DES GROUPES EXTRÉMISTES RECHERCHENT DES ARMES NRBC, MAIS QUELLE EST LA PROBABILITÉ D’UNE ATTAQUE ?
ALEXANDER DETERT/ANCIEN ÉLÈVE DU CENTRE EUROPÉEN GEORGE C. MARSHALL POUR LES ÉTUDES DE SÉCURITÉ
L’instabilité qui a suivi le printemps arabe et une nouvelle fournée d’organisations terroristes agressives, y compris l’État islamique en Irak et en Syrie (EI), ont incité certains à annoncer que nous entrons dans une nouvelle ère de l’extrémisme. Cela signifie qu’il est nécessaire de considérer les vieilles menaces sous des angles nouveaux, tels que le recours à des armes nucléaires, radiologiques biologiques et chimiques (NRBC) par des organisations terroristes.
L’extrémisme a-t-il tellement changé que les groupes terroristes contemporains se mettent à rechercher des armes NRBC ? Des groupes, auparavant récalcitrants, pourraient surmonter ce que le spécialiste de la lutte contre le terrorisme, Adam Dolnik, appelle des « contraintes de motivation » pour utiliser des armes NRBC, en raison de l’attrait de l’attention des médias et du désir de l’emporter dans la concurrence avec d’autres organisations terroristes. Ils pourraient également tirer profit des changements dans la disponibilité des armes NRBC, dans le type de vecteurs et dans le degré de complexité. Pour examiner la menace, il est important de considérer les trois principaux aspects d’une attaque terroriste définis par l’expert en terrorisme James Forest comme l’intention, la capacité et l’opportunité.
FACTEURS DE MOTIVATION TERRORISTE
L’attention des médias
Les terroristes font usage de la violence comme forme de communication pour influencer leur public. Par conséquent, l’attention des médias est un objectif central de nombreuses organisations terroristes. Les médias sont plus attirés par des attentats terroristes faisant de nombreuses victimes, comme les détournements d’avion et les attaques contre des cibles associées à des pays occidentaux. Inversement, les attaques dans des pays comme l’Irak et l’Afghanistan sont perçues comme normales et reçoivent moins d’attention des médias internationaux et d’intérêt de la part du public.
Pour maintenir ou retrouver l’attention des médias, les terroristes « doivent rehausser la barre de l’assaut spectaculaire », explique Robert Kupperman, de l’Agence américaine de contrôle des armements et du désarmement. Cela contribue à expliquer la tendance des terroristes à se concentrer sur la maximisation du nombre de victimes en agissant sans discernement contre des cibles civiles et en augmentant le recours aux attentats suicides. Par rapport aux tactiques terroristes classiques, les attaques avec des armes NRBC pourraient donner l’impulsion nécessaire pour attirer l’attention des médias. Les armes de destruction massive (ADM) ont été appelées « armes de perturbation massive » en raison de leur large impact sur la société.
L’utilisation d’ADM par des terroristes est la plus haute menace pour la sécurité de l’Occident et sa plus grande peur. Par conséquent, il peut être suffisant pour les organisations terroristes de menacer tout simplement d’utiliser de telles armes. Par exemple, le 24 décembre 1998, Oussama ben Laden a déclaré dans une interview avec le magazine Time qu’« acquérir des armes (ADM) pour la défense des musulmans est un devoir religieux », une déclaration qui a attiré l’attention des groupes de médias internationaux et des gouvernements occidentaux.
On pourrait faire valoir que l’utilisation des armes NRBC pourrait discréditer un groupe terroriste, surtout quand les gens s’identifient aux victimes. Mais les groupes extrémistes sont convaincus que l’immense couverture médiatique et le large public touché en valent le risque. Une attaque faciliterait la propagation de la peur et augmenterait nettement l’intérêt des clients, permettant aux auteurs de diffuser leur message sur une échelle sans précédent.
Un désir de se démarquer au milieu de la circulation régulière de rapports sur le terrorisme est un puissant facteur de motivation potentiel pour des organisations extrémistes contemporaines d’utiliser des armes NRBC.
