Les Eei Deviennent L’arme De Choix Dans La Guerre Asymétrique
Le dimanche 28 décembre 2014, une vendeuse de canne à sucre de Potiskum, au Nigeria, a été tuée en marchant sur une bombe qui se trouvait sur le terrain de football d’une école. Elle avait 12 ans.
La bombe avait été placée le dimanche pour être déclenchée le lendemain, lorsque le terrain serait rempli d’enfants. Au lieu de cela, la fillette a marché dessus en début de soirée, alors qu’elle était l’une des rares personnes présentes sur les lieux.
Quelques mois plus tôt, dans l’État de Yobe, au Nigeria, un kamikaze avait lancé son pousse-pousse motorisé dans la foule rassemblée pour regarder un match de football télévisé, la bombe faisant au moins 21 victimes.
Dans les deux cas, les poseurs de bombe étaient des extrémistes de Boko Haram utilisant des engins explosifs improvisés (EEI). Depuis qu’il a attaqué et mis à sac une exploitation minière chinoise, en mai 2014, le groupe détiendrait une quantité non négligeable de produits chimiques explosifs et létaux.
Tel est le monde de la guerre asymétrique où les extrémistes ne respectent aucune règle et où les cibles sont aléatoires. Les extrémistes recherchent la notoriété et sèment la peur par des attaques où ils frappent au hasard, sans discernement. Pour eux, la réussite se mesure au nombre de victimes.
L’utilisation peut-être la plus connue d’EEI en Afrique a eu lieu en 2010, lors de la finale de la Coupe du Monde de football où le groupe extrémiste somalien al-Shebab a fait exploser trois EEI à Kampala, la capitale ougandaise, faisant 74 morts et 70 blessés. Les attentats visaient les fans de football qui regardaient les matches à la télévision. La tête d’un Somalien a été retrouvée sur un site, conduisant les enquêteurs à penser qu’un kamikaze avait déclenché l’explosion.
Boko Haram et al-Shebab ne sont pas les seuls à utiliser des EEI sur le continent. Selon le site d’informations Aswat Masriya, le 6 janvier 2014, un policier a été tué alors qu’il essayait de désamorcer un EEI placé près d’un poste de police à Gizeh, en Égypte. Quelques semaines plus tôt, un EEI avait explosé sur un quai de la gare Ramsès au Caire, faisant trois blessés. Depuis la destitution de l’ancien président Mohamed Morsi, de tels engins sont devenus courants en Égypte, visant les forces de sécurité et les installations publiques. Selon les autorités, les auteurs de ces attentats sont des extrémistes islamiques.
En 2014, l’utilisation d’EEI au Kenya, en Libye et dans le nord du Mali a régulièrement été rapportée.
« Pour les artificiers qui utilisent des EEI, l’Afrique est devenue leur terrain d’entraînement », a déclaré une porte-parole de l’Organisation conjointe des États-Unis de lutte contre les engins explosifs improvisés (JIEDDO). « Ils peuvent s’entraîner sans être dérangés, agir ouvertement et mettre leurs nouvelles compétences en pratique sur les populations locales, utilisant des EEI contre tous ceux avec lesquels ils sont en conflit ».
Au moins huit pays africains (Djibouti, l’Égypte, le Kenya, la Libye, le Mali, le Nigeria, la Somalie et la Tanzanie) ont fait état d’attentats aux EEI en 2014. Les chercheurs de la JIEDDO ont indiqué qu’entre novembre 2013 et novembre 2014, il y avait eu 835 attentats aux EEI, soit 15 pour cent de moins que l’année précédente. Cependant, le nombre de victimes avait augmenté de 41 pour cent, avec 2.559 tués et 2.010 blessés.
En 2014, il y a eu plus de victimes d’attentats aux EEI au Nigeria que dans tout autre pays africain. Entre novembre 2013 et novembre 2014, le Nigeria a été le théâtre de 124 attentats aux EEI, soit 15 pour cent de tous les attentats en Afrique, mais avec 2.569 victimes et blessés, soit 56 pour cent de tout le continent.
PIÈGES EXPLOSIFS
Les EEI, aussi connus sous le nom de pièges explosifs et de bombes artisanales, existent depuis longtemps. Bien que leur objectif premier soit de mutiler et de tuer, les EEI ont aussi pour but de créer une atmosphère de prudence et de méfiance. Ils sont très efficaces pour retarder les mouvements de troupes et sont considérés comme les engins de choix pour la guerre psychologique.
