PERSONNEL D’ADF
Amina Fofana est membre d’un groupe protestataire malien pro-junte et du Conseil national de transition du gouvernement militaire, l’organisme législatif du pays.
Elle est très visible sur les réseaux sociaux. Sa page de Facebook a environ 5.000 amis et héberge un torrent d’articles qui apparaissent plusieurs fois par jour. Elle est aussi fervente partisane de l’influence russe au Mali et propage sa propagande mensongère et sa désinformation.
Le 9 décembre 2021, elle a affiché un clip vidéo de 3 minutes 27 secondes qui montrait un hélicoptère blanc atterrir dans un champ libre alors qu’au moins quatre jeunes hommes attendaient. Une voix s’est exprimée dans la langue bambara alors qu’une musique de fond jouait faiblement. Un homme est sorti de l’hélicoptère et a déchargé plusieurs sacs et sacs à dos pour ceux qui attendaient. Un homme a filmé la vidéo de la rencontre.
L’article de Mme Fofana prétend que la vidéo montre des gardiens de la paix des Nations unies au Mali qui « fournissent les terroristes et les amènent par hélicoptère du point A au point B ! »
Il n’y a rien de plus faux. Mais cette affirmation est fréquente dans les missions de maintien de la paix de la République centrafricaine (RCA), de la République démocratique du Congo (RDC) et du Mali. Un élément commun en RCA et au Mali est l’implication des campagnes de désinformation liées à la Russie et la présence d’une force militaire privée soutenue par Moscou.
« En RCA et au Mali, la montée de la désinformation contre les gardiens de la paix de l’ONU a coïncidé avec le déploiement des mercenaires russes du groupe Wagner, respectivement en 2018 et 2021 », écrit Albert Trithart, rédacteur et Research Fellow à l’Institut international de la paix, en novembre 2022. « Bien qu’il soit difficile d’identifier les origines de cette désinformation, les chercheurs en ont tracé une grande partie aux organisations de la société civile ou aux chaînes médiatiques locales ayant des liens financiers avec la Russie. »
Ibrahim Togola, étudiant en philosophie et blogueur malien, a réfuté rapidement les mensonges de Mme Fofana dans un article pour Benbere, site de blog qui prône « la réconciliation et l’apaisement des cœurs pour un Mali uni et ouvert. »
Dans son article du 14 décembre 2021, il cite ce que dit le narrateur de la vidéo : « Ce sont ceux qui tuent notre peuple. Vous dites qu’ils viennent pour nous aider […], ils amènent leurs équipements dans notre brousse pour tuer nos riziculteurs. »
La meilleure preuve de la mauvaise caractérisation de la vidéo provient d’un utilisateur de Facebook à Bangui (RCA). Dans un commentaire sur l’article de Mme Fofana, il a remarqué que l’hélicoptère n’était pas un aéronef onusien et n’était même pas au Mali. En fait, il était en RCA et présentait un logo d’African Parks à l’avant. Il ravitaillait des employés qui gèrent la réserve naturelle de Chinko.
African Parks est une organisation non gouvernementale sud-africaine, et l’un de ses responsables a confirmé que l’hélicoptère leur appartenait et qu’il effectuait une mission de ravitaillement de routine, selon le blog de Togola.
UN PANORAMA DE MENSONGES
Alors que la violence et l’instabilité politique persistent en RCA, en RDC et au Mali, l’atmosphère est pleine de désinformation et de mensonges, dont une grande partie est produite par des agents russes et leurs alliés. L’identification de et la lutte efficace contre ces mensonges est difficile et les responsables de l’ONU ont commencé à formuler des réponses coordonnées seulement récemment.
Depuis 2017 environ, la désinformation en ligne contre les missions de maintien de la paix de l’ONU et les gardiens de la paix individuels en RCA, en RDC et au Mali a augmenté. « Selon les fausses affirmations les plus courantes, [les missions de maintien de la paix] MINUSCA et MINUSMA pillent les ressources naturelles et entrent en collusion avec les groupes armés ou les djihadistes », écrit M. Trithart, en se référant respectivement aux missions de la RCA et du Mali.
En 2022, la désinformation a diminué quelque peu contre la MINUSCA en RCA, mais elle a augmenté au Mali contre la MINUSMA, écrit-il. La hausse au Mali semblerait coïncider avec l’engagement croissant des mercenaires du groupe Wagner et le retrait des Forces françaises qui étaient restées dans le pays pendant une dizaine d’années.