La concurrence entre les organisations extrémistes
Lorsqu’al-Qaida a déclaré, le 2 février 2014, qu’il n’avait aucun lien avec l’EI, ce fut un signe que la lutte pour la première place dans le monde, parmi les organisations extrémistes, avait atteint un nouveau niveau d’intensité. La peur d’al-Qaida de perdre son influence mondiale et sa crédibilité parmi ses adeptes extrémistes et les groupes affiliés, comme al-Qaida dans la péninsule arabique et al-Qaida au Maghreb islamique, proches de l’EI, pourrait être considérée comme un facteur de motivation potentiel pour organiser une autre attaque terroriste spectaculaire. Al-Qaida pourrait utiliser la publicité dont le groupe ferait l’objet pour démontrer ses capacités à un public mondial et récupérer sa position de leader parmi les organisations extrémistes. Pour atteindre l’impact psychologique nécessaire et nuire au plus grand nombre de victimes, al-Qaida est maintenant plus susceptible de tenter une attaque aux armes NRBC que par le passé. Cela permettrait d’évaluer la faisabilité des armes NRBC dans ce contexte. La plupart des analystes conviennent qu’un tel événement porterait probablement la signature d’al-Qaida avec des attentats suicides simultanés et bien coordonnés sur plusieurs cibles associées à l’Occident.
POTENTIEL DE TERREUR DES ARMES NRCB
Acquisition d’armes chimiques
L’acquisition d’armes chimiques de qualité militaire, prêtes à l’emploi, dans une quantité permettant une attaque terroriste efficace, ainsi que des vecteurs nécessaires, ne serait possible pour les acteurs non étatiques que dans trois circonstances : (1) par le biais de canaux de criminalité transnationale organisée (CTCO) ; (2) par l’intermédiaire d’un État voyou en possession d’armes chimiques, comme cela pourrait se produire avec le Hezbollah et le régime syrien d’Assad ; ou (3) en s’emparant par la force d’armes provenant des stocks appartenant à l’État, comme cela s’est déjà produit lors de l’insurrection syrienne ou lors de la saisie par l’EI du complexe d’armes chimiques irakien désaffecté de Muthanna.
Le développement et la fabrication d’armes chimiques, d’une qualité et en quantité suffisante, serait probablement trop complexe et coûteux pour la plupart des organisations terroristes, comme l’a démontré Aum Shinrikyo, le groupe ayant libéré du sarin, un agent neurotoxique, dans une rame de métro de Tokyo en 1995, tuant 12 personnes et en contaminant environ 6.000. Il est plus facile d’acquérir des substances chimiques toxiques à double usage, destinées aux applications industrielles ou agricoles, que des armes chimiques de qualité militaire.
Utilisation des armes chimiques
La méthode la plus simple d’utilisation d’armes chimiques est de libérer des agents chimiques dans la zone cible, comme cela a été fait lors de l’attaque de 1990 par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul sur une base militaire sri-lankaise de Kiran. Les extrémistes pourraient également utiliser le système de chauffage, de ventilation et de climatisation de la structure pour disperser le produit chimique.
Des armes chimiques improvisées, fabriquées à partir d’explosifs conventionnels et de produits chimiques à double usage, comme les produits chimiques ou pesticides industriels toxiques, sont le type d’armes NRBC le plus probable pour le terrorisme. Le faible degré de complexité et la large disponibilité des composants nécessaires rendent ce genre d’arme chimique attrayant pour les extrémistes ayant des contraintes budgétaires.
Les complots d’al-Qaida, en 2004, qui visaient à utiliser des armes chimiques contre des bâtiments officiels à Amman, en Jordanie, et dans le métro de New York en 2003, impliquant des produits chimiques à double usage, montrent que les organisations terroristes ont déjà exploré ces méthodes. Un autre scénario possible du terrorisme avec des armes NRBC serait le rejet de substances toxiques par le biais d’une attaque ou du sabotage d’une installation industrielle contenant des produits chimiques toxiques, située à proximité de la zone cible. Une attaque terroriste de ce genre pourrait avoir le même impact que la fuite de gaz industriel, en 1984, à Bhopal, en Inde, qui a fait des milliers de morts et un demi-million de blessés.
Acquisition d’armes biologiques
Les agents pathogènes nécessaires à la construction d’une arme biologique pourraient être récoltés dans la nature, acquis à travers des réseaux de CTCO ou volés dans des installations de recherche médicale. Bien que les organisations terroristes pourraient produire des agents pathogènes elles-mêmes, le processus impliquerait des installations de production high-tech, capables de produire des quantités adéquates et des moyens appropriés pour le stockage, le transport et le déploiement de l’agent spécifique. Aum Shinrikyo, par exemple, a été incapable de développer et d’utiliser des armes biologiques avec succès, malgré des investissements massifs, et a décidé d’utiliser des armes chimiques à la place.
