La région s’engage à créer un Centre d’excellence pour lutter contre la menace terroriste
PERSONNEL D’ADF
L’Afrique de l’Est est souvent présentée comme un modèle de croissance économique et de développement de l’infrastructure. Selon la Banque mondiale, la croissance économique de l’Éthiopie a été la plus rapide du monde en 2015. Une nouvelle liaison ferroviaire a été construite entre Djibouti et Addis-Abeba et, au sud, le Kenya a accueilli un flux constant de touristes venus faire des safaris et visiter ses plages.
Toutefois, depuis 2013, deux graves attentats terroristes d’al-Shebab ont eu un impact majeur sur le secteur du tourisme au Kenya, jusque-là florissant. Selon un rapport de Reuters, le nombre de visiteurs a chuté de 25 pour cent dans les cinq premiers mois de 2015. L’année précédente, le nombre de visiteurs avait chuté de 4,3 pour cent. Cet effondrement a entraîné la fermeture d’hôtels, la montée du chômage et la dévaluation du shilling, la devise kényane.
Des militants d’al-Shebab, basés en Somalie, ont aussi lancé des attaques en Ouganda et la menace semble s’étendre : en octobre 2015, les autorités du Soudan du Sud ont annoncé l’arrestation de 76 membres présumés d’al-Shebab, la première arrestation de cette sorte dans le jeune pays instable. Selon Strategic Intelligence News : « Le Soudan du Sud héberge nombre de groupes armés, impliqués dans de nombreuses activités criminelles, pratiquant la brutalité et la violence, mais l’éventuelle présence de cellules actives d’al-Shebab dans le pays pose une nouvelle menace à la situation sécuritaire du pays déjà vulnérable. Le climat sécuritaire précaire actuel est un élément favorable, susceptible d’être exploité par les militants pour constituer des cellules ».
Selon Reuters, Henry Rotich, le ministre kényan des Finances, a expliqué, lors de son discours sur le budget 2015-2016, que la lutte contre l’insécurité était « la principale priorité de la stratégie du gouvernement pour soutenir la croissance de l’économie, créer des emplois et réduire la pauvreté ».
Aujourd’hui, l’engagement envers la lutte contre l’extrémisme violent (CVE) semble dépasser les frontières des pays individuels pour prendre la forme d’une coopération régionale plus structurée. L’Autorité intergouvernementale pour le Développement (IGAD) collabore avec d’autres partenaires pour amener toute la Corne de l’Afrique à coopérer de manière plus structurée en vue de s’attaquer au problème.
LA COOPÉRATION DANS LA LUTTE CONTRE L’EXTRÉMISME VIOLENT PREND FORME EN AFRIQUE DE L’EST
Le sommet de la Maison-Blanche sur la lutte contre l’extrémisme violent, en février 2015, et une conférence sur la lutte contre l’extrémisme violent à Nairobi, au Kenya, en juin 2015, ont jeté les bases des débats qui se sont poursuivis pendant toute l’année.
Les autorités de l’IGAD ont organisé des rencontres à Nairobi et à Djibouti, en août 2015, qui ont réuni des organisations diplomatiques, gouvernementales et non gouvernementales, pour discuter des moyens d’institutionnaliser les efforts de la CVE dans la région. Le Programme du secteur de la sécurité de l’IGAD (ISSP) coopère avec le Centre mondial sur la sécurité coopérative pour mettre en œuvre la CVE au sein des États membres que sont Djibouti, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan du Sud, le Soudan et l’Ouganda.
Une description de projet du Centre mondial, indique qu’« au cours de la dernière décennie, un consensus s’est formé entre les gouvernements, les experts et les acteurs de la société civile pour admettre que si l’on ignore les moteurs de l’extrémisme violent, les efforts de lutte contre le terrorisme risquent d’être contre-productifs, d’accroître la marginalisation politique des communautés et de rendre vulnérable certaines parties de ces communautés (comme les jeunes chômeurs ou sous-employés) à l’attrait des idéologies violentes ».
Il s’agit de se concentrer sur des stratégies globales, qui mettent davantage l’accent sur la lutte contre l’extrémisme en amont. La région est active en matière de CVE depuis un certain temps, mais depuis le sommet de la Maison-Blanche, « il y a un regain d’efforts à travers la région pour se concentrer davantage sur l’aspect préventif », a constaté Eelco Kessels, directeur du bureau de Londres et analyste au Centre mondial. Historiquement, a-t-il ajouté, la lutte contre l’extrémisme violent a toujours été ancrée dans les interventions de la police et de l’armée.
