Une organisation kényane lutte contre l’extrémisme en conférant aux jeunes une autonomie accrue
PHYLLIS MUEMA/DIRECTRICE EXECUTIVE DU KENYA COMMUNITY SUPPORT CENTRE (CENTRE KENYAN DE SOUTIEN COMMUNAUTAIRE)
Si une bataille contre l’extrémisme se livre en Afrique de l’Est, la région côtière du Kenya est bien en première ligne.
Quelque 3,2 millions d’habitants, dont environ la moitié sont des musulmans et l’autre moitié sont des chrétiens, vivent dans les six comtés qui constituent la région côtière du Kenya. Cette région a une superficie d’environ 600 kilomètres carrés et s’étend de la frontière au sud du Kenya avec la Tanzanie jusqu’à sa frontière au nord-est avec la Somalie. L’histoire de cette région, en particulier de sa plus grande ville portuaire Mombasa, est marquée par des tensions avec le gouvernement central. La population côtière pense avoir été négligée pendant des décennies du point de vue du développement et des dépenses d’infrastructure. Ces dernières années, Mombasa est également devenue un terreau fertile pour l’extrémisme. Plusieurs mosquées où des religieux au discours incendiaire prêchent une idéologie radicale y ont élu domicile. Un mouvement séparatiste du nom de Conseil républicain de Mombasa a fait des adeptes et menace de faire sécession du Kenya, par la force si nécessaire.
En plus de ce mélange explosif, les résidents de la région côtière du Kenya sont jeunes et le chômage y est endémique. Environ 60 pour cent de la population a moins de 25 ans, et le chômage dans cinq des six comtés est plus élevé que la moyenne nationale. À Mombasa, le taux de chômage des jeunes s’élève à 44 pour cent — environ le double de la moyenne nationale.
Il n’est donc pas étonnant que des éléments radicaux, dont le groupe al-Shebab, aient recruté et planifié des attentats dans la région. L’attaque la plus retentissante a été l’attentat à la bombe dont le Paradise Hotel de Mombasa a été la cible en 2002 et qui a fait 13 victimes. En 2014, les extrémistes d’al-Shebab se sont emparés d’un bus près de la ville frontalière de Mandera et ont exécuté 28 passagers. Par la suite, al-Shebab a déclaré que les passagers avaient été tués en représailles du raid contre les mosquées effectué par les forces de sécurité kényanes à Mombasa.
Étant donné que le Kenya est encore en train d’élaborer une stratégie nationale cohérente pour faire échec à la violence extrémiste, les organisations locales essaient de combler le fossé en offrant aux jeunes une alternative à la radicalisation.
Le Kenya Community Support Centre (KECOSCE, Centre kényan de soutien communautaire) est une organisation non gouvernementale créée en 2006 ayant pour mission de mobiliser et organiser les citoyens et leur conférer une autonomie accrue en vue de les faire participer aux processus sociaux, économiques et politiques. Le KECOSCE travaille avec des personnes âgées de 15 à 35 ans, en mettant particulièrement l’accent sur l’établissement de relations avec les élèves et étudiants, les femmes et les leaders religieux. Le groupe travaille aussi avec des organismes gouvernementaux locaux, notamment la police, les administrateurs civils et les commissions nationales, pour se pencher sur les conditions sous-jacentes à même de susciter la violence extrémiste.
Au cours des huit dernières années, le KECOSCE a introduit diverses initiatives dans la région côtière du Kenya :
Organiser des rassemblements communautaires et des événements scolaires avec des élus, des policiers et des membres des forces de sécurité pour jeter les passerelles de la compréhension. Étant donné que de nombreux policiers affectés dans la région côtière du Kenya viennent d’autres régions du pays, il est d’importance cruciale de les familiariser avec la communauté locale et sa culture.
Offrir des formations et des forums de discussion pour contribuer à la compréhension des enseignements et des récits religieux fréquemment utilisés de manière abusive par les extrémistes pour recruter des jeunes.
Apporter des messages qui s’inscrivent à l’encontre de la propagande extrémiste en radiodiffusant les témoignages des victimes dans les médias au moyen de la radio et de supports imprimés.
Former les jeunes à des qualifications débouchant sur des emplois. Une fois qu’ils acquièrent des compétences et démarrent des activités à petite échelle, le KECOSCE contribue à les former à la commercialisation de leurs activités et les aide à proposer leur candidature à des micro-prêts et à d’autres sources de financement. Le centre a formé avec succès environ 2.000 personnes.
