Les sous-traitants peuvent être un atout réel pour les forces armées d’aujourd’hui. En revanche, la supervision exercée par l’armée doit continuer après la signature des contrats.
PERSONNEL D’ADF
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es responsabilités fondamentales des armées du monde entier sont la protection des civils, les opérations de secours lors des catastrophes naturelles et la sécurisation des frontières. Toutefois, ces mêmes armées doivent consacrer du temps et de l’énergie aux tâches banales que toute organisation importante doit prendre en charge, telles que le livre de paie, l’entretien des véhicules et le service de blanchisserie.
Et c’est là que les sous-traitants peuvent être utiles. Ils peuvent se charger des fonctions non fondamentales d’une armée, laissant les soldats se concentrer sur l’entraînement et le maintien de la paix. Des tâches telles que l’entretien des installations et des véhicules, la formation technique, la blanchisserie, le nettoyage et la restauration peuvent facilement être déléguées à des sous-traitants privés. Ces entreprises peuvent souvent accomplir ces tâches de façon plus efficace et plus économique.
Les armées modernes utilisent des sous-traitants de diverses manières, notamment pour l’expertise-conseil, l’analyse des menaces, les jeux de guerre et simulations, le développement logiciel, l’entretien des armes et des véhicules, le dégagement des champs de tir et l’assistance technique informatique.
Toutefois, des réserves ont été émises à la pratique de la sous-traitance de tout service ou toute tâche. La qualité du service doit être maintenue, et l’armée doit exercer un contrôle sur le sous-traitant. Denis Chamberland, un spécialiste des contrats de défense à l’échelle mondiale, a publié des articles sur la sous-traitance pour le magazine National Defense. Pour lui, sous-traiter avec succès « revient à trouver le juste équilibre de contrôle sur le sous-traitant, mais d’une manière qui lui laisse la flexibilité d’exécuter les tâches qui lui ont été confiées ».
L’armée s’adapte en permanence à des situations et des missions évolutives et a besoin d’ajuster ses contrats en conséquence. Les contrats doivent inclure des formules exigeant du sous-traitant qu’il collabore avec les responsables militaires lorsque des changements sont nécessaires.
Les sous-traitants sont assujettis à des règles et à des conditions auxquelles les armées ne sont jamais confrontées. Les armées sont des monopoles et ne sont pas soumises à la concurrence financière. Inviter des sous-traitants à répondre à des appels d’offres concernant certaines tâches et certains services encourage la concurrence et peut favoriser l’obtention de meilleurs prix et d’un meilleur service ainsi que l’innovation. En règle générale, précise Denis Chamberland, la concurrence pour de tels services peut réduire les coûts d’environ 20 pour cent.
Les politologues Allison Stanger et Mark Williams affirment qu’il est crucial pour les organisations militaires de surveiller de près les coûts de la sous-traitance. Ils font valoir que des études ont montré que la sous-traitance à elle seule, sans soumission concurrentielle, est une source de déception au regard des économies réalisées. Ils précisent également que souvent les sous-traitants ne sont que peu supervisés par leurs donneurs d’ordres militaires après la signature des contrats.
Les contrats de sous-traitance ne doivent laisser aucune place à des erreurs d’interprétation. Les économistes estiment que les procédures de gestion doivent être clairement définies et énoncées. Ils observent que les autorités militaires échouent souvent à trouver des gens suffisamment qualifiés pour s’assurer que le contrat est exécuté sans dépassement des coûts. Il est également important de noter qu’il appartient aux militaires de superviser le sous-traitant, mais pas les employés du sous-traitant.
La sous-traitance peut répondre à des déficiences inhérentes à certains types d’organisations. Defense Industry Daily, une publication en ligne spécialisée, a indiqué que dans nombre d’armées et d’administrations du monde entier, dont certaines en Afrique, il n’existe pas de culture encourageant l’entretien et la réparation des équipements. Dans de telles situations, la sous-traitance peut être la solution.
« Les contrats d’entretien et d’assistance peuvent paraître ennuyeux », souligne la publication. « Par contre, on peut obtenir beaucoup d’informations concernant la préparation et l’état de l’armée d’un pays en observant les contrats qui sont conclus » suite à des achats majeurs d’équipement. La reconnaissance par une armée qu’elle a besoin d’aide extérieure peut être une indication de son professionnalisme.
