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LA POLICE DEMANDE AUX CITOYENS DE CONTRIBUER À LA COLLECTE D’INFORMATIONS

Chacun est d’accord sur les principes de la police de proximité ; ce qui est plus difficile à faire, c’est de les mettre en œuvre.

PHOTOS DE L’AMISOM

Avant même que les Tanzaniens n’aient entendu parler de la police de proximité, ils la pratiquaient déjà.

Dans les années 1980, les groupes ethniques Sukuma et Nyamwezi de la Tanzanie ont constitué des groupes de défense villageois sungusungu afin de protéger leurs biens, en particulier leur bétail. Officiellement, le gouvernement tanzanien a reconnu ces groupes en 1989 en guise de structures d’application de la loi communautaire.

Ces groupes n’ont pas été exempts de problèmes. Les fanatiques ont poussé certains membres à la formation de milices privées, et il y a eu des cas de brutalités et de violence en guise de représailles après des vols de bétail. À présent les responsables tanzaniens s’efforcent d’utiliser les groupes de défense en les intégrant à la police « officielle » — en d’autres termes, la police de proximité.

La police de proximité, également connue sous le nom de police communautaire, est une philosophie et une manière d’organiser le travail de la police de telle manière que les policiers, les entreprises locales et les communautés au service desquelles ils exercent leurs fonctions travaillent ensemble en tant qu’équipe, qu’il s’agisse d’élucider des délits, d’assurer la sécurité ou de signaler des activités suspectes et mener une enquête.

Depuis l’accroissement du nombre d’agressions commises par les extrémistes religieux, la police de proximité a pris une nouvelle importance au fur et à mesure que les policiers et autres responsables de services de sécurité essaient d’identifier les militants et les militants potentiels au sein de leurs quartiers. La collecte d’informations est devenue une composante clé de la police de proximité moderne.

Le colonel Yousef Mohamed Farah, de la Force de police somalienne, intervient lors d'une assemblée publique consacrée à la police de proximité à Mogadiscio.
Le colonel Yousef Mohamed Farah, de la Force de police somalienne, intervient lors d’une assemblée publique consacrée à la police de proximité à Mogadiscio.

Dans de nombreuses régions du continent, ainsi que dans d’autres régions du reste du monde, la police de proximité est davantage un but qu’une réalité. Elle a ses détracteurs, et quand elle obtient des succès, ceux-ci ne sont souvent que temporaires. En revanche, ses partisans soulignent qu’en cette époque d’extrémistes religieux violents, il est plus important que jamais de faire en sorte que les communautés surveillent et signalent les activités suspicieuses.

Peu de pays peuvent se prévaloir d’autant d’engagement à comprendre et à mettre en œuvre la police de proximité que la Tanzanie. Les habitants du pays, en particulier les femmes, ont une propension à travailler ensemble en groupes, tels que les groupes d’épargne et les groupes d’études. La police de proximité concorde bien à ces traditions, en tant qu’activité de groupe similaire.

Charlotte Cross, de l’Université du Sussex au Royaume-Uni, est l’auteur d’un article de recherche sur les tentatives de la Tanzanie pour mettre en place une police de proximité.

« La police de proximité (polisi jamii) a été officiellement introduite en Tanzanie en 2006 dans le cadre d’un programme en cours de réforme de la police », a rappelé Charlotte Cross en 2013. « En plus de tenter d’améliorer la communication entre la police et le public, les policiers ont mis en avant l’ulinzi shirikishi (la sécurité participative), dans le cadre duquel les citoyens sont encouragés à former des institutions de police de voisinage en vue d’empêcher et de déceler les délits ».

Les responsables tanzaniens ont depuis longtemps reconnu que le public manquait de confiance en la police ; les policiers ont donc entrepris d’améliorer leur image en améliorant leur communication avec le public. L’une des initiatives de police de proximité est appelée Nyumba Kumi, ce qui signifie « 10 ménages » en Swahili. Le plan prépare 10 couples dans chaque secteur à agir dans le cadre d’une équipe de surveillance de la collectivité. Une activité suspecte ou bizarre est ensuite signalée à la police. À ce jour, c’est l’un des succès de la police de proximité en Tanzanie.

COLLECTE D’INFORMATIONS

Dans le Kenya limitrophe, les responsables ont pris note de Nyumba Kumi. Ils l’ont adopté après l’arrestation fin 2014 de 76 ressortissants chinois accusés d’avoir commis des actes de délinquance informatique dans un quartier de Nairobi.

Voice of America (VOA) a rapporté que les responsables kényans ont découvert l’activité suspecte par accident. L’une des maisons utilisées pour la délinquance informatique a pris feu et dans les opérations de sauvetage qui ont suivi, les enquêteurs kényans ont découvert ce qui se passait.