Conférer une autonomie accrue aux jeunes marginalisés par le biais de l’éducation civique et de la sensibilisation, et promouvoir la compréhension de la Constitution, de la citoyenneté et de l’exercice des responsabilités.
ACCOMPLISSEMENTS
Le KECOSCE a lancé le réseau « Women Against Violent Extremism » (Femmes opposées à la violence extrémiste) afin de porter assistance aux victimes féminines du terrorisme. Ce réseau organise la solidarité à l’égard des femmes dont les enfants ont rejoint des groupes extrémistes violents. Le réseau offre également aux femmes des moyens d’action leur permettant de contester la validité de l’idéologie qui promeut la violence, et leur enseigne à utiliser leur influence en tant que mères et dispensatrices de soins pour détourner leurs enfants de l’extrémisme.
Le centre a mis en place un programme pour la jeunesse appelé Kataa Kutumiwa, ce qui signifie « Refuse que l’on se serve de toi », qui a fourni une plate-forme permettant aux jeunes de parler avec des personnes plus âgées, des responsables religieux et des responsables des pouvoirs publics. Ces conversations traitent de l’idéologie et des récits religieux qui sont interprétés abusivement par les agents de recrutement dans leur stratégie de cautionnement de la violence. Ceci a donné aux jeunes des moyens leur permettant de débattre avec les tenants de la radicalisation et de contester leurs points de vue. Le projet a donné aux jeunes des informations à propos de la Constitution, des qualités permettant l’exercice des responsabilités et du patriotisme. Il a ouvert des canaux de communication entre les jeunes et les responsables des pouvoirs publics afin d’examiner les questions liées aux arrestations, à la marginalisation et au chômage.
Le KECOSCE a utilisé les outils multimédias pour favoriser les conversations au sein des communautés en situation de risque. Des forums de discussion pour les jeunes à travers la radio, les médias sociaux, les groupes de discussion et les affichages ont permis des débats conduits par des modérateurs au sujet d’une diversité de sujets, dont l’extrémisme, la bonne gouvernance et la nécessité pour les jeunes de participer à l’exercice des responsabilités. Le centre a également travaillé à réhabiliter d’anciens membres d’al-Shebab et les a aidés à partager leurs témoignages au sujet de la brutalité du groupe.
Le centre a organisé des ateliers en commun de cartographie et de formation entre des responsables du maintien de l’ordre et ceux des collectivités, en vue d’édifier une collaboration et un partenariat plus étroits favorisant la paix, la sécurité et le respect des droits de l’homme. Ces ateliers ont ouvert des canaux de communication alternatifs entre la police et les superviseurs de la paix, en relevant les défis de l’échange de renseignements et en montrant aux autorités chargées du maintien de l’ordre l’importance du respect des pratiques culturelles et religieuses.
L’AVENIR
Le moment est venu d’une discussion nationale sur la manière d’empêcher la radicalisation de la jeunesse et d’offrir des opportunités aux jeunes gens du Kenya. L’adoption en 2010 de la nouvelle Constitution, qui prévoit un transfert de pouvoir et donne aux comtés un plus grand contrôle sur leurs finances, est un développement positif. Ceci pourrait permettre aux comtés tels que ceux de la région côtière du Kenya de s’investir davantage dans des programmes ciblant spécifiquement les jeunes qui sont marginalisés et risquent de se radicaliser.
De nombreux défis restent à relever. Un large fossé d’incompréhension s’est développé entre les jeunes de la région côtière du Kenya et les figures publiques. Les organismes de sécurité kényans ont mené des raids arbitraires et ont fondé leur action sur le profilage de communautés lors de leurs investigations sur les extrémistes violents. Ces formes d’intervention ont donné à certains membres de ces communautés l’impression d’être des victimes de harcèlement policier. Elles ont également renforcé le potentiel d’engendrer encore plus de radicalisation et peuvent rendre inefficaces les interventions du KECOSCE.
Au KECOSCE, nous sommes convaincus que les membres de ces communautés doivent unir leurs efforts et travailler avec les autorités à empêcher l’extrémisme. La police et les figures publiques doivent également respecter les communautés et leurs valeurs culturelles. Ensemble, nous pouvons élaborer une stratégie conjointe sur la meilleure façon de protéger nos frontières, de préserver les valeurs que nous partageons et d’empêcher des individus venus de l’extérieur ou de l’intérieur de se servir de la religion pour entraîner le chaos et détruire des vies.