PERSONNEL D’ADF
Le SGR (Standard Gauge Railway, chemin de fer à écartement standard) kényan construit par la Chine était censé devenir un moteur économique pour l’Afrique de l’Est, en reliant le centre du continent au port de Mombasa. Mais il est plutôt devenu un fardeau financier qui absorbe une part de plus en plus grande des revenus du pays.
Bien que les passagers fassent l’éloge de ce train de 480 km, son élément vital était censé être le fret. Sur ce point, il manque de satisfaire aux attentes depuis 2017, l’année où il a été mis en service.
- Les travaux se sont arrêtés très loin de l’Ouganda lorsque les craintes concernant le remboursement ont incité les prêteurs chinois à réduire le financement du SGR. Le chemin de fer aboutit aujourd’hui près de Naivasha, à plus de 300 km de la frontière ougandaise. L’Ouganda s’est retiré du projet SGR et a choisi d’utiliser une société turque pour développer la partie finale du chemin de fer.
- Le SGR coûte plus que le transport par camion depuis Mombasa pour les sociétés d’expédition. Une politique qui a maintenant été abandonnée forçait les sociétés de fret d’utiliser le SGR : ceci avait fait grimper les coûts de près de 30 %, selon une étude effectuée par des chercheurs de l’université de Nairobi.
- Le coût du chemin de fer, à hauteur de 4,7 milliards de dollars, a aidé à faire augmenter l’endettement du Kenya au cours des dix dernières années, de 38 % du produit national brut (PNB) en 2012 à près de 70 % cette année, selon la Banque centrale du Kenya.
En juillet 2023, le remboursement semestriel de la dette kényane liée au SGR, versé à la Chine, a atteint 356 millions de dollars, soit près de 80 % du paiement sur la dette de 451 millions de dollars ce mois-là, selon un rapport du gouvernement.
La dette emballée du Kenya envers la Chine a atteint aujourd’hui 6 milliards de dollars, et certains prêts deviendront payables au cours des douze prochains mois. Un grand nombre de prêts chinois accordés au Kenya et à d’autres pays africains sont des prêts « sans concession » obtenus par l’intermédiaire d’institutions telles que la Banque chinoise d’importation et d’exportation. De ce fait, ils ne peuvent pas être radiés. Mais ils sont souvent renégociés de façon à étendre les conditions et prolonger les paiements bien au-delà de leurs dates limites d’origine.
Alors même que son pays a des difficultés pour rembourser sa dette envers la Chine, le président William Ruto était à Pékin en octobre pour solliciter des prêts additionnels d’un milliard de dollars. Le vice-président Rigathi Gachagua a déclaré sur une station radio locale que M. Ruto avait demandé aux responsables chinois de ralentir le remboursement des prêts kényans existants tout en empruntant aussi de l’argent pour terminer les projets routiers en suspens.
Ces derniers pourraient inclure la complétion de la section finale du chemin de fer entre Naivasha et la frontière ougandaise.
« Le SGR du Kenya a désespérément besoin d’une expansion transfrontalière pour le rendre financièrement durable. C’est un autre élément clé de la négociation du Kenya », déclare l’économiste Aly Khan Satchu à l’Associated Press.
Au cours des dernières années, la Chine a réduit le montant des prêts qu’elle accorde à l’Afrique, alors que les pays emprunteurs font face à des niveaux d’endettement potentiellement paralysants qui menacent de déstabiliser leur économie.
Tant que le SGR n’est pas prolongé et que ses opérations ne sont pas étendues, il semble probable qu’il demeurera un fardeau financier pour le gouvernement.
L’étude de faisabilité ayant soutenu le projet, financée par la Chine, avait affirmé que le chemin de fer serait rentable s’il transportait annuellement 22 millions de tonnes de fret, soit 20 trains par jour, chaque jour. Ceci est plus du double de la capacité opérationnelle actuelle de la voie, selon une étude de l’Institut kényan pour la recherche et l’analyse des politiques publiques.
En 2018, le SGR avait huit trains de fret par jour, qui transportaient 108 conteneurs d’expédition doublement empilés. En 2021, une forte baisse du fret a forcé le chemin de fer à mettre fin à la politique du double empilement et de réduire ses opérations quotidiennes de huit à cinq trains, selon l’International Railway Journal. Ce changement a aussi soulevé davantage de questions sur la capacité kényane de rembourser la dette liée à la voie ferrée.
En 2023, la Kenya Railway Corp. a signalé en moyenne 18 à 20 trains par jour entre Mombasa et les plateformes de transit de Nairobi et Naivasha. Les autorités kényanes signalent que les revenus du SGR ont atteint 84 millions de dollars en 2022, soit 4 % de plus que l’année précédente.
Alors même que le SGR enregistre une croissance, ses revenus sont bien inférieurs aux sommes nécessaires pour rembourser la dette. Néanmoins, de nombreux responsables kényans appuient l’expansion du chemin de fer, d’une manière ou d’une autre.
Kipchumba Murkomen, secrétaire de cabinet kényan aux Transports, a déclaré à la BBC : « Ce sera plus productif pour nous de continuer avec le projet. Mais la question du financement est actuellement notre défi. »