PERSONNEL D’ADF
Les capitaines des vaisseaux de pêche industriels Friendship 806 et Friendship 888 ne se doutaient pas du tout qu’on les observait.
Les chalutiers étaient ancrés une nuit juste à l’extérieur de la zone d’exclusion côtière (IEZ) de la Sierra Leone, qui est réservée aux pêcheurs artisanaux. À l’aube, ils sont entrés dans la zone interdite en faisant traîner leurs filets dans l’eau.
Alors qu’ils naviguaient dans des eaux remplies de petites pirogues artisanales, ils ont bientôt été interceptés par deux bateaux gonflables à coque rigide de Sea Shepherd Global, qui transportaient des marins sierraléonais brandissant des armes.
« Nous les avions observé sur le radar toute la nuit », déclare Peter Hammarstedt, directeur des campagnes de Sea Shepherd, à ADF dans un e-mail.
Les équipages des deux chalutiers ont été arrêtés le 14 mars et accusés de pêcher sans licence et de transmettre de fausses informations concernant leur identité électronique. Les deux navires battaient pavillon de la Sierra Leone mais l’un d’eux utilisait l’identité d’un autre vaisseau qui pêchait à plus de 11.000 km de distance dans l’océan Pacifique.
De telles tactiques sont fréquentes parmi les chalutiers pratiquant la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (IUU) en Afrique de l’Ouest.
Le lendemain matin, Sea Shepherd a aidé la Marine de Sierra Leone à arrêter le Jianmei 3, un autre chalutier industriel ancré au large du port de Kent. Le radar de Sea Shepherd l’avait documenté en train de pêcher à 10 km à l’intérieur de l’IEZ pendant plusieurs nuits, juste à l’extérieur d’une zone protégée qui avait été désignée pour la conservation des poissons en frai.
Lorsque les marins de Sierra Leone sont montés à bord du navire, son équipage était en train de démanteler l’équipement de pêche et de démonter les treuils et le matériel de chalut pour faire croire que le vaisseau ne pêchait pas. Un journal de bord confisqué montre que le chalutier avait pêché dans l’IEZ 44 fois, selon Sea Shepherd.
Le Jianmei 3 battait pavillon de la Sierra Leone mais le propriétaire bénéficiaire était en Corée du Sud, déclare M. Hammarstedt. Le propriétaire bénéficiaire est une société étrangère ou un pays qui achète les droits de pêche dans les eaux territoriales d’un autre pays. Ces navires battent typiquement le pavillon du pays hôte pour dissimuler l’identité du vrai propriétaire et éviter l’attention des autorités locales. Dans le cadre de ces accords, ce sont les propriétaires qui bénéficient de la prise, et non pas le pays du pavillon.
Les autorités locales étaient tout à fait familiarisées avec le Jianmei 1 et le Jianmei 4, navires jumeaux de ce chalutier qui avaient été arrêtés l’an dernier pour pêche illégale. Ces navires étaient simplement partis avant de payer leurs amendes et ils sont toujours recherchés par les autorités de Sierra Leone.
Quelques heures après l’arrestation du Jianmei 3, deux chalutiers battant pavillon chinois (le Liao Dan Yu 6616 et le Liao Dan Yu 6618) ont été arrêtés pour pêcher sans licence. Le Liao Dan Yu 6618 transportait deux séries différentes de documents de référence et son capitaine essayait de broyer la preuve que sa licence de pêche était périmée lorsque les marins ont pris d’assaut la timonerie.
Lorsque ces navires ont été détenus, onze autres chalutiers de la même flotte se sont enfuis pour éviter l’inspection, déclare M. Hammarstedt sur le site Web de Sea Shepherd. Les navires des autres flottes ont aussi quitté la zone lorsqu’ils ont appris qu’une patrouille arrivait.
Plus de 200.000 personnes travaillent dans les pêcheries de petite taille en Sierra Leone, où les résidents manifestent depuis des années contre la présence des chalutiers industriels dans les eaux territoriales. Les pêcheurs locaux déclarent que les chalutiers industriels les harcèlent souvent en écrasant leurs pirogues et leurs filets et qu’ils épuisent encore plus les stocks de poissons en baisse.
La pêche illégale coûte à la Sierra Leone 29 millions de dollars par an. Environ 75 % des incidents IUU dans le pays sont liés à la Chine, selon les estimations de China Dialogue Ocean.
Kellie Conteh, ministre de la Défense de Sierra Leone, a déclaré sur le site Web de Sea Shepherd : « Ces vaisseaux de pêche pillent nos eaux territoriales et volent ce qui appartient aux pécheurs locaux et au peuple de la Sierra Leone. Ces cinq arrestations envoient un puissant message : si vous êtes attrapé en train de pêcher sans licence, vous serez arrêté par la Marine de Sierra Leone et vous ferez l’objet de poursuites avec toute la force de la loi. »
Depuis 2016, Sea Shepherd a aussi créé des partenariats avec les gouvernements du Bénin, du Gabon, de la Gambie, du Liberia, de la Namibie, de Sao Tomé-et-Principe et de la Tanzanie. Son partenariat avec la Sierra Leone a débuté l’an dernier. Les partenariats ont conduit à l’arrestation de 67 navires pour pêche illégale et autres crimes liés à la pêche en Afrique de l’Ouest.
Les économistes déclarent que la pêche IUU a fait perdre aux pays d’Afrique de l’Ouest plus de 300.000 emplois de pêche artisanale et environ 2,3 milliards de dollars de revenus entre 2010 et 2016, selon le journal Daily Observer du Liberia.
Le gouvernement de la Sierra Leone combat aussi l’évasion fiscale dans sa lutte pour éliminer la pêche illégale. Le gouvernement déclare qu’il fermera les entreprises, intentera des poursuites judiciaires ou refusera d’émettre des certificats de dédouanement portuaire aux sociétés qui ne paient pas leurs impôts.
Le pays a aussi procuré six bateaux pour patrouiller dans ses eaux côtières, et des équipements radio, des tablettes électroniques et des téléphones Android pour renforcer la mise en application du droit maritime et la surveillance, déclare le président Julius Maada Bio dans un reportage du Sierra Leone Telegraph.