En 2013, la MINUSMA marque son dixième anniversaire. Ce faisant, elle découvre que les défis qu’elle affronte ne sont pas moins difficiles que ceux de ses débuts. Elle reste la mission de maintien de la paix la plus dangereuse sur le continent. Bien que ce ne soit pas la plus grande, elle est active dans l’un des environnements les plus inhospitaliers et difficiles en affrontant tout un éventail d’organisations extrémistes violentes.
De même, la RCA qui héberge aussi des mercenaires russes reste dangereuse parmi les tensions persistantes entre les milices musulmanes et chrétiennes. En RDC, plus de 100 groupes armés rôdent dans la région de l’Est, à 1.500 km de Kinshasa, siège du gouvernement national.
Les chaînes médiatiques professionnelles sont rares dans ces pays, ce qui laisse un « vide de l’information » qui fournit un terrain fertile pour la désinformation et les rumeurs, écrit M. Trithart. Ceci est combiné à la colère des gens concernant l’insolubilité de la violence et l’intervention étrangère qui la combat. Les rumeurs sur Covid-19 et l’Ebola, en particulier dans l’Est de la RDC, ont aggravé le problème en alimentant et s’alimentant des sentiments anticoloniaux et des efforts de désinformation.
L’ONU EN PREND NOTE
António Guterres a promis en 2016 lorsqu’il a prêté serment en tant que secrétaire général que les Nations unies « communiqueraient mieux sur ce que nous faisons, de façon que tout le monde comprenne ».
Dans un discours devant le Conseil de sécurité le 12 juillet 2022, M. Guterres a reconnu le panorama d’information périlleux auquel font face les missions de maintien de la paix dû aux acteurs malveillants.
« Les armes qu’ils brandissent ne sont pas seulement des fusils et des explosifs, a-t-il dit. La mésinformation, la désinformation et les discours haineux sont de plus en plus employés comme armes de guerre », avec l’intention claire « de déshumaniser le soi-disant étranger, de menacer les communautés vulnérables, ainsi que les gardiens de la paix eux-mêmes, et même de donner licence pour commettre des atrocités. »
M. Guterres note le besoin de communications stratégiques efficaces pour protéger les civils et les gardiens de la paix. La communication stratégique « axée sur l’humain » qui aide à développer des relations est la façon « la meilleure et la plus économique » de contrer les infox et la désinformation, dit-il.
« Plus que le simple désamorçage des liens dangereux, la mise en œuvre d’une communication bidirectionnelle personnalisée développe la confiance ainsi que le soutien politique et public…, renforce la compréhension de nos missions et nos mandats parmi la population locale, et en retour renforce la compréhension de nos gardiens de la paix concernant les préoccupations, doléances, attentes et espérances de la population locale ».
Plusieurs actions sont en cours pour améliorer les communications stratégiques du maintien de la paix. La première consiste à assurer une « approche de toute la mission » parmi le personnel en uniforme et le personnel civil. Deuxièmement, les responsables de mission sont chargés d’assurer que les communications stratégiques soient intégrées dans l’ensemble de la planification et la prise de décision. La formation et le partage des meilleures pratiques seront fournis à toutes les missions et des outils seront déployés pour contrer la désinformation, la mésinformation et les discours haineux. L’ONU surveille aussi continuellement ses campagnes d’information pour s’assurer qu’elles restent efficaces.
Finalement, les communications stratégiques amélioreront la prise de responsabilité et mettront fin aux manquements tels que l’exploitation sexuelle. Un tel comportement peut empoisonner l’environnement informationnel et monter les civils contre les gardiens de la paix. La désinformation et la mésinformation peuvent s’envenimer et se propager en cas de manque de confiance.
Selon l’observatoire mondial de l’International Peace Institute, un sondage conduit au début 2022 auprès des gardiens de la paix de l’ONU a découvert que 41 % déclaraient que la désinformation et la mésinformation « entravaient de façon critique ou grave » les mandats des missions, et 45 % déclaraient qu’elles mettaient aussi en danger la sécurité des gardiens de la paix.
CONTRER LA DÉSINFORMATION
Le discours du 12 juillet 2022 de M. Guterres était la première fois que le Conseil de sécurité de l’ONU avait abordé les communications stratégiques dans les opérations de maintien de la paix, selon « Protéger la vérité : les opérations de paix et la désinformation », étude d’octobre 2022 du Centre pour les opérations internationales de paix basé à Berlin, par Monika Benkler, le Dr Annika Hansen et Lilian Reichert.
