À L’OCCASION DE LA CONFÉRENCE AU SOMMET DES FORCES TERRESTRES AFRICAINES, LES COMMANDANTS PARTAGENT DES HISTOIRES ET FORMENT DES PARTENARIATS
Le deuxième jour de la conférence au sommet des forces terrestres africaines (ALFS) à Abuja au Nigeria, le Dr Monde Muyangwa, animatrice, demanda un peu d’indulgence de la part des commandants des armées de terre qui étaient présents. Elle souhaitait raconter l’histoire d’une fillette de 11 ans en Zambie. Celle-ci s’était mise au bord de la route et regardait passer les camions remplis des corps des victimes de guerre. La fillette vit sa tante serrer dans ses bras les restes de ses enfants après le bombardement de la maison de famille.
Cette enfant, déclare-t-elle, a passé une grande partie du reste de sa vie à avoir peur des forces armées. Cette fillette, dit-elle, c’était elle.
« Pendant 20 ans, je suis restée là, incapable de m’en remettre et de faire quoi que ce soit avec les militaires, déclare-t-elle à la foule. Je ne voulais rien avoir à faire avec les soldats. »
Son histoire avait une signification particulière pour les commandants réunis, qui provenaient de 40 pays africains. Elle leur rappelait que le devoir suprême des forces armées est de protéger les civils. Elle leur rappelait aussi que les forces armées du monde ont besoin de faire mieux dans ce domaine.
« Lorsque le mal est fait, établir cette confiance au sein du peuple nécessite beaucoup de travail de votre part, déclare le Dr Muyangwa. Nous reconnaissons le rôle important que vous jouez, nous reconnaissons que vous utilisez les outils de la violence au nom de l’état pour protéger les civils. Pour moi, la question de la protection des civils est au cœur de votre mission. »
Ce genre de conversation franche et ouverte a ponctué le sommet de quatre jours, la plus grande réunion annuelle des leaders militaires de haut rang sur le continent africain. Coparrainée par l’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique et les forces armées nigérianes, le thème de la conférence au sommet était « L’union fait la force », et elle offrait une rare opportunité pour les chefs militaires de parler librement de leurs succès, leurs défis et leurs carences. C’était un lieu pour forger de nouvelles alliances et renforcer les anciennes.
Le lieutenant-général Tukur Yusuf Buratai du Nigeria, chef d’état-major de l’Armée de terre et co-animateur de l’événement, déclara à ses collègues que la collaboration dans cette salle aurait « des répercussions dans le monde entier ». « Je veux souligner que notre action et notre inaction collective auront un impact », déclara le général Buratai. Les présentateurs furent encouragés par la mission. Le lieutenant-général Robert Kibochi, commandant de l’Armée de terre kényane, souligna les façons selon lesquelles la mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) cherchait à gagner la confiance des civils en assurant la sécurité de l’assistance humanitaire, en offrant des couloirs sécurisés pour les personnes fuyant le conflit et en tendant la main aux leaders de clan traditionnels. L’AMISOM enseigne aussi aux soldats des pratiques culturelles et une formation sur les sujets tels que le code de conduite. « Le succès d’ensemble de toute mission de cette nature doit être centré sur la population, et éloigner la population des insurgés est crucialement important », a déclaré le général Kibochi.
Le général Buratai fournit une mise à jour des efforts du Nigeria pour vaincre l’insurrection de Boko Haram dans le Nord-Est. Il admit que les forces armées avaient été au début affectées par des accusations de tactiques autoritaires et de violence contre les civils. Il décrivit les efforts du Nigeria pour rectifier cela grâce à des opérations civilo-militaires, à la création d’un bureau des droits humains et à l’établissement de la ligne d’assistance 193 que les civils peuvent appeler s’ils ont des plaintes ou des préoccupations. Aujourd’hui, a-t-il déclaré, toutes les allégations de violation des droits humains font l’objet d’une enquête et, si elles s’avèrent vraies, les coupables sont sujets à une cour martiale.