« L’incident a provoqué un vif émoi, les gens se demandant comment le gouvernement avait pu ignorer une menace criminelle d’importance potentielle aussi considérable en plein cœur de Nairobi », a expliqué VOA. « Ce n’est que l’un des incidents d’une longue série, au sujet de laquelle le gouvernement a été accusé de défaillances en matière de renseignement ».

Les responsables kényans ont déclaré que la police de proximité pouvait unifier les habitants d’un quartier autour de l’objectif partagé de réduire la criminalité et de mettre en garde la population contre les attaques extrémistes. Les résidents connaissent leurs quartiers mieux que les policiers.

Le gouvernement kényan a annoncé en octobre 2015 l’acquisition de 1.000 véhicules supplémentaires qui seront affectés aux services de la police nationale. Parallèlement à ces véhicules, 10.000 policiers supplémentaires étaient en formation et devaient rejoindre les forces de la police nationale avant la fin de l’année. Un porte-parole de la police nationale a déclaré à un journaliste de Kenya Broadcasting Corp. que les citoyens kényans seraient appelés à collaborer avec les forces de police élargies afin d’améliorer la police de proximité.

Des membres de groupes de la société civile assistent à une assemblée publique consacrée à la police de proximité à Mogadiscio. La Mission de l'Union africaine en Somalie a aidé les autorités à se mettre à l'écoute des femmes, des jeunes, des entrepreneurs et des anciens.
Des membres de groupes de la société civile assistent à une assemblée publique consacrée à la police de proximité à Mogadiscio. La Mission de l’Union africaine en Somalie a aidé les autorités à se mettre à l’écoute des femmes, des jeunes, des entrepreneurs et des anciens.

Mohamud Saleh, un administrateur kényan expérimenté, a mis sur pied la police de proximité dans la ville de Garissa, située à 200 kilomètres de la frontière somalienne, qui a été en avril 2015 le site d’une attaque terroriste ayant fait 147 victimes. Mohamud Saleh lance actuellement  un programme appelant les chefs de clans traditionnels à jouer un rôle actif pour assurer la sécurité dans la ville. Il s’efforce résolument avec les anciens de la ville d’instaurer la confiance, afin de tirer la sonnette d’alarme sur toute activité terroriste avant la survenance d’une attaque.

« Les réseaux claniques et le système des anciens … sont hautement respectés », a rappelé Mohamud Saleh à National Public Radio aux États-Unis. « S’ils disent qu’ils ne veulent pas que cela se produise, cela ne se produira pas ».

La Somalie voisine, en particulier Mogadiscio, s’avère être tout aussi réceptive au concept de police de proximité. Le pays était en proie à une agitation considérable et dans un état de guerre civile depuis 1991. Au cours de ces dernières années, Mogadiscio a été contrôlée par le groupe extrémiste al-Shebab. Depuis que les extrémistes en ont été chassés, le pays connaît les débuts d’un gouvernement stable pour la première fois depuis plusieurs années.

Dans l’ensemble de la Somalie, les autorités sont en train d’introduire la police de proximité avec l’aide de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). S’efforçant d’inclure tout le monde, les autorités ont tendu la main aux femmes, aux groupes de la jeunesse, à la communauté des entrepreneurs et aux anciens. Cette initiative a tout d’abord été introduite dans les villes de Baidoa, de Beletweyne et de Kismayo. Elle a depuis été étendue à Mogadiscio.

La police somalienne et ses partenaires de l’AMISOM ont recruté des volontaires dans les quartiers, dans l’ensemble du pays, pour qu’ils servent d’agents de liaison entre les policiers et les habitants et signalent tout comportement suspect.

L’AMISOM souhaite manifestement que la police de proximité réussisse et elle enregistre soigneusement les réunions locales dans l’ensemble du pays.

« Ce n’est que lorsque les gens donnent des renseignements à la police que celle-ci peut-être efficace ; sinon, la police à elle seule ne peut pas faire le travail », affirme Randolph Sumiah, de la police de l’AMISOM. « Nous continuons à leur faire prendre pleinement conscience que les policiers ne sont pas des magiciens. Ce n’est que si les membres des communautés locales leur disent si et où des délits sont en train d’être commis que les policiers peuvent agir ».

MAINTIEN DE LA PAIX EN OUGANDA

Il n’existe pas de modèle type de police de proximité. Dans certains pays ou régions, la police de proximité a pour objet de mieux faire prendre conscience aux policiers des cultures et de la composition ethnique des communautés locales et des régions dans lesquelles ils exercent leurs fonctions. Dans le nord-est de l’Ouganda, le vol de bétail est un problème. Depuis des dizaines d’années, la région du Karamoja subit des razzias de bétail, des crimes sexuels de représailles, des fusillades et des bains de sang. Les éleveurs ougandais ont des contentieux avec des éleveurs venus du Kenya, de l’autre côté de la frontière.