Le Conseil de sécurité a demandé à M. Guterres de développer un examen des communications stratégiques dans les opérations de maintien de la paix pour « évaluer les capacités existantes et l’impact sur les communautés locales, identifier les lacunes et les défis, et proposer des mesures pour y répondre », selon une annonce de presse de l’ONU.
Mais entre-temps, les missions ont pris certaines mesures sur le terrain pour aider à améliorer l’environnement informationnel et combattre la mésinformation et la désinformation.
En RCA, le personnel de police des Nations unies (UNPOL) a conduit des sessions d’information avec des élèves dans les lycées civils de Bangui pour expliquer le mandat de la mission et les efforts entrepris par UNPOL pour soutenir la paix dans le pays.
Les jeunes ont vu l’équipement de l’ONU et écouté des responsables parler de la mission de la MINUSCA. Jean-Pierre Lacroix, sous-secrétaire général de l’ONU pour les opérations de paix, a applaudi cet effort sur Twitter en disant : « La lutte contre #disinformation et #misinformation commence avec les jeunes. »
Une telle sensibilisation peut avoir beaucoup de valeur pour équiper les civils, en particulier les jeunes qui utilisent beaucoup les réseaux sociaux, afin qu’ils puissent distinguer entre les initiatives légitimes des missions et les rumeurs et mensonges.
En juin 2021, la MINUSCA a invité des rédacteurs de journaux et des chefs de la société civile à Bangui pour une session sur la lutte contre la désinformation. L’Association des blogueurs de Centrafrique, le Consortium des journalistes contre la désinformation et l’Association « Fake Check » de Centrafrique ont participé, entre autres.
Serge Lambas, rédacteur du journal Étoile, a exhorté ses collègues journalistes à respecter l’éthique de leur métier. « En tant que journalistes, nous devons fournir des informations provenant de sources vérifiées, pour que cela puisse bénéficier à la population, conformément à notre éthique professionnelle », a-t-il déclaré, selon un rapport d’actualité de la MINUSCA.
Thibaut Logbama Mokole, secrétaire général d’une association représentant les victimes de la désinformation, a déclaré : « Après cette formation, nous retournerons dans nos bases respectives pour montrer à nos membres comment utiliser les réseaux sociaux, en particulier Facebook, et comment éviter de publier des informations fausses. »
Alors que la population de l’Afrique augmente et devient proportionnellement plus jeune, il est raisonnable de postuler que l’engagement avec les réseaux sociaux augmentera. Alors que les conflits continuent dans des lieux tels que la RCA, le Mali et ailleurs, les vides d’informations persisteront. L’ONU, les gouvernements nationaux et les organisations de la société civile n’auront pas d’autre choix que de continuer à faire face à la désinformation et la mésinformation.
Les missions de maintien de la paix devront développer de nouveaux moyens pour contrer la désinformation afin de protéger leur propre personnel. selon le rapport du Center for International Peace Operations. Il présente quatre secteurs d’amélioration :
LA SENSIBILISATION SITUATIONNELLE : Les missions devraient « cartographier le panorama des médias » et surveiller les réseaux sociaux tout en éduquant aussi le personnel sur le terrain au sujet de la désinformation. Les conditions sujettes à la désinformation, par exemple les périodes précédant des élections, devraient être surveillées pour déceler des vulnérabilités.
LA RÉPONSE : Chaque mission devrait avoir une stratégie de communication générale qui personnalise des approches pour les groupes vulnérables à la désinformation. Le personnel de la mission devrait aussi partager activement des informations vérifiées et fiables et « surveiller les droits de l’homme dans l’espace du numérique. »
LA RÉSILIENCE : Les missions doivent constamment analyser les points faibles et y répondre selon les besoins, tout en évaluant aussi régulièrement la technologie de l’information et les communications pour identifier et surveiller les systèmes vulnérables à la désinformation. Les missions devraient aussi aider les gouvernements hôtes à contrôler les plateformes en ligne et protéger les données. Le développement des capacités et des connaissances entre les journalistes, les jeunes et les représentants de la société civile est essentiel.
LA COOPÉRATION : Les missions devraient travailler avec les pays hôtes et les sociétés de réseaux sociaux pour contrôler de façon appropriée le contenu, les informations d’échange et les meilleures pratiques avec les autres missions de maintien de la paix. La fourniture d’une formation pour les pays contributeurs de soldats serait aussi utile.