer d’un fonds régulièrement provisionné à hauteur de 50 millions de dollars, ce qui permettrait à l’UA de financer les 90 premiers jours d’une mission de maintien de la paix. En 2013, un groupe d’experts de haut niveau de l’UA, présidé par l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, a proposé une taxe de 10 dollars sur les voyages en avion et de 2 dollars sur les séjours hôteliers afin de contribuer au financement des missions de l’UA. En 2015, les 54 dirigeants ont convenu d’adopter de nouvelles taxes à l’occasion du sommet des chefs d’État de l’UA.

En janvier 2016, le Dr Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de l’UA, a nommé le Dr Donald Kaberuka, économiste rwandais et ancien président de la Banque africaine de développement, au poste de haut représentant de l’UA au Fonds de la paix, avec l’objectif principal de trouver des soutiens réguliers et fiables pour le fonds.

LA LOGISTIQUE DANS UN CONTEXTE AFRICAIN 

Bien qu’il arrive couramment d’entendre des doléances portant sur les carences des armées africaines au regard des avions, du matériel et du financement, peu de temps est consacré à apprécier les domaines dans lesquels les armées africaines excellent du point de vue logistique. Maintes fois au cours des dernières décennies les soldats de la paix ont été déployés sur un terrain difficile dans des conditions climatiques éprouvantes et ont en dépit de cela réussi à assurer leur mission avec des moyens limités. En 2012, par exemple, des contingents de l’armée tchadienne ont parcouru par voie terrestre 3.000 kilomètres jusqu’au Mali afin de combattre des cellules terroristes liées à al-Qaida dans l’un des endroits les plus désolés du monde, les monts de l’Adrar des Ifoghas. Les observateurs ont remarqué que peu d’armées auraient pu se déplacer si loin et si rapidement dans des conditions aussi inhospitalières.

Le Dr Cedric de Coning, expert sud-africain de la sécurité et conseiller auprès du Centre africain pour la résolution constructive des conflits, a fait valoir que l’avantage des forces africaines de maintien de la paix est leur disposition à se déployer rapidement et sans tout le superflu et les aménagements particuliers que les missions des Nations Unies nécessitent. Il pense que la logistique de l’UA devrait s’efforcer de préserver cet avantage. « La raison pour laquelle l’Union africaine ou les troupes africaines peuvent être déployées plus rapidement que les Nations Unies est qu’elles n’ont pas toutes ces normes, règles et bureaucraties en place comme c’est le cas avec les Nations Unies ou l’Union européenne », a précisé le Dr de Coning à ADF lors d’une interview réalisée en 2015. Il a ajouté : « L’avantage comparatif de l’UA et de tous les pays africains est qu’ils peuvent se déployer rapidement et qu’ils sont prêts à mettre la priorité sur la solidité ».

Le colonel Mbow a également souligné la nécessité qu’un plan logistique de l’UA corresponde de manière particulière à un style d’engagement africain. « En ce qui concerne l’ampleur du soutien et les normes, nous devons avoir nos propres normes, qui peuvent ne pas être les mêmes que celles des États-Unis ou des pays européens », a-t-il affirmé.

Il a fait valoir que, dans le cas du Tchad, la logistique devait concorder avec la mission et égaler la vitesse de la force combattante.

« Si vous considérez la façon dont les troupes combattent le terrorisme et le rythme des opérations à cet égard, il est nécessaire d’avoir une logistique qui soit adaptée à ce type d’opérations. Aussi l’adaptation est-elle extrêmement importante », a-t-il conclu. « Nos modes d’acheminement de l’eau et du carburant, la manière dont nous effectuons notre maintenance afin de nous adapter au rythme soutenu des opérations [sont importants]. Je peux vous dire qu’en réalité, toutes les opérations que nous menons à bien, telles que l’AMISOM ou d’autres opérations de consolidation de la paix en Afrique, sont des opérations à haute intensité ».

Comments are closed.