« Les civils nous acceptent mieux ; ils apprécient très vivement les efforts des forces armées dans le Nord-Est, a déclaré le général Buratai. Nos efforts assurent que les droits humains sont respectés et intégrés dans nos diverses règles d’engagement. »
L’événement a inclus une démonstration militaire dans laquelle les membres des forces spéciales du Nigeria ont montré leurs compétences développées dans la lutte contre Boko Haram. Dans une attaque simulée, une équipe de choc mobile, y compris des commandos qui descendaient en rappel des hélicoptères et conduisaient des motos, a sauvé des otages à l’intérieur d’un complexe.
Le général Buratai a déclaré que l’armée nigériane avait développé de nouvelles tactiques pour lutter contre les méthodes asymétriques de Boko Haram. Les équipes de choc mobiles, introduites en 2017, peuvent être rapidement déployées pour renforcer un lieu ou poursuivre des terroristes en fuite. « En bref, le concept de la brigade mobile, qui a été employé avec les autres doctrines, tactiques, techniques et procédures de l’armée nigériane, a contribué en grande partie au succès obtenu par nos opérations de contre-insurrection dans le Nord-Est », a-t-il déclaré.
Plus que tout, l’objet de l’ALFS était l’échange des idées. Le sommet organisa des ateliers animés dans lesquels les commandants parlèrent des questions d’intérêt commun et échangèrent leurs meilleures pratiques. « Cela a commencé rapidement et a semblé s’accélérer pendant la semaine », déclare le général de brigade Eugene J. LeBoeuf, commandant de l’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique, au sujet des discussions robustes.
En fin de compte, de nombreux participants ont exprimé un sentiment d’unité et d’optimisme. « L’Afrique est un continent qui affronte de nombreux défis, mais l’Afrique n’est pas un pauvre continent », déclare le major-général Sam Kavuma de l’Ouganda. « Nous avons les ressources nécessaires pour répondre à ces défis ; ce qui manque, c’est un effort collectif pour découvrir des solutions. »
LA GAMBIE : UNE ÈRE NOUVELLE
Pour le général de brigade Mamat O. Cham, commandant de l’Armée nationale de Gambie, c’était la première opportunité de participer à l’ALFS depuis sa nomination en janvier 2017. Cette année-là, à la suite d’une élection contestée, le pays enregistra sa première transition démocratique de pouvoir en plus de 22 ans.
Pendant la crise post-électorale, l’armée a été sujette à une certaine pression pour intervenir, déclare le général Cham, mais elle est restée résolument hors du processus politique. Les murmures de coup d’état ne devinrent jamais sérieux. La transition se déroula sans effusion de sang. « Les chefs de l’époque se sont réunis et ont réalisé qu’il n’y avait pas de raison de se battre pour perpétuer une dictature », déclare le général Cham.
Maintenant, l’Armée nationale de Gambie subit une réforme du secteur de la sécurité, en essayant de réduire ses effectifs et d’inculquer le professionnalisme dans la formation. Le général Cham a saisi l’opportunité à l’ALFS de parler à ses collègues provenant de pays comme le Liberia et la Sierra Leone qui avaient éprouvé des périodes similaires de reconstruction. « Nous pouvons apprendre grâce à leur expérience comment passer d’une crise à une situation démocratique avec les réformes appropriées et les structures mises en place pour une force militaire professionnelle », déclare-t-il.
Le général Cham a aussi été encouragé par ses conversations avec les autres commandants, en apprenant que le professionnalisme était là pour durer sur le continent. « L’ère du régime militaire en Afrique est terminée, déclare-t-il, et tous ceux qui rejoignent les forces armées doivent venir avec l’intention de servir le peuple au lieu de le contraindre. »
Et surtout, il a tiré des leçons des exemples fournis par les meilleures forces armées, dans lesquelles les soldats, depuis les cadets jusqu’aux généraux, sont formés pour penser que faire partie des forces armées est quelque chose de bien plus grand que soi. Le général Cham essaie d’inspirer la même philosophie en Gambie. « Depuis un an environ que nous servons, nous essayons de faire passer le message, déclare-t-il. La gouvernance des forces armées est importante. Vous accédez à cette profession pour servir et non pas pour usurper le pouvoir. »
LE LIBERIA : LES FACTIONS BELLIGÉRANTES DEVIENNENT DES GARDIENS DE LA PAIX
Pour le major-général Prince Johnson III du Liberia, le fait même que son pays soit représenté au sommet était une cause de célébration. Après plus d’une décennie de guerre civile, les Forces armées du Liberia (AFL) ont été reconstruites et s’efforcent désormais de changer leur image aux yeux du public.
