LES EFFETS DE L’ANARCHIE EN LIBYE SONT RESSENTIS DANS TOUTE LA RÉGION ET DANS LE MONDE ENTIER
2017 a commencé comme 2016 s’était achevée, avec des nombres stupéfiants de migrants africains qui s’embarquent en Libye sur des embarcations fragiles pour essayer de s’échapper vers l’Europe.
Au cours des 25 premiers jours de janvier, 246 migrants se sont noyés dans la Méditerranée. Parmi les 181.000 migrants qui ont traversé la région en 2016, près de 90 pour cent ont commencé leur voyage en Libye, selon l’Organisation internationale pour les migrations. L’Organisation des Nations unies signale que plus de 5.000 se sont noyés au cours de l’année.
Au cœur du problème se trouve l’anarchie de la Libye, qui a commencé après la fin de la dictature de 42 ans de Mouammar Kadhafi, en 2011. Depuis lors, trois groupes rivaux ont lutté pour saisir le contrôle du pays, alors que l’EIIL a aussi accru sa présence dans la région. La migration entre la Libye et l’Europe a quadruplé à partir de 2013, ce qui a été attribué à un manque d’ordre public en Libye.
Le gouvernement actuel ne contrôle presque pas les vastes étendues du pays, ce qui fait de la Libye une terre où se pratiquent la traite des personnes, les attaques terroristes et les ventes d’armes. Elle est aussi devenue un dépôt pour le transport des stupéfiants du Maroc et de l’Afrique de l’Ouest vers l’Europe.
L’analyste politique Tarek Megerisi, qui écrit au magazine Foreign Policy, déclare que l’instabilité de la Libye a fait du pays un terrain fertile pour « de nombreuses autres menaces, pour lui-même, ses voisins et la région environnante ».
« Mais ce ne sont pas seulement les terroristes qui bénéficient de l’anarchie générale », écrit M. Megerisi. « Ceux qui gagnent leur vie dans l’économie parallèle de la Libye en bénéficient aussi. »
Les analystes déclarent que la guerre civile de la Libye est une guerre dans laquelle aucun parti ne semble pouvoir prétendre à gagner un avantage décisif durable. En général, de telles guerres enlisées perdent finalement leur élan lorsque l’argent, les armes et les jeunes volontaires prêts à mourir se tarissent. Mais des forces extérieures à la Libye, qui sont favorables à divers groupes extrémistes, continuent à armer et à financer certaines factions, pour perpétuer les combats.
L’ÉPIDÉMIE MIGRATOIRE
L’épidémie des migrants qui quittent les villes portuaires de la Libye a créé un désastre humanitaire qui a stupéfié les sauveteurs. Les bateaux qui partent de la Libye ne sont plus destinés à faire le voyage vers le Sud de l’Italie : ils ne sont pas en état de naviguer. Au lieu de cela, les trafiquants lancent les bateaux et les radeaux en caoutchouc bondés dans la Méditerranée, où les équipes de secouristes les ramassent. Les autorités ne peuvent rien faire d’autre que de secourir les migrants qui, sinon, périraient en mer. Même lorsque les migrants sont renvoyés en Libye, les conditions y sont tellement mauvaises qu’ils essaient souvent à nouveau de se rendre en Europe. Le cycle se reproduit.
L’Organisation des Nations unies déclare que les réfugiés qui se rendent en Libye proviennent principalement de l’Afrique subsaharienne, en général de l’Érythrée, du Niger, du Nigeria et de la Gambie. Mais les bateaux libyens affectent une région du monde bien plus grande. Un sauvetage en mer, survenu en janvier 2017 près de la ville de Sabratha, concernait des migrants d’Égypte, de la Syrie, de la Tunisie et de la Palestine, selon un rapport de l’Agence France-Presse.
Une étude de la force opérationnelle militaire de l’Union européenne (UE) conduite en 2016 projette que les villes côtières de la Libye gagnent jusqu’à 300 à 350 millions de dollars annuellement du fait du trafic des personnes.
Les nations européennes essaient d’aider la Garde-côtes libyenne à arrêter le flux des migrants. En janvier 2017, l’UE a annoncé qu’elle aiderait à former la Garde-côtes libyenne en promettant 3,4 millions de dollars pour cette aide. L’UE a lancé une opération navale appelée Sophia en 2015 pour réprimer les trafiquants, mais l’opération n’est pas autorisée à intervenir dans les eaux libyennes.