En règle générale, les contrats d’équipement comportent des dispositions concernant l’entretien, la réparation et la réorganisation, le soutien en ingénierie, les stocks de pièces détachées et les mises à niveau techniques, selon les besoins.
La gestion de certains contrats d’entretien peut être délicate. La complexité inhérente à certains nouveaux armements et certaines technologies liées à la défense nécessite le recours à du personnel de soutien dans le cadre contractuel. Par ailleurs, même si les travailleurs contractuels d’entretien ont des rôles non combattants, leur intervention peut s’avérer nécessaire près du champ de bataille. Il se peut qu’ils soient confrontés aux mêmes risques que ceux auxquels doivent faire face les soldats.
« Mêmes les personnels d’entretien à l’arrière sont soumis aux mêmes risques que les personnels déployés plus à l’avant », a fait valoir un défenseur des anciens combattants à la chaîne CNBC. « Ainsi, le fait d’avoir des sous-traitants où que ce soit à l’intérieur d’un théâtre d’opérations leur fait courir le risque d’être tués ou blessés. Et je m’interroge pour savoir si les sous-traitants continueront à faire acte de présence après que les soldats et techniciens se trouvant en première ligne auront peut-être été tués par un missile Scud ou des armes nucléaires ou biologiques ».
LES SOUS-TRAITANTS COMME SOLDATS DE LA PAIX
Ces dernières années, des sous-traitants ont été recrutés pour renforcer les forces combattantes et de maintien de la paix de certaines armées. Des pays parmi lesquels l’Angola, la République démocratique du Congo, le Liberia, le Sénégal, la Sierra Leone et le Soudan ont recruté des sous-traitants. Le politologue P.W. Singer a proposé que de tels sous-traitants soient divisés en trois sous-groupes :
Les entreprises de fournitures aux armées, offrant des services sur les lignes de front du champ de bataille. Leur engagement se produit dans le combat réel, travaillant souvent aux côtés des forces armées régulières d’un pays. Elles peuvent également fournir des services de surveillance.
Les sociétés de conseil aux armées, offrant des conseils stratégiques ainsi que des services de formation et opérationnels. Elles sont similaires à des cabinets de conseil en gestion des entreprises.
Les entreprises de soutien aux armées, offrant des services de soutien traditionnels, notamment d’entretien, de transport et de cantine.
L’utilisation de sous-traitants comme soldats de la paix ou soldats présente plusieurs avantages, du moins en théorie. De tels sous-traitants permettent une certaine flexibilité des politiques poursuivies dans certaines zones politiquement sensibles. Ils peuvent offrir à un pays plus d’agilité militaire ; un pays peut contracter des services selon ses besoins au lieu de maintenir une armée importante. Et aussi, comme avec la plupart des sous-traitants, ils peuvent contribuer à réduire les coûts.
En revanche, la sous-traitance de rôles traditionnellement dévolus aux armées peut présenter des inconvénients considérables. Le recours à des sous-traitants comme soldats ou soldats de la paix réduit la transparence d’une armée et son obligation de rendre des comptes. Il peut encourager les autres pays à prendre des mesures réactives. Des soldats ainsi recrutés peuvent être des « têtes brûlées », commettant des actes criminels. Comme l’histoire récente l’a démontré, recruter des civils pour faire le travail des soldats peut se traduire par des dépassements de coûts majeurs.
Il y a également certains domaines flous dans lesquels des sous-traitants sont recrutés pour prendre en charge des tâches traditionnellement militaires n’impliquant pas le combat. Au cours des dernières années, les forces armées ont recruté des sous-traitants privés pour effectuer des missions d’espionnage aérien, y compris au-dessus de certaines régions de l’Afrique. À mesure que les drones de surveillance deviendront de plus en plus communs, des sous-traitants seront presque certainement recrutés pour la formation, l’entretien et même le pilotage des appareils.
Denis Chamberland a une règle simple pour déterminer quand il faut sous-traiter et quand il faut garder une tâche à l’interne.
« Alors que les déterminants principaux à la base de la sous-traitance traditionnelle sont généralement axés sur des sources de motivation économiques, la sous-traitance de services liés à la défense peut impliquer une combinaison de nécessités économiques, politiques et militaires », a-t-il expliqué. « Le credo habituel de la sous-traitance est que les fonctions non fondamentales peuvent être sous-traitées, alors que les fonctions fondamentales, celles qui définissent la raison d’être de l’organisation, ne doivent jamais être sous-traitées ».
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