Utilisation des armes biologiques
Les agents pathogènes biologiques peuvent être dispersés à travers un système de ventilation ou d’approvisionnement en nourriture ou en eau, ou dans le courrier, ou peuvent être placés dans un engin explosif improvisé (EEI). Selon les recherches de James Forest, le problème avec la méthode impliquant un EEI est que jusqu’à 50 pour cent de l’agent pathogène est détruit par dispersion lors de l’explosion.
Selon une étude menée par Edward Hoffer, il y a moins de risque que des armes biologiques soient utilisées dans le terrorisme contemporain en raison de la complexité inhérente à l’acquisition, au stockage, au transport et aux vecteurs. En outre, une fois les problèmes d’identification de l’agent spécifique surmontés, son effet sur des cibles humaines peut généralement être atténué médicalement.
Selon James Forest, le degré élevé de complexité liée au développement et à la production de vecteurs, en comparaison avec d’autres types d’armes NRBC, et le manque d’impact immédiat sur la population cible, en raison du temps d’incubation d’agents pathogènes spécifiques, font des armes biologiques un mauvais choix pour un groupe terroriste contemporain.
Acquisition d’armes radiologiques
Plusieurs éléments hautement radioactifs appropriés pour la construction de dispositifs de dispersion radiologique (DDR) ou de dispositifs émettant des radiations (DER) sont largement disponibles en raison de leur utilisation dans la médecine et l’industrie. Les terroristes peuvent acquérir ces matériaux à travers des réseaux criminels ou en les volant dans des installations médicales ou industrielles non sécurisées.
Bien que la construction d’un dispositif radiologique soit un processus mécanique assez simple, le personnel risque d’être exposé pendant la manipulation des substances radioactives, lors de l’acquisition des matériaux, de la construction du dispositif, de son stockage, de son transport et de son déploiement.
Utilisation des armes radiologiques
Les DER peuvent être construits sous n’importe quelle forme actuellement utilisée pour les EEI classiques. Les substances radiologiques renforceraient les effets secondaires de l’EEI, comme la contamination de la zone cible et l’empoisonnement des victimes et des premiers intervenants par les radiations.
Malgré l’augmentation des mesures de sécurité et des mécanismes intégrés de sécurité contre les attaques directes et indirectes au sein des centrales nucléaires à travers le monde, une attaque terroriste contre une telle installation pour la transformer en un énorme DDR ne doit pas être exclue.
Les DDR contenant une substance radioactive sont placés là où les radiations affecteront le plus de gens possible, comme une station de métro ou un aéroport, un stade couvert, une église, une instance des pouvoirs publics ou un immeuble de bureaux. L’incident du parc Izmaïlovski à Moscou, en 1995, qui reste la seule tentative connue d’utilisation d’armes radiologiques, démontre le potentiel d’un DER. Les armes radiologiques causeront très probablement une peur généralisée et sèmeront la panique, surtout lorsque la population cible prendra conscience de la contamination. « Les effets psychologiques seraient les plus dévastateurs, principalement en raison de l’association automatique du mot “radioactif” au mot “nucléaire” dans l’esprit de la majorité de la population mondiale», a écrit Adam Dolnik, en 2008, lorsqu’il était directeur des programmes de recherche du Centre de prévention de la criminalité transnationale en Australie. « En réalité, cependant, les gens seraient plus susceptibles de mourir dans les bousculades et les accidents de voiture résultant de la panique de la population désireuse de quitter immédiatement la zone affectée, qu’à cause des effets directs des radiations ».
En raison de l’impact psychologique élevé sur la population cible, l’utilisation d’une arme radiologique lors d’une attaque terroriste est possible. Ce type d’arme NRBC pourrait être utilisé pour une attaque terroriste à fort impact, sur une grande échelle, par une organisation extrémiste bien financée.
Acquisition d’armes nucléaires
Après l’éclatement de l’Union soviétique, il était à craindre que des terroristes puissent se procurer des armes nucléaires ou des matériaux de qualité militaire dans l’une des anciennes républiques soviétiques.
Selon Rolf Mowatt-Larssen, ancien directeur du renseignement et du contre-espionnage du ministère américain de l’Énergie, al-Qaida a fait plusieurs tentatives d’acquisition de matériaux et de connaissances liés aux armes, auprès d’éléments dans les anciennes républiques soviétiques, au Pakistan et en Afrique.
