PERSONNEL D’ADF
Lorsque les manifestations d’Afrique du Sud ont explosé en violence et pillage en juillet dernier, une grande partie de l’énergie soutenant la violence provenait des réseaux sociaux.
Sur le continent, les réseaux sociaux sont devenus un mécanisme pour intensifier les émotions déjà exacerbées, depuis les conflits en cours en Éthiopie jusqu’aux manifestations politiques en Eswatini et à la propagande extrémiste à travers le Sahel. Ils sont aussi devenus un véhicule pour les fausses informations sur la pandémie du Covid-19 et les efforts de santé publique visant à la contrôler.
En réponse à beaucoup de ces situations, les responsables africains ont appuyé sur le bouton d’arrêt des systèmes Internet dans leur pays, décision qui perturbe la vie de millions de personnes dépendant de l’Internet et qui nuit considérablement à l’économie nationale.
Karen Allen, consultante principale à l’Institut pour les études de sécurité, a déclaré dans un récent webinaire sur l’extrémisme et la technologie conduit par le Centre africain pour les études stratégiques : « Il existe des exemples de la façon de travailler ensemble pour circonscrire l’extrémisme. Les stratégies concernant les réseaux sociaux doivent être proactives plutôt que réactives. »
L’emploi généralisé des plateformes des réseaux sociaux telles que Facebook, Twitter et WhatsApp s’oppose à la capacité des responsables politiques pour contrôler le dialogue public à l’aide des plateformes des médias hérités tels que les journaux, la télévision et la radio.
En même temps, les réseaux sociaux ont créé un environnement dans lequel les utilisateurs peuvent être inondés par le type de désinformation, de mésinformation et de propagande qui peut transformer une manifestation pacifique en foule violente.
Selon Karen Allen et le journaliste nigérian Abdullahi Murtala, la solution pour les gouvernements consiste à suivre une approche plus délibérée en contrant la désinformation avec de vraies informations sur leurs propres chaînes et à organiser des discussions sérieuses avec les sociétés de réseaux sociaux pour faire un meilleur travail en ce qui concerne la réglementation d’un contenu violent ou inflammatoire sur leurs sites.
« Il serait préférable d’engager les sociétés de réseaux sociaux pour rendre plus difficile leur emploi par les terroristes ou les extrémistes, plutôt que de les interdire », déclare M. Murtala.
Toutefois, beaucoup de responsables africains continuent jusqu’à présent à suivre une approche brutale. Au cours des dernières années, le Burundi, l’Éthiopie, la Guinée, le Mali, la Tanzanie, le Tchad, le Togo et le Zimbabwe ont bloqué complètement l’accès à l’Internet pendant les époques de trouble.
En juin, le président Muhammadu Buhari du Nigeria a interdit Twitter dans le pays lorsque les modérateurs de contenu de cette société ont retiré l’un de ses tweets pour violation des règles contre les « comportements abusifs ».
Près de 25 millions de Nigérians utilisent les réseaux sociaux, chiffre qui est projeté de passer à près de 45 millions en 2025. La décision de bloquer Twitter prise par M. Buhari a affecté directement des millions d’utilisateurs nigérians, y compris les sociétés de l’e-commerce qui font de la publicité sur le site. Le groupe de défense de l’Internet Netblocks estime que le blocage a coûté au Nigeria 709 millions de dollars.
Les critiques déclarent aussi que le blocage montre que le pays présente un environnement risqué pour les investisseurs étrangers.
« L’interdiction de Twitter nuit certainement à l’e-commerce et complique encore plus les choses pour un grand nombre de jeunes Nigérians qui ont tiré profit de la technologie pour leur responsabilisation économique de façon majeure », a déclaré l’activiste et auteur Fareeda Abdulkareem au magazine Foreign Policy.
Buhari a débloqué Twitter en octobre à condition que la société établisse des bureaux au Nigeria, ce qui la rendrait sujette aux nouvelles lois médiatiques qui criminalisent les critiques du gouvernement.
Les pays dans toute l’Afrique australe adoptent des règles pour stopper ce que leurs adeptes appellent « les abus des réseaux sociaux ». Les défenseurs de la société civile considèrent cela comme un moyen d’interdire la dissidence.
« L’ambition du bloc régional pour contrôler le contenu affiché sur les plateformes des réseaux sociaux est certainement sinistre, en particulier dans une région sujette à des élections vivement contestées et des flambées violentes de répression autoritaire contre l’activisme civique anodin et l’opposition politique », a récemment écrit le commentateur politique sud-africain Tafi Mhaka dans un article publié par Al Jazeera.
Karen Allen suggère que les pays africains devraient s’engager en faveur de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux tout en assurant l’imposition de conséquences pour les comportements malveillants tels que la publication d’images ou de vidéos délibérément altérées dans l’intention de duper les spectateurs.
Elle mentionne la loi sud-africaine sur la cybercriminalité, en vigueur depuis le 1er décembre. Cette loi criminalise la militarisation des réseaux sociaux et interdit l’emploi des réseaux pour inciter de nuire aux personnes ou aux biens.
Mais, selon elle, cette loi elle-même est imparfaite : « Le simple renvoi d’un contenu délibérément manipulé et malveillant pourrait rendre toute personne complice d’un crime sans s’en rendre compte. »
En ce qui concerne l’affrontement de l’extrémisme en ligne, Mme Allen et M. Murtala mettent l’accent sur le besoin d’un engagement direct avec les fournisseurs de réseaux sociaux en se concentrant sur les effets que l’extrémisme peut avoir sur leur marque.
« La menace d’une atteinte à la réputation est tout à fait réelle, dit Karen Allen. Facebook souhaite-t-elle être associée à la terreur des extrémistes ? »