La police africaine est en première ligne dans la lutte antiterroriste
ARTICLE PAR LE PERSONNEL D’ADF
La lutte antiterroriste s’étend bien au-delà des confrontations militaires et des missions hautement médiatisées, telles que les assauts de forces spéciales pour libérer des otages. Le travail quotidien de démantèlement de réseaux terroristes est beaucoup plus banal. Il inclut des barrages routiers, des vérifications de passeports, des actions de proximité et la collecte de renseignements. Souvent, les policiers qui connaissent bien leur communauté sont les mieux placés pour effectuer ces tâches, en particulier dans les grandes zones métropolitaines très diversifiées.
Cependant, tous les services de police ne se sont pas consacrés à la lutte antiterroriste ou n’ont pas été formés à le faire. Des recherches menées par des experts proposent des directives sur la manière dont la police peut améliorer sa capacité à traquer les extrémistes et à démanteler leurs réseaux.
Crimes préliminaires
Les organisations criminelles laissent généralement des traces de leurs activités. Selon les experts, dans les mois qui précèdent un attentat, un grand nombre de « crimes préliminaires » associés au groupe est perpétré. Le meilleur moyen d’identifier ces traces est de former la police à reconnaître les signes précurseurs, a indiqué Paul Howard, chercheur principal au Mahattan Institute qui est chargé d’étudier les tendances criminelles. Cela signifie que les policiers doivent avoir le terrorisme à l’esprit à chaque fois qu’ils arrêtent un véhicule, vérifient des papiers d’identité ou arrêtent un suspect pour un délit mineur.
« Les terroristes n’opèrent pas dans un vide logistique, a écrit Paul Howard. Ils n’ont pas pour habitude d’entrer dans le pays hôte avec un accès à de grosses sommes d’argent. Ils doivent, par conséquent, se livrer à toute une série d’activités illégales pour financer et préparer leurs opérations. »
Paul Howard a déclaré que les crimes préliminaires associés au terrorisme incluent généralement :
- la fraude par carte de crédit ;
- la contrefaçon ;
- le vol d’identité ;
- le trafic de drogue ;
- la contrebande ;
- le blanchiment d’argent.
Ces crimes sont précurseurs d’actions à plus grande échelle. Paul Howard a comparé l’accent mis sur les crimes préliminaires à une réforme mise en place dans la ville de New York lorsque les policiers se sont mis à arrêter les gens qui enjambaient les tourniquets dans le métro pour éviter de payer un ticket. La répression a entraîné une baisse de la criminalité dans le métro. En outre, la police a découvert que beaucoup des personnes arrêtées étaient sous le coup d’un mandat d’arrêt non exécuté, en possession de drogue ou d’armes illicites.
« Les équivalents du resquillage dans le métro de New York, en termes de terrorisme, sont le passage illégal des frontières, les faux documents et d’autres délits relativement mineurs commis par les terroristes pour financer leurs opérations », a écrit Paul Howard.
ICN
Un élément essentiel de toute action antiterroriste de la police est l’identification des cibles potentielles. Ces sites sont habituellement appelés infrastructure critiques nationales (ICN) et sont choisis par les terroristes parce qu’ils ont l’impact économique le plus large et qu’une attaque dirigée contre eux peut affecter le moral d’un pays tout entier. Les ICN se trouvent habituellement dans les secteurs suivants :
- Communications
- Gouvernement
- Services d’urgence
- Transports
- Énergie/eau
- Finance
En plus de ces secteurs, la police doit prendre en considération des cibles d’importance symbolique, notamment les lieux de culte, les monuments nationaux et les centres économiques, tels que les centres commerciaux, les banques ou les bourses. Une fois ces sources identifiées, la police doit déployer des ressources supplémentaires pour les protéger et coopérer avec les responsables de ces sites afin d’en assurer la sécurité.
La police « doit créer des relations de travail continues avec ces sites via des « partenaires de confiance » au sein de l’organisation avec laquelle elle souhaite partager les renseignements, établir des plans d’intervention et coordonner les opérations en cas d’urgence », a noté Paul Howard.
Ce partenariat devra trouver un juste équilibre. Dans la plupart des pays l’infrastructure critique est principalement privée. Une étude menée par les États-Unis a mis en évidence que 85 % des ICN appartiennent à des intérêts privés. Néanmoins, beaucoup de propriétaires privés n’ont pas les moyens de protéger l’infrastructure contre une attaque de grande envergure.