Le Nigeria et la Somalie sont des points chauds particuliers pour les EEI. En Somalie, les armes, probablement fabriquées par des membres d’al-Shebab, sont remplies d’explosifs militaires tels que des variantes de cyclotriméthylène et des tétranitrates de pentaérythritol. Ils utilisent généralement des détonateurs électriques commerciaux. Selon le Centre d’analyse des dispositifs explosifs terroristes (TEDAC) du FBI aux États-Unis, les insurgés déclenchent habituellement les bombes artisanales avec des alarmes de motos ou des téléphones portables.
Les alarmes de motos télécommandées par radio sont bon marché, généralement fabriquées en Chine et sont actionnées par de petites télécommandes qui passent inaperçues.
Al-Shebab fabrique habituellement ses EEI avec des roulements à billes. Lorsque les engins sont déclenchés, l’explosion projette les billes comme des balles de fusil. Dernièrement, la saisie de roulements à billes les a forcés à passer à d’autres matériaux de fragmentation, comme des petits morceaux d’acier ou des barres de renforcement du béton, connues sous le nom de barres d’armature.
Al-Shebab a commencé à utiliser des EEI antichar mi-2011. Ils ont fait leurs preuves contre des véhicules blindés légers en raison de la puissance des engins et du manque de contre-mesures. Depuis, on trouve aussi des EEI d’al-Shebab en Ouganda et au Kenya.
Le spécialiste militaire des engins explosifs, John Myrick, a déclaré à l’Associated Press que les bombes et les attentats plus efficaces en Somalie « indiquent une augmentation du soutien logistique de la part de certains des groupes les plus sophistiqués sur le continent, ainsi qu’une intensification de l’entraînement ».
Des enquêteurs ont observé que, comparés aux EEI trouvés dans d’autres parties du monde, les EEI d’al-Shebab sont de qualité et de construction relativement médiocres. Au lieu de la méthode classique de déclenchement sans fil des EEI, certains engins sont commandés par fil, ce qui est plus risqué. Une équipe de soldats des Forces de défense du peuple ougandais a repéré trois hommes le long d’une route se trouvant en position d’opérateur et de guetteur pour déclencher un EEI. Ils ont trouvé l’EEI enterré dans la route, avec 160 mètres de fil menant à la position de l’opérateur.
Les engins sont généralement mis à feu par une plaque de pression souvent montée sur un ressort de sorte que le poids d’un soldat ou d’un véhicule passant comprimera le ressort, fermant un circuit et déclenchant le dispositif.
Les EEI retrouvés en Afrique ont été équipés d’une variété de détonateurs rudimentaires comprenant des plaques de pression équipées de feuilles de métal, séparées par des bouts de papier, des plaques de pression utilisant des lames de scie et des bombes déclenchées par des interrupteurs de récupération, comme ceux utilisés pour allumer et éteindre la lumière dans les maisons.
TECHNIQUES SOPHISTIQUÉES
Même dans les cas où les extrémistes utilisent des bombes artisanales, leurs tactiques, affinées par l’expérience, deviennent plus sophistiquées. En mars 2013, une unité de déminage a trouvé des EEI reliés à des alarmes de motos, dans la ville côtière de Merca, en Somalie. L’unité a rapporté qu’un engin avait été enterré plus profondément, probablement pour déjouer la détection par des chiens renifleurs. Il contenait aussi deux charges explosives principales au lieu d’une, ce qui est inhabituel. L’unité a aussi observé qu’un deuxième engin avait servi d’appât, placé de telle manière que le véhicule de déminage aurait été garé directement au-dessus de la véritable bombe, alors qu’il s’occupait de l’appât.
Si les EEI fabriqués en Somalie sont rudimentaires, ils n’en sont pas moins efficaces. En 2013 et 2014, les cibles visées par les EEI d’al-Shebab comprenaient les employés et les installations des Nations Unies et l’aéroport international d’Aden Adde. Entre le 1er octobre 2013 et le 1er octobre 2014, la Somalie a connu 432 attentats aux EEI, faisant 1.251 victimes.
Les EEI somaliens contiennent habituellement des explosifs provenant d’obus d’artillerie ou de mines. Toutefois, les enquêteurs du TEDAC ont trouvé des explosifs de fabrication artisanale dans certains engins ainsi que des mélanges d’explosifs militaires et commerciaux.
Un EEI peut être n’importe quoi, tant qu’il contient un matériau pouvant causer des blessures, et quelque chose pour le faire exploser. Les variations sont infinies, allant d’engins fabriqués à partir d’armes à des explosifs « faits maison ».
La charge principale est souvent fabriquée à partir de munitions militaires, y compris les explosifs au plastic C-4 et PE4, mais d’autres matériaux peuvent être adaptés, comme l’explosif civil TNT. Un explosif peut être fabriqué à partir de nitrate d’ammonium, que l’on trouve dans l’engrais ordinaire. On peut aussi utiliser des réactifs chimiques et inflammables comme l’essence.
