PROJECTION DE LA FORCE POUR PROTÉGER UN PAYS
Le commandant des forces de la MONUSCO déclare que la technologie aide les gardiens de la paix à surmonter les défis en RDC, mais des améliorations sont nécessaires
PHOTO DE LA MONUSCO
Depuis 2016, le lieutenant-général Derrick Mbuyiselo Mgwebi d’Afrique du Sud est commandant des forces de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), la plus grande mission de maintien de la paix de l’ONU dans le monde. Le général Mgwebi a plus de 35 ans d’expérience militaire et a assumé de multiples postes de haut rang dans les SANDF (Forces nationales de défense d’Afrique du Sud), y compris son poste actuel de chef des opérations interarmées. Il était précédemment directeur SANDF des forces spéciales, directeur de la formation et des opérations, secrétaire militaire du ministère de la Défense et directeur de la formation d’infanterie de l’Armée de terre d’Afrique du Sud. De 2004 à 2006, il était commandant des forces pour l’opération de l’ONU au Burundi. Il a parlé à ADF au quartier général de la MONUSCO à Kinshasa. Cet entretien a été modifié pour l’adapter à ce format.
ADF : La République démocratique du Congo (RDC) pose des défis uniques à cause de sa taille, de son terrain accidenté et du fait qu’elle possède seulement 2.250 kilomètres de routes goudronnées. Comment avez-vous surmonté ces défis considérables ?
LT.-GÉN. MGWEBI : Au cours des 15 dernières années environ, en tant que force de la MONUSCO, nous avons été plutôt stationnaires, dans le sens que nous avons occupé certains endroits sensibles où nous avons aménagé des bases opérationnelles pour les compagnies. Nous intervenons à partir de ces bases. Mais du fait de la réduction des effectifs, nous devons travailler de façon un peu plus intelligente. Le Conseil de sécurité, par l’intermédiaire du secrétaire-général, nous ordonne d’être souples, d’être polyvalents. Mais cette polyvalence exige que les forces soient capables d’obtenir des informations par utilisation de la technologie, et en termes de sensibilisation situationnelle, non seulement en employant des UAV (véhicule aérien sans humain à bord), mais aussi en recueillant le renseignement et en étant capables de surveiller la position géographique de ceux qui communiquent avec de mauvaises intentions, et aussi en étant capables de déterminer où ils agissent. Et pour être polyvalents et agiles, il faut des aéronefs. Vous devez être informé par le renseignement, l’obtenir dans les délais voulus et conduire des opérations basées sur le renseignement en utilisant des hélicoptères. Cela veut dire que vos forces doivent être entraînées pour conduire des opérations héliportées : les descentes en rappel, l’utilisation rapide de la corde et la capacité d’autonomie pendant 14 ou 15 jours sans ravitaillement. Vous devez être capable de vous rendre sur les lieux et de faire ce qu’il faut faire avec moins d’effort que pour les déplacements sur route. Donc nous examinons les aéronefs, nous examinons la technologie, nous examinons un type différent de force. Bien entendu, la formation et l’attitude sont au cœur de cela. La protection des civils sera assurée par la projection de la force.
ADF : En 2013, la MONUSCO est devenue la première mission de maintien de la paix au monde à utiliser des UAV lorsqu’elle reçut cinq aéronefs Selex ES Falco fabriqués en Italie. Cet outil vous a-t-il aidé à réaliser votre mandat pour protéger les civils ?
LT.-GÉN. MGWEBI : Oui. En premier lieu, il existe divers groupes armés au Congo, qui sont actifs dans des régions éloignées. L’UAV vous fait économiser le temps, les efforts et les ressources pour aller partout. L’UAV peut scanner l’environnement et prendre des photos, le jour ou la nuit. Ensuite, vous pouvez examiner l’objet que vous voyez. Est-ce la base d’un groupe armé ennemi ou la base des forces armées du gouvernement ? Vous pouvez le confirmer. Une fois que vous déterminez s’il y a des personnes armées ou des femmes et des enfants, l’UAV assiste et simplifie le ciblage. Puis lorsque vous vous y rendez, vous savez le genre de force que vous devez exercer, en fonction de votre analyse de la cible.
ADF : La MONUSCO est devenue un type différent de mission de l’ONU en 2013 avec la création d’une FIB (brigade de la force d’intervention), unité de 3.000 soldats qui est autorisée à utiliser la force pour neutraliser les groupes armés ennemis. Comment la FIB a-t-elle été utilisée et comment a-t-elle aidé votre capacité de lutte contre les milices ? A-t-elle fonctionné comme anticipé ?
