PERSONNEL D’ADF
Souleymane Faye, pêcheur sénégalais à la retraite, observait avec consternation un groupe de pêcheurs artisanaux épuisés par leur travail qui amenaient leurs pirogues aux couleurs vives vers le rivage de Bargny, à environ 15 km à l’Est de Dakar.
« Regardez, ils viennent d’arriver », a dit M. Faye à Reuters en mars dernier. En examinant l’intérieur des boîtes utilisées pour transporter la prise, il a déclaré : « Il n’y a rien. »
Les résidents locaux blâment depuis longtemps les chalutiers industriels étrangers, pour la plupart chinois, pour décimer les stocks de poissons en utilisant des pratiques de pêche illégales, non signalées et non réglementées (INN). Selon l’Environmental Justice Foundation (EJF), le Sénégal perd plus de 270 millions de dollars de revenu chaque année à cause de la pêche illégale.
Malick Seck, pêcheur de Fass Boye, déclare à l’EJF : « L’abondance qui existait jadis est en diminution. À cette allure, nous ne pourrons pas survivre. »
Après plusieurs années de critiques sur la gouvernance médiocre de son secteur de la pêche, le gouvernement du Sénégal sous son nouveau président, Bassirou Diomaye Faye, a introduit en mai une série de mesures pour réduire la pêche INN, en commençant par la publication d’une liste de navires autorisés à pêcher dans les eaux territoriales.
Cette liste comporte 132 chalutiers nationaux et 19 étrangers. Le registre, qui vise à améliorer la transparence sur la gestion des ressources naturelles, comporte les noms des navires, leur propriétaire, leur capacité, le type de pêche qu’ils sont autorisés à pratiquer et la taille des filets qu’ils peuvent utiliser, selon le Maritime Executive.
La mesure « reflète le principe de la transparence dans la gestion des ressources nationales, qui sont un héritage national », a déclaré Fatou Diouf, ministre des Pêches, des Infrastructures maritimes et portuaires, dans un rapport publié par la Confédération africaine des organisations de pêche artisanale (CAOPA).
En plus de la publication de la liste des navires approuvés, le Conseil des ministres du Sénégal présidé par M. Faye a fait appel au renforcement du Code de la pêche maritime du pays. Le président a aussi demandé un inventaire et une évaluation de l’intervention de l’État, des subsides et du financement du secteur de la pêche, selon le Maritime Executive.
Aliou Ba, gestionnaire de la campagne des océans pour Greenpeace, a applaudi les mesures.
« Donc nous exhortons maintenant l’état à vérifier cette liste et à examiner la question des pavillons sénégalais pour que nous puissions comprendre comment ces navires ont été capables d’acquérir des permis de pêche et comment ils ont pu prétendre être des navires sénégalais et pratiquer leurs activités dans les zones sénégalaises », déclare M. Ba sur France 24.
Les chalutiers chinois sont bien connus pour « emprunter » le pavillon d’un pays africain, ce qui veut dire qu’ils utilisent les règles locales et les abusent pour inscrire un vaisseau de pêche appartenant et géré par une société étrangère sur un registre africain afin de pêcher dans les eaux locales. Cette pratique indique fréquemment que les navires s’engagent dans la pêche illégale.
La Chine est le pire contrevenant mondial de la pêche INN, selon l’Indice de pêche INN. Parmi les dix premières sociétés pratiquant la pêche illégale dans le monde, huit sont chinoises.
La surexploitation des pêches par la Chine et d’autres pays est catastrophique pour le Sénégal et l’Afrique de l’Ouest. Environ 20 % des poissons attrapés illégalement proviennent des eaux côtières de Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Mauritanie, Sénégal et Sierra Leone, selon un reportage de l’organisation de presse Investigative Journalism Reportika.
À cause de la pêche illégale, les pêcheurs artisanaux du Sénégal déclarent que leur prise a chuté de 58 % entre 2012 et 2019, selon un rapport de l’EJF publié en 2023. 78 % des pêcheurs et des traiteurs de poissons interviewés par l’EJF déclarent qu’il leur est de plus en plus difficile de nourrir leur famille.
Arona Boye, pêcheur de Fass Boye, déclare à l’EJF : « Dans chaque tente de pêcheur où vous allez, le sujet de discussion est la pénurie de poisson. Les navires attrapent tout ce que nous sommes censés attraper. Vous allez pêcher, vous lancez vos filets et vous n’attrapez rien. »
En plus de l’emprunt de pavillon, l’emploi des filets interdits, la pêche aux explosifs et la pêche dans les zones interdites, les chalutiers chinois au Sénégal pratiquent aussi couramment le chalut de fond, qui ramasse sans discrimination toutes les espèces de faune marine.
Sellé Mbengue, directeur de la gestion et l’exploitation de haute mer pour le ministère sénégalais de la Pêche, déclare à l’EJF : « Le chalut de fond est un activité que les gestionnaires des fonds marins veulent changer. Non seulement il détruit les habitats, mais il nuit aussi à l’écosystème des fonds marins, et nous nécessitons un écosystème des fonds marins avec ses habitats et toute sa richesse naturelle. »
En 2023, près de 100 navires de pêche pratiquaient le chalut de fond au Sénégal, selon la fondation.