« Examinez le Liberia, la situation antérieure, après 15 ans de guerre civile, une armée qui était considérée comme une faction belligérante, une armée qui a été dissoute à cause du rôle qu’elle avait joué dans la guerre civile », déclare le général Johnson, chef d’état-major de l’AFL. « Puis, nous avons créé une nouvelle force armée, dont je fais partie. … Nous avons fait en sorte que le peuple adopte cette perception. »
Une partie de la nouvelle perception est récente. Après avoir reçu des Nations unies les responsabilités de sécurité dans le pays, l’AFL a assuré la sécurité pendant une élection libre et impartiale en 2017. Récemment, le pays a aussi envoyé des gardiens de la paix au Mali, quelque chose qui aurait été impensable pendant la guerre civile du Liberia.
« Passer d’une faction belligérante au maintien de la paix. Cela donne un sentiment de fierté », déclare le général Johnson.
À l’ALFS, le général Johnson déclare qu’il était surtout intéressé à parler avec d’autres commandants au sujet du concept de la sécurité humaine et à examiner le rôle que l’armée devrait jouer pour fournir les nécessités de base telles que l’eau et les soins de santé à la population, en particulier les gens qui vivent dans les zones rurales. Pendant l’épidémie d’Ebola dans le pays, le bataillon du génie de l’AFL avait travaillé avec les partenaires étrangers pour construire 17 centres de traitement médical.
« Les gens de notre pays nous considèrent maintenant comme une force du bien, une force qui fournit ces nécessités de base », déclare le général Johnson.
LE BURKINA FASO : RENFORCEMENT D’UNE ALLIANCE NAISSANTE
Dans le Sahel, l’établissement des alliances est une priorité urgente. La région est menacée par plusieurs groupes extrémistes, y compris Ansarul Islam et les combattants radicalisés de l’EIIL qui reviennent du Moyen-Orient.
Le colonel-major Léon Traoré, chef d’état-major de l’Armée de terre du Burkina Faso, a joué un rôle dans la planification de la nouvelle alliance de la Force conjointe du G5 Sahel, qui inclut cinq pays sahéliens. Bien que la force du G5 ne soit pas entièrement opérationnelle, le Burkina Faso a maintenant des troupes déployées le long de ses frontières avec le Mali et le Niger, et travaille étroitement avec ces deux pays.
« Elle ne doit pas supplanter les efforts nationaux, elle vient compléter nos efforts nationaux », déclare le colonel Traoré au sujet de la force du G5. « Dans ce sens, oui, je pense que ça va permettre à tous les pays du G5 Sahel de renforcer plus leur coopération – de voir ce qu’on peut faire seul bien et ce que nous pouvons faire ensemble de mieux pour améliorer nos capacités de réponse. »
Bien qu’il ait participé à des réunions officielles des chefs régionaux de la défense, l’ALFS a offert un environnement plus détendu permettant au colonel Traoré d’ériger des relations avec ses pays voisins. « J’ai rencontré le chef de l’état-major du Bénin, du Mali, du Niger. Nous sommes frontaliers mais il n’y a pas souvent d’occasion de se rencontrer, déclare le colonel Traoré. Ce genre de forum-là est une opportunité de se revoir et de parler un peu plus directement de ce qui nous concerne et, d’une manière un peu plus large aussi, d’écouter, de tirer des leçons des expériences des autres pays. »
Le colonel Traoré déclare qu’il a apprécié l’opportunité d’écouter les officiers militaires des autres pays et d’apprendre comment ils luttent contre l’extrémisme. « Nous avons bien apprécié l’expérience du Nigeria dans la lutte contre Boko Haram parce que nous avons un groupe chez nous qui s’apparente un peu à Boko Haram, déclare-t-il. Nous avons vu l’expérience dans la Corne de l’Afrique avec la lutte contre al-Shebab. Je pense que la réunion va vraiment nous apporter quelque chose. »