PERSONNEL D’ADF
Alors que le monde essaie de comprendre ce qui a provoqué le coup d’État au Niger, le facteur de l’ethnicité continue à être examiné.
Dans toute l’histoire du continent, les coups d’État ont été étroitement liés aux doléances ethniques. Ceci est particulièrement vrai lorsque les forces armées appartiennent en majorité à un seul groupe ethnique et ne reflètent pas la population qu’elles servent. Ce qui émerge est la croyance que l’accès au pouvoir et le développement des carrières sont liés à l’ethnicité.
Le Dr Olayinka Ajala, maître de conférence en politique et relations internationales à l’université Leeds Beckett, déclare à ADF : « Nous pouvons lier un grand nombre de coups d’État à l’ethnicité. L’ethnicité a toujours été un facteur lorsque vous examinez la gouvernance, la démocratie et l’état de droit. »
Au Niger, le président nouvellement destitué Mohamed Bazoum appartient aux Oulad Souleymane, groupe d’ethnicité arabe qui trace ses origines en Libye. Ils sont une petite minorité au Niger, représentant peut-être 0,5 % de la population seulement. Le général Abdourahmane Tchiani, leader du coup d’État, est un Haoussa, le groupe majoritaire du pays.
Les observateurs déclarent que son ethnicité présentait un problème pour le président dès que ce dernier est entré en fonction.
« Les présidents qui héritent des constituants parmi lesquels ils proviennent d’une minorité… ont l’impression d’être assiégés », déclare le Dr Edgar Githua, expert en relations internationales et diplomatie à l’Université internationale américaine de Nairobi, à Voice of America. « Vous êtes minoritaire et les autres personnes qui contrôlent le gouvernement viennent d’autres groupes ethniques qui pensent, ou ont l’impression, que vous ne méritez pas d’être leur chef. »
La colère ethnique a été incitée par des rumeurs persistantes mais sans fondement selon lesquelles M. Bazoum est un « étranger ».
Le Dr Ajala déclare que les divisions ethniques constituent un problème dans l’armée nigérienne. L’ancien président Mahamadou Issoufou avait essayé de moderniser les forces armées en recrutant davantage de soldats appartenant à des groupes ethniques minoritaires, notamment les Touaregs, et en créant un système de quotas. Mais les divisions et l’accès inégal aux plus hauts échelons ont persisté.
« Ces choses nécessitent du temps pour se matérialiser afin que les groupes ethniques moins nombreux puissent atteindre les grades supérieurs, dit-il. Il faut entre 20 et 30 ans pour qu’un officier fasse carrière et devienne général de brigade ou général à part entière.… Nous pouvons donc constater que l’armée est toujours commandée de façon prédominante par les Haoussas parce que le système de quotas nécessite un certain temps avant que les officiers n’atteignent le sommet de la hiérarchie. »
Le Dr Ajala déclare que toute tentative du président Bazoum visant à remanier les forces armées allait se heurter à une résistance ferme. « En interviewant les gens, en parlant aux gens sur le terrain, j’ai découvert que l’ethnicité est un problème majeur au sein de l’armée. Il existait à l’époque des rumeurs d’un remaniement prochain des forces armées qui aurait conduit à la mise à pied de Tchiani et c’est l’une des choses qui ont précipité le coup d’État. »
Dans toute l’histoire de l’Afrique après l’indépendance, les leaders ont effectué ce que l’on appelle « l’entassement ethnique » des forces armées. Cela se produit lorsqu’un dirigeant fort remplit les hauts rangs des forces armées avec des membres d’un groupe ethnique loyal. À court terme, les dirigeants pensent que cela les protège contre les tentatives de coup d’État.
« L’entassement ethnique encourage la loyauté des forces de sécurité et réduit les risques de coup d’État grâce à la promotion du favoritisme de groupe, la liaison des opportunités de népotisme au partage de l’ethnicité, et l’attachement des soldats au sort de leurs chefs », écrit la chercheuse Kristen Harkness dans son article intitulé « L’entassement ethnique dans le jeu de données africain : lorsque les dirigeants emploient l’identité proclamée pour encourager la loyauté des forces armées ».
Mais à long terme, l’entassement ethnique peut en fait provoquer les coups d’État puisque les groupes exclus constatent que le seul chemin pour obtenir le pouvoir militaire ou politique est sous la menace des armes. De même, lorsque le pouvoir politique est transféré, comme cela s’est passé au Niger en 2021, l’armée ethniquement alignée se sent menacée et peut être tentée de lancer un coup d’État.
« L’exclusion ethnique dans les institutions d’état importantes, y compris potentiellement les forces armées, crée l’inégalité et les doléances de groupe qui peuvent motiver la rébellion », écrit Kristen Harkness.
L’entassement ethnique réduit aussi l’efficacité des forces armées. D’autres stratégies, notamment le « contrepoids » selon lequel les dirigeants concentrent des ethnicités dans des unités paramilitaires différentes pour éviter un centre de pouvoir, ont aussi tendance à faire baisser l’efficacité sur le champ de bataille et conduire à l’instabilité à long terme.
Dans une analyse exhaustive, Kristen Harkness a découvert que 33,3 % des dirigeants africains pratiquent l’entassement ethnique des institutions de sécurité.
Nous ne savons pas à quel point les doléances ethniques ont joué un rôle dans le coup d’état du Niger. Mais le Dr Ajala déclare que, historiquement, dans les armées relativement réduites comme celle du Niger, les divisions ethniques et l’accès inégal au sommet de la hiérarchie ont tendance à provoquer des problèmes.
« Quelle que soit la façon dont vous structurez cela, vous ne serez toujours pas capable de satisfaire tout le monde. C’est parce qu’il n’y a pas suffisamment de postes le faire. Et vous découvrirez qu’un groupe ethnique est toujours dominant : c’est ce que nous constatons au Niger. »