La police peut combler ce manque de capacités en proposant des conseils et des formations sur diverses mesures de protection, y compris le contrôle des accès aux installations, des plans d’évacuation, des systèmes de communication d’urgence et des enquêtes de vérification des antécédents du personnel. La police peut aussi s’associer avec les propriétaires des installations pour effectuer une évaluation des risques et identifier les points faibles.
Police de proximité
Si la police veut garder une longueur d’avance sur les groupes terroristes, elle doit se lancer dans deux types d’activité. La police de proximité implique que les policiers engagent le dialogue avec les gens de manière non conventionnelle, à la fois pour rester au fait des développements à l’échelle locale et pour s’en faire des alliés, qui sont les mieux placés pour les prévenir en cas d’activité anormale.
Ce type d’activités exige des agents qu’ils soient à la fois enquêteurs et travailleurs sociaux, d’après Basia Spalek, de l’université de Birmingham, au Royaume-Uni. Contrairement au travail d’infiltration, la police de proximité ne doit pas uniquement infiltrer les groupes extrémistes ou établir un réseau d’informateurs, bien que cela puisse être nécessaire dans certains cas. Au contraire, la méthode consiste à porter une attention spéciale aux minorités ethniques, aux communautés religieuses et d’expatriés minoritaires dans des villes où les groupes terroristes ont l’habitude de recruter. Les policiers peuvent établir des liens en visitant de lieux de culte et des foyers, en assistant à des cérémonies de mariage ou à des obsèques et en écoutant les préoccupations des membres de ces communautés. La police doit aussi montrer un intérêt actif pour la poursuite de crimes qui affectent les membres de ces communautés, comme les crimes de haine.
Grâce à cette action, le public considèrera la police comme une alliée et sera plus enclin à la prévenir en cas d’activité suspecte. L’Unité de contact musulmane (Muslim Contact Unit ou MCU), créée au Royaume-Uni au début des années 2000, est une innovation en la matière. Cette unité a gagné le soutien des chefs de la vaste et diverse communauté musulmane de Londres. La MCU a réalisé un certain nombre de projets très médiatisés, comme l’aide au changement de direction de la mosquée de Finsbury Park à Londres, qui était devenue un repère d’extrémistes.
« La MCU a réussi à arracher une mosquée des mains de sympathisants extrémistes violents, a écrit Basia Spalek. Elle a aidé à mettre en place des initiatives communautaires visant à prévenir l’extrémisme violent à Londres. Elle a fourni une assistance aux groupes minoritaires de la population musulmane qui étaient stigmatisés comme appartenant à des « communautés suspectes ». Elle a établi la confiance entre la police et des groupes de la population musulmane en aidant les victimes d’attaques racistes et islamophobes. Enfin, elle a introduit des policiers musulmans dans la police antiterroriste. »
La relation entre la police et le public est d’une importance vitale dans de nombreux pays d’Afrique, où la population a une piètre opinion de la police en raison de la corruption. Au Kenya, par exemple, un rapport de Transparency International a mis en évidence que la police avait la plus mauvaise réputation de toutes les institutions analysées. Ce manque de respect n’incite pas les citoyens à coopérer.
« Compte tenu de cette mauvaise réputation, le nombre de gens ordinaires qui craignent la police est encore très élevé », a indiqué Abubakar Barusi, avocat kenyan spécialisé dans les droits de l’homme. « Les membres de la communauté estiment qu’ils se trahiraient eux-mêmes s’ils [informaient] la police sur des crimes. »
Pour inverser cette tendance, le Kenya a lancé un projet national de police de proximité pour encourager la coopération et la confiance entre le public et la police. De même, en 2013, les chefs de police de la Communauté d’Afrique de l’Est ont convenus de créer des centres d’excellence régionaux, dont un en Ouganda, consacrés à la police de proximité.
Partage des renseignements
Bien que la lutte antiterroriste menée par la police commence au niveau de la communauté, elle ne peut pas s’arrêter là. Selon Martin Ewi, un expert sur les menaces internationales et la criminalité transfrontière à l’Institut d’Études de Sécurité de Pretoria, les pays africains doivent améliorer leur partage de renseignements. Martin Ewi estime que, si l’intégration politique et économique a progressé ces dernières années, cela n’est pas le cas pour le partage des renseignements.