LT.-GÉN. MGWEBI : A-t-elle eu l’effet souhaité ? La réponse est : oui et non. Oui car, au moment de sa création, il était évident que le groupe rebelle M23 était installé à Goma et la contrôlait. Le groupe avait des uniformes militaires tout à fait visibles. Pas de femme, pas d’enfant. C’était un ennemi classique que tout le monde pouvait voir. Donc, la création de la FIB était une bonne idée, c’était un excellent outil pour affronter le M23. Elle a très bien fait ses preuves. Depuis lors, on a réalisé que les autres groupes armés, notamment les groupes étrangers tels que les Forces démocratiques alliées, les FDLR et la LRA, sont des animaux très différents. Ils portent les uniformes des FARDC (Forces armées de la RDC), ils ont des enfants dans l’armée, ils ont des femmes dans l’armée. Ils ont tendance à se mélanger aux diverses communautés. Lorsque vous êtes prêt à les attaquer, ils changent parfois d’uniforme et ressemblent à des cultivateurs ordinaires. Donc cela se rapproche davantage d’un type asymétrique de guerre, ce qui change alors complètement l’attitude, la culture, l’équipement et la formation de la FIB initiale. J’ai réalisé cela lorsque j’ai assumé le poste de commandant de la force en 2016. Nous en avons parlé avec les états membres, ceux qui contribuent à la FIB, et nous leur avons demandé de considérer la culture de la FIB, de considérer la formation, l’équipement. Nous avons commencé à nous demander : sont-ils vraiment prêts à s’engager dans cette guerre asymétrique ? Nous étions tous d’accord qu’il fallait faire quelque chose. Nous avons donc commencé à rechercher une culture différente, un équipement différent, pour affronter ce qui nous faisait face. C’est pourquoi je vous ai dit oui, ils ont eu du succès, mais maintenant ils se heurtent à une situation asymétrique, que nous devons analyser pour nous assurer de les utiliser efficacement.
ADF : Lors du dernier compte-rendu, le secrétaire-général a déclaré que 85 % des alertes « liées à la protection des civils » avaient été prises en charge par la MONUSCO ou les FARDC. Que signifie cela et est-ce que c’est suffisant ?
LT.-GÉN. MGWEBI : Il existe un défi qui concerne la chaîne de défense pour les pays qui contribuent des soldats. À l’encontre des guerres, le maintien de la paix est plutôt assuré au niveau du commandant du peloton ou du commandant de la compagnie. Les gens doivent réagir à ce niveau dans les délais prévus. Il existe un défi lié aux gens qui ne réagissent pas dès que possible. Nous avons aussi conçu un outil pour mesurer leur efficacité et leur performance. Il nous donne simplement un exemple qui nous permet de dire au commandant de bataillon : vous avez du retard ici. À cause des réductions possibles des effectifs, nous vous déclarons que, en cas d’insuffisance, nous recommanderons que tout commandant de bataillon et ses troupes rentrent chez eux, parce qu’ils ne sont pas efficaces, ils n’accomplissent pas leurs tâches, ils ne réagissent pas. Nous essayons de les encourager, nous essayons de les aider, mais nous essayons aussi de leur dire que, en fin de compte, le manque de réaction doit avoir des conséquences. Donc nous ne sommes pas contents des résultats de 70 à 80 %. Si possible, nous devrions pouvoir répondre à 100 %. Nous ne sommes pas parfaits mais nous cherchons la perfection.
ADF : Le modèle de la FIB devrait-il être copié dans d’autres missions de maintien de la paix ?
LT.-GÉN. MGWEBI : Si vous considérez le Soudan du Sud, ils ont aussi créé une force de protection régionale de 4.000 soldats, donc l’ONU suit cette route. C’est bien, mais il existe des choses que nous devons affiner. L’une d’entre elles concerne la question du commandement et du contrôle et la question de l’unité par rapport à la force plus importante de l’ONU et la cohésion qui doit exister. C’est un enjeu important car vous avez le sentiment que certains soldats ont tendance à considérer la structure d’une force comme la FIB de façon différente, et la FIB elle-même a tendance à considérer les autres forces comme si elles n’étaient pas vraiment engagées et prêtes à faire ce qu’il faut faire. Donc ce sont les structures de commandement et de contrôle, c’est la relation de travail, qui ont besoin d’un leadership robuste et, bien entendu, qui ont besoin d’une planification pour rédiger les détails de votre mandat et des règles d’engagement. Vous devez développer une relation de travail avec tous les membres de la force. Parce que la FIB sera active dans la zone d’une autre brigade et elle devra être soutenue par cette brigade, mais si la relation de travail n’est pas bonne, si les lignes de communication pour le commandement et le contrôle ne sont pas précisées clairement, le soutien deviendra un défi et cela peut conduire au dysfonctionnement. C’est une situation très sensible et très complexe que nous avons.