« On se rend de plus en plus compte qu’il s’agit d’un problème que l’on ne peut résoudre en combattant », a expliqué Kessels à ADF. « Nous devons devancer le problème et nous concentrer davantage sur la prévention, qui, de par sa nature, inclut la participation d’une gamme plus large d’acteurs, allant au-delà des acteurs de la sécurité habituels ».
L’EUROPE FOURNIT UN MODÈLE À L’AFRIQUE
Le terrorisme et les activités extrémistes ne sont en aucun cas l’apanage de l’Afrique. Entre 2009 et 2013, les pays de l’Union européenne (UE) ont subi 1.010 « attaques échouées, déjouées ou exécutées », qui ont fait 38 morts, selon l’UE. En 2005, l’UE a adopté sa stratégie antiterroriste, fondée sur quatre piliers : prévention, protection, poursuite et réaction (voir encadré).
Le Réseau de sensibilisation à la radicalisation (RSR), créé par la Commission européenne, en 2011, est issu du pilier prévention. L’UE a reconnu que, ces derniers temps, les extrémistes constituent de petites cellules ou travaillent en « loup solitaire» et non pas uniquement en tant qu’élément d’une organisation hiérarchique structurée, comme al-Qaida. Les extrémistes sont aussi reliés entre eux au niveau mondial.
Comme l’indique un rapport du RSR de 2015 : « En conséquence, les autorités ont de plus en plus de mal à détecter et à prévoir les actions terroristes violentes et les techniques traditionnelles dont disposent les forces de l’ordre ne sont pas suffisantes pour faire face à ces nouvelles tendances, en particulier lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux racines du problème. Il est nécessaire d’élargir l’approche et de viser une intervention et une prévention plus précoces en faisant participer un large éventail d’acteurs dans toute la société ».
Le RSR est un réseau de praticiens et de groupes locaux qui œuvrent à la prévention et à la déradicalisation. Ils participent à des groupes de travail afin d’échanger des expériences, des connaissances et des pratiques dans différents domaines de la déradicalisation. Selon le RSR, les participants comprennent des ONG, des représentants de différentes communautés, des groupes de réflexions, des universitaires, des forces de l’ordre, des représentants du gouvernement et des consultants.
Le RSR réunit des praticiens de toute l’Europe pour discuter de la CVE à partir d’une « perspective de terrain », a expliqué Eelco Kessels. Il s’agit d’un groupe informel, évolutif, qui garde un œil sur les nouveaux développements et qui partage les bonnes pratiques et les approches dans une structure qui s’intègre dans les politiques de l’UE. Le RSR s’institutionnalise de plus en plus et il observe les expériences européennes et comment elles peuvent s’appliquer ailleurs. Bien que le RSR repose sur une structure transfrontière formelle, qui n’existe pas en Afrique de l’Est, il peut servir de « modèle intéressant » pour la région, car les problèmes qu’il traite, ses principes et ses meilleures pratiques, sont le genre de choses que les autorités aimeraient aborder dans toute la Corne de l’Afrique, a ajouté Eelco Kessels.
UN CENTRE D’EXCELLENCE EST-AFRICAIN
L’une des priorités issues des réunions régionales à Nairobi et Djibouti, a été le souhait d’établir un Centre d’excellence et une Plate-forme de contre-propagande CVE dans la région de l’IGAD. Le Kényan Simon K. Nyambura, qui dirige le contre-terrorisme à l’ISSP, a précisé à ADF que l’objectif du centre serait de coordonner les activités des acteurs étatiques et non étatiques dans la région de l’IGAD et dans l’ensemble de l’Afrique de l’Est.
Jusqu’à présent, la région a abordé la CVE d’une manière ad hoc et ponctuelle. Il faut que cela change, a insisté Simon Nyambura. « Ce qu’il manque, c’est un mécanisme capable de mobiliser les gens dans la région de manière plus organisée ».