De nombreux migrants atteignent la côte libyenne seulement après un voyage épuisant à travers le désert chaud, depuis le Niger, le Nigeria et d’autres pays subsahariens. En chemin, les migrants se cachent souvent dans des stations de transit établies par des opérations de trafic sophistiquées ou par des agriculteurs qui essaient de gagner facilement un peu d’argent. Certains trafiquants de personnes ont étendu leurs activités vers d’autres types de contrebande, notamment les stupéfiants, l’alcool et les animaux exotiques.
Le trafic des personnes a dévasté le peu de structure économique qui restait en Libye. À tout moment, jusqu’à 20.000 migrants peuvent se trouver dans des centres de détention en attendant leur déportation. Les migrants sont détenus dans des camps bondés et misérables. Selon un reportage du journal hebdomadaire allemand Welt am Sonntag en janvier 2017, les migrants détenus sont sujets aux tortures et aux exécutions dans les camps.
VENTES D’ARMES
Le colonel Kadhafi était un acheteur et un entasseur compulsif d’armes. Lorsqu’il était au pouvoir, on estime qu’il avait dépensé plus de 30 milliards de dollars pour les armes, et les armes provenant de ses dépôts libyens se retrouvent dans tout le continent. On les a retrouvé dans les conflits jusqu’au Mali à l’Ouest et jusqu’en Syrie à l’Est.
La BBC signale qu’il existe un marché en pleine croissance pour les fusils et autres armes de Libye sur les sites des réseaux sociaux, notamment Facebook. La plupart des armes sont mises en vente au sein de groupes fermés ou secrets de Facebook. De telles ventes enfreignent les politiques de Facebook.
La vente des armes libyennes sur les réseaux sociaux a commencé à grimper en 2013, selon un reportage de la BBC. Bien que Facebook soit le réseau social préféré, presque tout site social est utilisé, notamment Yahoo, Instagram, Telegram et WhatsApp. La plupart des armes échangées sont des pistolets et des fusils. Un fusil AK-47 est typiquement vendu pour environ 1.300 dollars. Un officier de la marine kényane a déclaré à ADF que l’AK-47 est maintenant tellement courant que « les initiales “AK” sont devenues un acronyme pour “African Killer”, le tueur africain. »
Des chercheurs ont étudié la vente des armes sur l’Internet pour un rapport commandé par l’Enquête sur les armes légères, groupe qui surveille les armes dans le monde entier. L’un des chercheurs a noté que, en plus de la vente des pistolets, fusils et mitrailleuses, « il y avait aussi les systèmes plus importants qui pourraient avoir un impact sur le champ de bataille ou un emploi terroriste ». Certains systèmes antiaériens, bien que largement obsolètes contre les avions militaires modernes, sont offerts pour un maximum de 62.000 dollars.
POINT DE DÉCHARGEMENT DES STUPÉFIANTS
Le manque d’ordre public en Libye a transformé ce pays en point de déchargement prisé pour le trafic des stupéfiants.
En 2013, des marins italiens agissant sur une information téléphonique ont arraisonné un gros cargo à destination de la Libye. Le cargo était pratiquement vide — sauf pour 16 tonnes de haschisch.
« Il y avait tellement de stupéfiants que nous ne savions pas où les mettre », déclare au New York Times l’investigateur Francesco Amico. « Nous avons dû aller louer un entrepôt. »
Les Italiens avaient découvert une nouvelle route du trafic des stupéfiants qui, au lieu du chemin rapide habituel vers l’Espagne, longeait la côte de l’Afrique du Nord, du Maroc à la Libye. Les navires traversaient des zones contrôlées par des groupes armés concurrents, y compris l’EIIL.
Le fait que le haschisch ait été transporté sur des navires qui étaient vides par ailleurs, certains aussi longs qu’un terrain de foot, est un témoignage de la valeur de la drogue. Un officiel compara ce transport à l’utilisation d’un semi-remorque de 18 roues pour transporter un seul paquet de cigarettes.
Au cours des trois années suivantes, et agissant sur des infos supplémentaires, les officiels ont intercepté 19 autres navires qui transportaient du haschisch. La cargaison totale de stupéfiants s’est élevée à plus de 280 tonnes, d’une valeur de 3,2 milliards de dollars. Les infos ont disparu mais les officiels pensent que les expéditions continuent. Ils croient que le haschisch est déchargé des navires en Libye et transporté par voie terrestre à travers l’Égypte et vers l’Europe de l’Est.