TROIS TYPES D’EEI
Les experts classent généralement les EEI en trois groupes :
Les EEI à enveloppe comprennent les bombes et engins artisanaux fabriqués à partir d’armes et d’explosifs existants. Ils sont généralement jetés vers leurs cibles ou cachés le long de routes ou dans des bâtiments. Les constructeurs de ces EEI à enveloppe sont très ingénieux pour les dissimuler, leur donnant l’aspect de matériau de construction ou de blocs de ciment. L’enveloppe de la bombe peut être pratiquement n’importe quoi, d’une canette de soda à une carcasse d’animal.
Les EEI montés sur véhicule ou EEIMV utilisent un véhicule comme enveloppe ou contenant pour faire parvenir l’explosif à la cible. Les véhicules peuvent aller de gros camions à des charrettes à ânes. Plus le véhicule est grand, plus il peut transporter d’explosifs. En 2011, une camionnette remplie d’explosifs a été conduite près de l’immeuble des Nations Unies d’Abuja, au Nigeria, où elle a été mise à feu, tuant 23 personnes et en blessant 76. Il s’agirait du premier EEIMV au Nigeria.
Les EEI d’attentats suicides sont conçus pour avoir un impact hautement explosif ou fragmentaire. Bien qu’en général, la personne portant la bombe saute avec elle, l’objectif est de tuer le plus de soldats et de civils possible. La personne qui porte la bombe la met à feu en utilisant un commutateur ou un bouton manuel. Lorsqu’un kamikaze est découvert, la seule option est généralement la force létale. Lors d’une tentative d’immobilisation d’un kamikaze, les soldats doivent tirer depuis une position protégée ou située le plus loin possible.
Al-Shebab utilise des ceintures explosives depuis des années. Le TEDAC rapporte que les ceintures se reconnaissent à une certaine signature comme un type de nœud particulier pour relier les fils ou des connecteurs mâles-femelles à neuf broches, comme ceux utilisés dans les autoradios ou encore des interrupteurs en plastique blanc.
Quel que soit le type d’EEI, ils ont tous en commun un bouton/détonateur, une charge d’amorçage, une charge explosive, une source d’alimentation pour le détonateur et un conteneur.
Il existe essentiellement deux types de détonateurs : électriques et manuels. Les dispositifs de mise à feu électriques peuvent varier à l’infini, mais ils ont toujours besoin d’une source d’alimentation, en général une pile. Si la pile ne fonctionne pas, l’EEI ne peut pas être activé.
Les détonateurs manuels sont plus simples et moins variés. Ils nécessitent une pression, le relâchement de la pression, un système de dégoupillage ou d’actionnement par fil piège.
TECHNIQUES À RECONNAÎTRE
Le terme « improvisé » montre à quel point les engins peuvent être variés. GlobalSecurity.org indique qu’il y a un certain nombre de techniques pratiquées qu’il faut savoir reconnaître :
Le montage en série consiste à relier un engin explosif à d’autres, généralement avec un cordeau détonant. Lorsqu’un engin explosif détone, il fait détoner les charges reliées. Cette technique a pour but de mettre hors d’état les équipements de déminage.
Le roulement est autant une tactique qu’une technique. Un véhicule roule en toute sécurité sur un engin explosif initial, mais déclenche un deuxième explosif, directement au-dessous du véhicule ou de celui qui le suit. Ce deuxième engin déclenchera alors le premier. Lorsque cette tactique est utilisée avec des mines à fragmentation directionnelle, les dégâts peuvent être immenses.
Le renforcement consiste à enterrer des mines, souvent récupérées, les unes sur les autres. Seules les mines du fond, celles enterrées le plus profond, sont mises à feu. Les tas de mines sont difficiles à détecter et, lorsqu’ils sont mis à feu, ils intensifient la force de l’explosion.
Le câblage en marguerite consiste à relier entre elles des petites mines antipersonnel et à les équiper de fil piège ou de cordeau détonant. Lorsque l’une des mines est activée, elle déclenche les autres, créant ainsi une vaste zone mortelle.
Les mines antichars sont conçues pour se déclencher sous le poids des tanks, et non des soldats. La sensibilisation des mines antichars non métalliques consiste à pratiquer une ouverture dans la plaque de pression qui déclenche l’engin et à retirer le ressort, réduisant considérablement la pression nécessaire pour mettre à feu un engin suffisamment puissant pour détruire un tank. On obtient le même effet en retirant complètement la plaque de pression des mines antichars métalliques. On peut aussi utiliser une petite mine antipersonnel pour déclencher une mine antichar plus puissante.
DES GRENADES À MAIN COMME EEI
Cela fait plusieurs décennies que les extrémistes convertissent des grenades en EEI. Normalement, les grenades sont jetées dans des bâtiments ou depuis des ponts. Mais lorsqu’elles servent à fabriquer des pièges, les soldats doivent prendre des précautions spéciales.