« Les principaux obstacles à la coopération pratique ont été la souveraineté nationale et l’idée que la coopération antiterroriste concrète, en particulier entre les différentes polices, empiète sur la territorialité, a écrit Martin Ewi. Cela est encore plus manifeste lorsqu’il s’agit de la coopération entre la police et d’autres organes de maintien de l’ordre, comme la gendarmerie, les agences de renseignement, l’armée, les douanes et les autorités portuaires/frontalières. La relation est souvent caractérisée par la concurrence et la méfiance. »
Ce manque de partage de renseignements peut avoir des effets catastrophiques. Dans certains cas, des terroristes présumés recherchés dans le monde entier ont été arrêtés puis relâchés par les autorités qui ignoraient leur importance en raison de renseignements non transmis par un autre pays ou par l’agence nationale.
Martin Ewi recommande de donner à Interpol un plus grand rôle dans le partage des renseignements concernant l’extrémisme, la drogue et d’autres crimes transfrontaliers. « Par l’intermédiaire d’Interpol, les polices dans le monde entier peuvent avoir accès aux banques de données criminelles, à des outils d’investigation, à des formations ciblées, à des lignes de communication sécurisées et à d’autres outils de lutte contre la criminalité que la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest ne peuvent pas se procurer, a écrit Martin Ewi. Interpol dispose, par exemple, d’un système de communication mondial de haute technologie opérationnel 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 (I-24/7) qui permet aux polices de différents pays de communiquer entre elles, de partager des informations essentielles, de faciliter l’assistance juridique mutuelle et d’entreprendre des opérations conjointes. »
Des initiatives régionales dans ce sens commencent à apparaître. Le système d’information policière des pays d’Afrique de l’Ouest a été créé par Interpol en 2010 afin de centraliser et de partager des informations émanant d’agences de maintien de l’ordre dans les pays membres d’Afrique de l’Ouest. L’Organisation de coopération des chefs de police de l’Afrique de l’Est fait, en grande partie, la même chose pour les pays d’Afrique de l’Est. Par exemple, elle organise des formations et partage des renseignements sur les groupes terroristes.
Suite à l’attaque terroriste du centre commercial Westgate, à Nairobi, perpétrée par des individus liés à Al-Shebab, des experts en sécurité appellent à une plus grande coopération, en particulier entre la Somalie et le Kenya.
« Le Service national du renseignement du Kenya et l’Agence nationale de renseignement et de sécurité de Somalie devraient mettre leurs ressources en commun pour établir une banque de données régionales détaillées sur le terrorisme et organiser des rencontres régulières entre agents afin de comparer les données de renseignement et les analyses », a rapporté Sabahi Online en octobre 2013.
« Une telle banque de données comporterait le nom des terroristes suspectés, une photo récente, leur localisation et leurs derniers déplacements, leurs complices et leurs communications enregistrées ainsi que leur source de financement », a précisé l’ambassadeur somalien au Kenya, Mohammed Ali Nur, à Sabahi Online.
Le manque d’échange d’informations n’est pas seulement un problème entre les pays. Les renseignements doivent être échangés entre les organes de maintien de l’ordre au sein d’un pays. Après les attentats du 11 septembre 2001, qui ont secoué les États-Unis, une commission nationale a constaté qu’un meilleur échange de renseignements entre les agences gouvernementales mais aussi entre le gouvernement fédéral et les services de maintien de l’ordre locaux aurait pu éviter ces attaques.
Plus particulièrement, trois des
pirates de l’air responsables de l’attentat du 11 septembre avaient été interpellés séparément pour des infractions au code de la route peu avant les attaques. Leurs documents d’immigration étaient périmés. L’un d’entre eux était sous le coup d’un mandat d’arrêt non exécuté émis par un autre État, et au moins un des hommes figurait sur une liste de surveillance de la CIA. Toutefois, la police locale n’ayant pas eu accès à ces informations, les hommes ont tous été relâchés.
Lors d’audiences publiques du Congrès en 2010 sur la question, de nombreux observateurs ont souligné l’importance du partage d’informations impliquant la police de proximité.