Les officiels ont déclaré au Times qu’ils pensaient que, dans certains cas, l’EIIL était capable de « taxer » les cargaisons en échange d’un passage sûr. Cela serait similaire à la pratique du groupe visant à taxer les stupéfiants en Irak et en Syrie. Le groupe de renseignements IHS Markit déclare que l’EIIL a obtenu 7 pour cent de ses revenus de 2015 de la production, la taxation et la vente des stupéfiants.
« La Libye n’est pas un lieu où les gens consomment du haschisch », déclare au Times le procureur italien Maurizio Agnello. « Donc cette cargaison de stupéfiants est certainement un mode de paiement, une sorte de pièce de monnaie. » Concernant l’EIIL, il ajoute que
« cela nous effraie parce qu’ils n’ont pas de limite. Ils font des choses qui seraient impensables pour un mafieux. »
QUELQUES SIGNES POSITIFS
Parmi le chaos, il y a des signes de tentative de rétablissement d’un gouvernement stable.
En janvier 2017, la Libye a annoncé qu’elle mettait fin à son moratoire auto-imposé concernant les investissements étrangers dans son industrie du pétrole et qu’elle allait rechercher des partenaires. Avec une production de pétrole de 715.000 barils par jour, son plus haut niveau depuis trois ans, le pays pourrait offrir des investissements attrayants. Il espère produire 1,3 million de barils par jour à la fin de l’année. Mustafa Sanalla de la Libyan National Oil Corp. a déclaré à Forbes Magazine que les investissements étrangers étaient dans « l’intérêt national en faveur du secteur libyen du pétrole et de la Libye en tant qu’état ». Les analystes déclarent que l’augmentation de la production de pétrole est une pierre angulaire de tout plan visant à la reprise de l’économie libyenne criblée de dettes.
En janvier 2017, la Turquie et l’Italie ont rouvert leur ambassade en Libye. La Turquie est revenue plus de deux ans après avoir fermé son ambassade à cause d’un manque de sécurité. La Turquie a publié une déclaration selon laquelle « la réouverture de l’ambassade permettra à la Turquie de contribuer plus fortement aux efforts de construction de la paix et de la stabilité, ainsi qu’à la reconstruction de la Libye ». L’Italie avait fermé son ambassade en 2015.
Au début 2017, la France et l’Angleterre rétablissent des liens diplomatiques officiels avec la Libye, mais gardent leurs bureaux en Tunisie. Plusieurs autres pays ont déclaré qu’ils projetaient de rouvrir leur ambassade en Libye à une certaine date en 2017.
Les forces du pays commencent à enregistrer des succès contre l’EIIL. En particulier, la Libye a pris le contrôle de la ville côtière de Syrte, qui avait été contrôlée par l’EIIL depuis juin 2015.
DU TEMPS ET DES EFFORTS SONT NÉCESSAIRES
La Libye peut avoir à nouveau un gouvernement qui fonctionne, mais elle va nécessiter du temps, de l’argent et des efforts. Les investissements dans son industrie pétrolière sont un début, mais avec la surabondance de pétrole qui existe au début de 2017, les revenus pétroliers ne résoudront pas tous les problèmes du pays.
Les analystes déclarent que la Mission d’appui des Nations unies en Libye et la communauté internationale devront travailler avec la communauté libyenne et les chefs tribaux, ainsi qu’avec les chefs de faction et les commandants de milice, pour rétablir l’ordre.
M. Megerisi, l’analyste politique, déclare que tout accord de partage du pouvoir en Libye nécessitera aussi l’aide des institutions clés telles que la Banque centrale et la National Oil Co. Sur le plan international, il déclare que le blocus d’armes de la Libye doit être mis en application, et que l’Organisation des Nations unies doit être reconnue comme « seule voie de diplomatie internationale avec la Libye ».
La Libye a deux gouvernements concurrents et de nombreuses divisions ethniques et régionales. La communauté internationale doit aider le pays à rétablir l’ordre sous l’égide d’un seul gouvernement unifié.
« Il y a une connexion entre le trafic, la migration et le terrorisme », déclare M. Sanalla, selon un rapport du Guardian. « La quantité d’argent que les trafiquants recueillent aujourd’hui est plusieurs centaines de millions de dollars. Avec cela, ils peuvent commettre des attentats terroristes en Europe. C’est une machine criminelle systématique et bien organisée. Nous avons besoin d’une aide internationale pour y mettre un terme. »