En 2012, le gouvernement a établi avec succès un programme de désarmement, apportant une paix relative à la région. Cette paix est fragile, car la région est dépendante du bétail et il y a peu de perspectives d’emplois pour les jeunes adultes.

Le Programme des Nations Unies pour le développement forme dans les zones rurales de l’Ouganda des officiers en mesure d’intervenir dans de tels différends et de négocier des trêves. À la mi-2015, 100 policiers avaient été formés rien que dans le Karamoja. Globalement, le programme a formé 300 officiers dans la région nord du pays.

Une résidente tient une affiche encourageant l'implication des civils lors d'une réunion consacrée à la police de proximité à Mogadiscio. La police somalienne a recruté des volontaires de quartier pour signaler des comportements suspects.
Une résidente tient une affiche encourageant l’implication des civils lors d’une réunion consacrée à la police de proximité à Mogadiscio. La police somalienne a recruté des volontaires de quartier pour signaler des comportements suspects.

« Sans police de proximité, il est impossible d’apporter la sécurité à des millions d’habitants avec une force de police de taille modeste dans la région », a expliqué l’un des policiers aux responsables des Nations Unies.

À la mi-2015, six groupes de sécurité basés sur les communautés locales ont été constitués dans la région pour continuer leur formation une fois que le financement par les Nations Unies aura pris fin.

Certains pays africains font l’expérience de la police de proximité sous d’autres formes :

NAMIBIE — La police urbaine dans la capitale de Windhoek s’est associée à la Force de police namibienne pour former l’association COPPS (Community-Oriented Policing and Problem-Solving, [Police de proximité et règlement des problèmes]). Dans le cadre de ce programme, les policiers sont formés à anticiper les problèmes, en rencontrant les communautés locales au service desquelles ils accomplissent leur mission. Cette approche demande aux policiers de rester physiquement présents dans les quartiers où ils exercent leurs fonctions.

Windhoek est divisée en 19 zones. À présent, chaque zone comporte une « station mobile » 24 heures sur 24 conçue pour patrouiller, être visible et réagir rapidement aux plaintes et aux urgences. COPPS inclut également des surveillances de quartier pour des missions de contrôle et de collecte d’informations.

BOTSWANA — Fin 2013, le Service de police du Botswana a lancé une campagne de porte-à-porte destinée à intensifier la prévention de la délinquance, à améliorer la sécurité routière et à ressusciter les « comités de regroupement » devenus inactifs, afin de promouvoir la collaboration entre la police et les communautés locales où elle accomplit ses missions.

Le pays recensait 674 comités de regroupement au moment de la campagne de 2013. Le système de comités a été institué en 2008 pour faire en sorte que les quartiers, les responsables scolaires, les policiers et les responsables politiques soient davantage impliqués dans la sécurité de leurs collectivités.

ÉTHIOPIE — La Commission de la Police d’Addis-Abeba utilise la police de proximité pour mobiliser le public, a indiqué Ethiopian News Agency. Les responsables affirment que cette nouvelle forme de l’organisation de la police avait fait diminuer la délinquance grave de 35 pour cent entre 2013 et 2014.

En particulier, le commissaire Solomon Fantahun a déclaré que la police de proximité avait obtenu de meilleurs résultats pour lutter contre la criminalité, notamment en matière de meurtres, de contrebande d’armes et de trafic de drogue. Le programme a débuté en 2012. Le but est pour les policiers de connaître les communautés où ils exercent leurs fonctions et de collaborer avec les résidents pour identifier les problèmes fondamentaux. La totalité des 10 villes de la communauté urbaine d’Addis-Abeba y participe désormais.

NIGER — Au Niger, la police de proximité s’inspire grosso modo des modèles occidentaux. La Police nationale est chargée de maintenir la loi et l’ordre et d’assurer la sécurité publique, la santé publique, le contrôle de l’immigration, la protection et le renseignement.

Les policiers nigériens travaillent avec la population, les chefs coutumiers, les chefs religieux, les relais d’influence, les représentants des syndicats et les élus locaux. Dans l’ouvrage Community Policing in Indigenous Communities (Police de proximité dans les communautés autochtones), paru en 2012 et édité par Mahesh Nalla et Graeme Newman, il est rappelé que, même si la police de proximité existe au Niger depuis longtemps, elle devient de plus en plus structurée. Les maires incluent désormais la police de proximité dans leurs budgets annuels et la police rencontre régulièrement les chefs religieux, qui ont beaucoup d’influence. La police supervise également les patrouilles de volontaires.

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