Outre le risque de prolifération nucléaire posé par les arsenaux du Pakistan et de l’Inde et les programmes d’armement de la Corée du Nord et de l’Iran, les réseaux de CTCO demeurent les sources les plus probables d’armes nucléaires, de composants et de matériaux radioactifs.
L’Umma Tameer-e-Nau, mené par Bashiruddin Mahmood, et le réseau d’Abdul Qader Khan, sont deux exemples de réseaux de CTCO qui étaient actifs dans ce domaine avant leur neutralisation.
Utilisation des armes nucléaires
Les États-Unis et d’autres pays considèrent un groupe terroriste équipé d’armes nucléaires comme le pire des cas. Al-Qaida a manifestement aussi reconnu ce potentiel, car on sait qu’il a exécuté un programme d’arme nucléaire avec Abdel Aziz al Masri, à partir de 1999, même s’il n’a pas poursuivi dans cette voie récemment, a écrit Rolf Mowatt-Larssen.
L’utilisation des armes nucléaires comme arme terroriste est très peu probable. Il est généralement admis que les acteurs non étatiques n’ont pas les moyens d’acquérir du matériel de qualité militaire dans les quantités requises, de fabriquer des pièces d’armes dans l’isolement, de construire un dispositif fonctionnel avec ces pièces et de stocker convenablement le dispositif pour le garder opérationnel.
Les organisations extrémistes ont l’intention d’acquérir des armes NRBC de tous types, dans une certaine mesure. La capacité d’une organisation à acquérir ou à construire des armes NRBC dépend du groupe et du type d’arme. Les capacités d’un groupe connu, bien financé, et expérimenté comme al-Qaida d’obtenir des armes NRBC, sont plus élevées que celles de groupes moins bien établis en Afrique ou dans des régions du Moyen-Orient.
L’intention d’acquérir et d’utiliser des armes biologiques et radiologiques est relativement faible. Les organisations extrémistes peuvent acquérir ou produire des armes biologiques, mais elles sont sérieusement limitées par la complexité et les coûts. Il était plus facile d’acquérir des matériaux et composants pour les armes radiologiques et nucléaires après l’éclatement de l’Union soviétique, mais les possibilités sont aujourd’hui limitées. Bien qu’al-Qaida ait affiché l’intention d’acquérir des armes nucléaires dans les années 1990 et au début des années 2000, cela ne semble plus être une priorité aujourd’hui.
Les capacités nucléaires des acteurs non étatiques, y compris des organisations extrémistes, peuvent être considérées comme très faibles, voire inexistantes.
Il n’existe aucune preuve d’un changement significatif dans les capacités concernant les différentes technologies NRBC au cours des dernières années. L’acquisition et l’utilisation d’armes chimiques semblent être d’une priorité plus élevée que les autres types d’armes NRBC. Les agents et les matériaux nécessaires pour fabriquer des armes chimiques sont généralement plus abordables, plus faciles à acquérir, plus sûrs et plus simples à construire, à gérer et à déployer. La guerre en cours en Syrie, où il y a encore des armes chimiques de qualité militaire, a sans aucun doute facilité l’acquisition de telles armes.
Au cours des dernières années, les extrémistes ont tenté à plusieurs reprises d’acquérir et d’utiliser des armes chimiques, généralement des produits chimiques toxiques à double usage, qui sont plus faciles à obtenir et moins complexes à utiliser dans des armes improvisées. La prise par l’EI du complexe irakien désaffecté d’armes chimiques à Muthanna est un indicateur alarmant de cette tendance.
En conséquence, le scénario extrémiste terroriste utilisant des armes NRBC le plus probable implique des attaques aux armes chimiques improvisées. Il y a la motivation et la possibilité d’utiliser ce type d’arme NRBC abordable et peu sophistiquée pour attirer l’attention des médias internationaux, dans une tentative d’établir une position dominante dans les querelles intestines extrémistes et les luttes de pouvoir actuelles. Considérant tout ce qui précède, l’utilisation de certains types d’armes NRBC par des organisations extrémistes contemporaines est devenue plus probable.
Alexander Detert est un ancien élève du programme de maîtrise du Centre George C. Marshall pour les études de sécurité internationale, centré sur la lutte contre le terrorisme. Il a servi dans les Forces armées allemandes dans le domaine des opérations spéciales, comme aviateur et comme observateur militaire de l’ONU. Il a obtenu une maîtrise à l’Université de la Bundeswehr à Munich et est diplômé à la fois du programme du Centre Marshall sur les études de sécurité contre le terrorisme et du programme sur les études
de sécurité appliquées.