Il ressort des conclusions de la réunion d’août 2015, à Djibouti, que le centre devrait être « spécialisé dans l’acquisition d’expertise et d’expérience dans le domaine de la formation, du dialogue et de la recherche en matière de CVE, sous les auspices de l’IGAD à Djibouti. Les gouvernements de Djibouti, du Kenya, d’Éthiopie, de Somalie, de Tanzanie et d’Ouganda, ainsi que l’Union africaine, sont des partenaires à part entière de ce centre ».
Selon ces conclusions, le centre générera et partagera des meilleures pratiques et s’adressera à des parties prenantes, telles que des gouvernements locaux et nationaux, des partenaires clés du gouvernement en dehors de la région, des organes multilatéraux, des femmes, des jeunes, le secteur privé et des chefs religieux et leaders de la société civile.
Le centre abordera des sujets tels que comment :
- donner aux jeunes, aux femmes, aux chefs religieux et à la société civile des moyens plus larges pour lutter contre l’extrémisme violent ;
- contrer le message d’extrémisme violent par le biais des réseaux sociaux ;
- générer des solutions de rechange positives pour les jeunes vulnérables au recrutement des extrémistes ;
- améliorer la manière dont les forces policières et militaires dialoguent avec les communautés locales ;
- amplifier les dialogues religieux influents et développer l’esprit critique ;
- prévenir la radicalisation dans les prisons ;
- réhabiliter et réintégrer les combattants démobilisés, y compris les terroristes étrangers.
Le centre mettra aussi l’accent sur la formation et l’apprentissage afin d’aider les parties prenantes à concevoir des programmes de lutte contre l’extrémisme violent, à établir une connectivité en fournissant une plate-forme de discussion et de collaboration, à renforcer la contre-propagande en aidant les partenaires locaux à mettre en place et à diffuser des discours alternatifs ou à renforcer ceux qui existent déjà et à promouvoir la recherche et l’innovation pour parvenir à une meilleure compréhension de ce qui conduit à l’extrémisme violent.
Simon Nyambura a précisé que le centre serait basé à Djibouti. À la fin 2015, les organisateurs travaillaient à la logistique, au recrutement de personnel et au financement. Le plan doit être opérationnel avant mi-2016.
Le RSR est aussi en train de se transformer en « Centre d’excellence RSR », qui sera l’institutionnalisation d’un réseau déjà existant, a précisé Eelco Kessels. Avec son centre, le RSR passera d’un secrétariat qui soutient un réseau de parties prenantes et organise des réunions, à une nouvelle phase dans laquelle l’accent sera mis sur le partage des meilleures pratiques, de la formation et du conseil, y compris dans les pays tiers prioritaires.
Le centre de Djibouti sera similaire à Hedayah, le premier centre d’excellence international pour la lutte contre l’extrémisme violent, créé en 2012 à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, dans le sillage du Forum mondial antiterroriste. Comme on peut le lire sur son site Internet, Hedayah est « dédié à la formation, au dialogue, à la collaboration et à la recherche en matière de lutte contre l’extrémisme violent sous toutes ses formes et manifestations », en réunissant des experts du monde entier.
Le centre de Djibouti se concentrera sur l’Afrique de l’Est et, selon un communiqué de presse de la Maison-Blanche de 2015 « fournira un soutien dédié, des formations et recherches sur la CVE et servira de ressource pour les gouvernements et la société civile dans toute la région ».
ENGAGEMENT STRATÉGIQUE
L’Europe a établi une stratégie antiterroriste reposant sur quatre piliers pour mettre un terme aux attaques tout en respectant les droits de l’homme.
PRÉVENTION
Empêcher les gens de se tourner vers le terrorisme en s’attaquant aux facteurs ou aux causes profondes susceptibles de conduire à une radicalisation et au recrutement de nouveaux adeptes, en Europe et dans le reste du monde.
PROTECTION
Protéger les citoyens et les infrastructures et réduire le risque d’attaque, y compris en améliorant la sécurité des frontières, du transport et des infrastructures sensibles.
POURSUITE
Rechercher les terroristes à travers nos frontières et dans le monde entier ; entraver la planification, les voyages et les communications ; démanteler les réseaux de soutien ; couper le financement et l’accès aux moyens de commettre les attentats ; traduire les terroristes en justice.
RÉACTION
Se préparer, dans un esprit de solidarité, à maîtriser et à minimiser les conséquences d’une attaque terroriste, en améliorant les possibilités de gérer les séquelles, la coordination de la réaction et les besoins des victimes.