ADF : Vous avez renouvelé l’accord de coopération avec les FARDC. Comment décririez-vous la coopération entre les forces de la MONUSCO et les FARDC ? Y a-t-il eu des succès ? Existe-t-il des aspects qui nécessitent une amélioration ?
LT.-GÉN. MGWEBI : Ce processus est perfectionné. Nous en sommes sans doute à la troisième année. Initialement, il était évalué tous les six mois, mais nous avons pensé que c’était trop court et nous sommes passés aux évaluations annuelles. Nous recherchons maintenant ce qui marche bien et ce qui ne marche pas. Dans l’ensemble, je pense que les choses vont bien en ce qui concerne la planification conjointe, les opérations conjointes, les opérations coordonnées. Bien entendu, la politique de vérification préalable du respect des droits humains présente un défi : lorsque nous commençons à travailler avec des forces autres que celles de l’ONU, nous devons nous assurer que ces forces ne sont pas impliquées dans des violations des droits humains, et ne l’ont jamais été. Certains commandants des FARDC sur le terrain sont un peu sensibilisés à cela. Mais nous essayons de leur préciser que cela ne s’applique pas seulement à eux, cela s’applique à nous tous, et donc cela s’inscrit dans le cadre des informations et de l’éducation que nous leur offrons sur la politique de vérification préalable du respect des droits humains. Cela facilite notre travail, et réduit aussi certaines violations des droits humains commises par certains de leurs commandants subalternes et leurs équipes sur le terrain. En ce moment-même, nous sommes aussi engagés dans des efforts de planification conjointe. Ils incluent toute la zone jusqu’à la frontière Nord de la RDC avec la Centrafrique, le Soudan du Sud et l’Ouganda, et toute la zone Sud jusqu’à Uvira, en bordure du Burundi et de la Tanzanie. Si vous considérez donc le front de l’Est, nous avons une planification conjointe qui va se traduire par la conduite d’opérations de façon coordonnée et conjointe pour les trois prochains mois ; par conséquent, il y a une amélioration.
ADF : En avril 2017, on vous a demandé de rester à votre poste de commandant des forces pour un deuxième mandat. Dans l’avenir et pour le reste de votre mandat, que sera selon vous la chose la plus importante que vous et la MONUSCO pourrez faire pour bâtir la fondation d’une paix durable pour la RDC ?
LT.-GÉN. MGWEBI : Je pense que la chose la plus importante pour la RDC est le fait que la politique doit être alignée et qu’une bonne gouvernance est nécessaire. Tout ce que nous faisons, c’est d’essayer de créer un environnement propice pour que cela se produise. Nous ne réussirons pas tant que le leadership, la population générale et la société civile ne conviendront pas que la bonne gouvernance est nécessaire et que le respect des personnes est nécessaire. Pour ma part, je serais heureux de voir que la réforme du secteur de la sécurité est prise au sérieux. Vous donnez aux gens des aptitudes pour faire des choses correctes, mais si les directives qu’ils reçoivent au niveau politique et stratégique ne sont pas de bonnes directives ou une bonne politique, vous aurez constamment des défis. Donc, de mon côté, je vais travailler très dur pour que la réforme du secteur de la sécurité de la MONUSCO soit renforcée, et je vais travailler aussi très étroitement avec les militaires congolais pour qu’ils commencent à comprendre qu’ils pourront relever ce défi seulement s’ils considèrent comment ils administrent, comment ils gouvernent et comment ils gèrent leurs forces. Cela inclut les salaires, les soins fournis aux malades et l’assurance que ceux qui ne respectent pas les directives de bonne politique seront sanctionnés, et si nécessaire punis pour leurs actes, afin de servir d’exemple aux autres. C’est ce que je vais essayer de faire pendant que je suis ici. En fin de compte, nous voulons que les forces de sécurité de la RDC le fassent d’elles-mêmes, sans nous.