La grenade dans une boîte de conserve a été l’une des premières adaptations en tant qu’EEI. La goupille de sécurité de la grenade est enlevée, la cuillère compressée et la grenade placée dans une boîte de conserve ou un autre conteneur. Un cordon ou un fil piège est déroulé à travers un chemin ou attaché à une poignée de porte, par exemple. Lorsque l’on tire sur le cordon, la cuillère est relâchée, mettant à feu la grenade.
La grenade dans un bocal en verre consiste simplement à dégoupiller la grenade et à la mettre dans un bocal en verre maintenant la cuillère en place. La grenade n’explosera que lorsque le verre se cassera, la rendant idéale pour être lancée depuis des hauteurs ou placée sur un chemin emprunté par des véhicules.
La grenade à élastique est activée par le feu. La grenade est dégoupillée et la cuillère est maintenue en place par une épaisse bande de caoutchouc. L’engin est placé dans un endroit qui devrait être incendié par l’ennemi ou là où le poseur de bombe peut déclencher l’incendie. Une fois l’élastique fondu, la grenade explose.
PRÉCAUTIONS À PRENDRE AVEC LES EEI
Un démineur s’est approché d’un sac en plastique suspect dans la ville nigériane de Kaduna. Sans aucun vêtement de protection, il a regardé dans le sac qui a alors explosé et l’a tué. L’Autorité de télévision nigériane, un service public, a filmé l’incident.
Selon les experts, sa mort, le 14 février 2012, aurait pu être évitée par un meilleur entraînement.
Depuis des années, les soldats étudient les EEI et les moyens d’y survivre. Certaines précautions ont résisté à l’épreuve du temps.
~ Tous les soldats en poste dans des zones à haut risque doivent être formés à la reconnaissance des différents types d’EEI et à leur détection. Par exemple, pendant la guerre du Vietnam, les combattants du Viêt-cong avaient remarqué que les soldats américains avaient l’habitude de shooter dans des canettes de boisson vides. Les Viêt-cong ont alors placé des EEI dans des canettes qui explosaient quand les Américains shootaient dedans.
~ Tous les soldats devraient avoir une formation de secouriste. Ils doivent savoir comment sont causées les blessures par l’onde de choc du blast primaire, les multiples types de blessures causées par le blast secondaire et les blessures résultant de la projection par la déflagration. La formation au traitement des états de choc est particulièrement importante.
~ Les soldats se trouvant dans des zones à risque doivent porter des gilets de protection et des casques en permanence.
~ Le plancher des véhicules utilisés dans les zones à haut risque doit être protégé par des sacs de sable fin. Tout matériau autre que du sable fin se transforme en missile en cas d’explosion.
~ Lorsque la situation le permet, les passagers d’un véhicule blindé doivent voyager au-dessus et non à l’intérieur du véhicule. Les lucarnes des véhicules blindés doivent être entre-ouvertes avec la tige de verrouillage en place, pour permettre la dispersion de la secousse causée par l’explosion d’un EEI.
~ Tout incident impliquant un EEI doit être signalé immédiatement. Le signalement doit aller au-delà des canaux de renseignement classiques ; l’unité militaire doit disposer d’une unité de coordination et d’information sur les EEI/mines antipersonnel.
~ Les soldats d’infanterie doivent se méfier de toute chose semblant trop simple, ou trop intéressante. Les choses pouvant être considérées comme des souvenirs de guerre ou des objets de valeur sont souvent piégées. Les soldats doivent être entraînés à faire preuve de prudence. Il en va de même lorsqu’il y a une seule porte ouverte dans un bâtiment qui a été sécurisé. S’il est nécessaire d’occuper un bâtiment vide, on doit partir du principe qu’il a été piégé aux EEI.
~ Le passage quelque peu dégagé dans une rue ou un champ difficilement praticable est un endroit évident où poser un EEI.
~ D’autres indices de la présence d’EEI comprennent des empreintes de pas qui s’arrêtent abruptement, de la terre ou du sable remués, des boîtes isolées le long d’une piste. Des véhicules et du matériel militaire abandonné et des détritus comprenant des câbles, des cordes et des morceaux d’acier.
~ Le contrôle des piétons et des chauffeurs reste un élément primordial de la prévention de l’utilisation des EEI. En novembre 2014, des agents de sécurité étaient en train de fouiller les sacs de piétons à l’entrée d’une zone souvent ciblée, à Gombe, au Nigeria, lorsqu’un homme a essayé de forcer le barrage. Des passants ont maîtrisé l’individu qui portait sur lui des EEI. La presse nigériane a rapporté que l’homme avait été brûlé vif par la foule sur place.