« La nature diffuse de la menace terroriste moderne et la priorité accordée au terrorisme amateur réfutent l’hypothèse selon laquelle les autorités fédérales seront les premières averties d’un complot terroriste et qu’elles transmettront ces informations aux autorités locales », a déclaré Brian Michael Jenkins, un expert en terrorisme. « Il est tout aussi probable, voire plus probable, que les polices locales seront les premières à relever des indices de conspirations futures. »
Pour combler ces lacunes, les États-Unis ont mis en place l’Initiative de signalement des activités suspectes dans le cadre de laquelle la police de proximité est encouragée à signaler des affrontements et à partager des informations qui pourraient être liées au terrorisme. Ces informations sont vérifiées et transmises à des agents locaux et fédéraux dans tout le pays.
Les Enseignements Tirés De Westgate
PERSONNEL D’ADF
Le 21 septembre 2013, des terroristes lié à Al-Shebab ont pris d’assaut le centre commercial Westgate, à Nairobi. Armés de fusils d’assaut et de grenades, ils ont tenu un siège de 4 jours, faisant 67 victimes. Cette tragédie nationale est l’un des attentats terroristes les plus mortels contre des civils de l’histoire récente de l’Afrique. Cet événement a aussi été l’occasion pour l’armée et la police kenyanes de s’interroger sur ce qui aurait pu être fait pour prévenir l’attaque et sauver des vies après son déclenchement. Voici quelques « enseignements tirés », issus de différentes sources :
PRÉVOIR UN PLAN D’ÉVACUATION D’URGENCE. Dès le début de l’attaque, une panique compréhensible s’est déclenchée. D’après les vidéos de surveillance, les employés des magasins et les clients ne semblaient pas savoir où se trouvaient les six issues de secours du centre commercial de 33.000 mètres carrés. Le personnel de sécurité des magasins n’a pas utilisé le système de sonorisation pour donner des instructions au public terrifié. Un plan de secours établi et testé à l’avance avec l’aide de la police kenyane aurait facilité l’évacuation.
IDENTIFIER PRÉCISÉMENT LES PREMIERS INTERVENANTS.Beaucoup de premiers intervenants de la police kenyane et d’autres groupes étaient en civil. Ils ont donc été pris pour des terroristes. Ce manque d’identification en a fait une cible facile et des victimes de tirs. D’après les informations recueillies, il existait un manque de communication entre la police kenyane et les intervenants militaires.
SÉCURISER LE PÉRIMÈTRE EXTÉRIEUR.Les premiers responsables de la sécurité arrivés sur le site n’ont pas établi de périmètre de sécurité adéquat autour du centre pour empêcher les gens d’entrer ou de sortir.
IDENTIFIER WESTGATE COMME CIBLE ÉVENTUELLE.Des conversations ont été rapportées entre le Service national des renseignements, l’inspecteur général de la police et la section de recherche criminelle sur le risque d’une attaque du centre commercial Westgate. Si ce dernier avait été identifié en priorité comme cible éventuelle, une évaluation des risques et un plan de secours auraient pu être mis en place.
ÉTABLIR UNE POLICE DE PROXIMITÉ À EASTLEIGH.Il s’avère que les attaquants ont passé quatre mois à Nairobi pour préparer l’attentat. Ils ont fait de nombreux achats, dont un véhicule et des cartes SIM pour téléphones portables. Ils ont aussi été vus dans une salle de sports locale. La surveillance par la police de proximité dans le quartier d’Eastleigh, dont la population est principalement somalienne, aurait pu fournir des indices sur les activités des jeunes hommes avant l’attaque.
CONTRÔLER LES FRONTIÈRES. The Star, le journal de Nairobi, a rapporté que les hommes s’étaient entraînés en Somalie, avaient pris l’avion pour l’Ouganda et étaient entrés au Kenya en passant la frontière à pied avant de se rendre à Nairobi. On ne sait pas exactement s’ils ont été interpellés pour vérification d’identité. Cependant, la police qui garde les barrages routiers est connue pour sa tendance à fermer les yeux en échange de pots-de-vin. Cette pratique réduit à néant les efforts consentis par le pays pour sécuriser ses frontières.
Sources : KenyaCitizenTV, Jillo Kadida du journal The Star, Agence France-Presse, service de police de la ville de New York