Africa Defense Forum

LE SAUVETAGE DU SAHEL

Une nouvelle force de combat cherche à sécuriser la région contre les djihadistes et le trafic illicite

PERSONNEL D’ADF

Une fumée épaisse et noire montait dans le ciel au-dessus de la ville de Ouagadougou, au Burkina Faso, en mars 2018, preuve que des djihadistes radicaux avaient de nouveau attaqué cette capitale affairée, dans la région du Sahel occidental d’Afrique.

La double attaque visait l’ambassade française et le quartier général militaire du Burkina Faso. L’assaut causa la mort de huit soldats burkinabés et huit assaillants. Quatre-vingt personnes furent blessées. C’était la troisième attaque extrémiste dans la ville en un peu plus de deux ans.

Un soldat nigérien près de Diffa garde la frontière
avec le Nigeria. REUTERS

Le ministre de la Sécurité Clément Sawadogo a déclaré aux journalistes que l’attaque semblait avoir ciblé des officiers de haut rang des forces armées et aurait pu chercher à « décapiter » le leadership militaire du Burkina Faso. Elle aurait réussi, déclare-t-il, si le lieu de la réunion n’avait été changé en dernière minute.

Cela n’est pas le premier incident de ce type au Burkina Faso. En août 2017, près de 20 personnes ont été tuées et 20 autres blessées lorsque des tireurs en moto ouvrirent le feu sur un restaurant turc. En janvier 2016, des membres d’al-Qaïda au Maghreb islamique ont tué au moins 24 personnes dans un hôtel et un café sur la même rue encombrée, selon le Washington Post.

Contrairement au Mali, son voisin du Nord, le Burkina Faso n’héberge pas de mission de maintien de la paix des Nations unies et n’est pas le site d’une action militaire multinationale pour déloger une insurrection. Toutefois, ce pays représente seulement le plus récent exemple des dangers qui rôdent au Sahel, région géographique transitionnelle qui sépare le Sahara au Nord et les savanes humides au Sud. Le Sahel s’étend sur près de 4.000 kilomètres, du Sénégal jusqu’à la côte de l’Érythrée sur la mer Rouge.

Après les attaques du Burkina Faso, les troubles continuels du Mali et une insurrection islamiste armée au Nigeria qui s’est étendue au Cameroun, au Tchad et au Niger, cinq pays ont décidé d’agir pour sécuriser leurs frontières et protéger leur peuple.

La région du Sahel est déjà pleine de soldats qui essaient de repousser les insurrections et les troubles. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a été établie en 2013 pour rétablir l’ordre après un coup d’état de 2012 précédé d’une rébellion des Touaregs dans le Nord. Les forces françaises ont lancé l’opération Serval au début 2013 pour repousser les avancées islamistes au Nord du Mali. Le Tchad a envoyé 2.000 de ses soldats au Mali pour rejoindre le combat.

Le Niger, membre du G5, doit être attentif à la frontière malienne à l’Ouest, aux incursions de Boko Haram dans la région de Diffa au Sud-Ouest et au trafic traversant le Nord vers une Libye chaotique. Le Niger, avec le Bénin, le Cameroun, le Tchad et le Nigeria, fait partie de la Force multinationale mixte (MNJTF) qui lutte contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad.

Finalement, la France demeure dans la région avec l’opération Barkhane, force de 4.000 personnes qui tire ses origines de Serval en 2014 et qui est basée au Burkina Faso, au Tchad et au Mali.

Au milieu de cela se situe la Force conjointe du G5 Sahel (ou « G5 Sahel Joint Force ») qui réunit le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger dans une force de combat qui rejoindra l’effort visant à sécuriser cette région troublée. La tâche qui se présente sera complexe. En bref, la Force conjointe du G5 Sahel sera l’un des nombreux efforts militaires dans une région sujette à beaucoup de problèmes différents causés par une série de groupes différents.

LE G5 SAHEL

Le G5 Sahel a été créé en 2014 pour encourager la coopération économique et la sécurité entre ses cinq états membres. Trois années plus tard, l’alliance décide de créer sa force conjointe de sécurité pour affronter les préoccupations croissantes liées au trafic des stupéfiants, à la traite des humains et au terrorisme. L’Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations unies approuvent la force du Sahel, dont on s’attend à ce qu’elle soit « à l’avant-garde des efforts de sécurité transnationaux au Sahel dans un proche avenir », selon l’article « La force conjointe du G5 Sahel enregistre des succès » du 9 février 2018 du Centre d’études stratégiques de l’Afrique (ACSS).

Le concept opérationnel de la force est basé sur quatre principes, selon l’article de l’ACSS. Elle cherche à :

  • Lutter contre le terrorisme et le trafic des stupéfiants.
  • Aider à rétablir l’autorité de l’état et à assurer le retour des personnes déplacées et des réfugiés.
  • Faciliter la conduite des opérations humanitaires et la fourniture de l’aide à ceux qui en ont besoin.
  • Aider à exécuter des stratégies de développement dans la région du G5 Sahel.

La force sera constituée d’un maximum de 5.000 personnes, principalement des soldats, provenant des cinq états membres. Ce total inclura sept bataillons de 550 soldats chacun : un bataillon chacun pour le Burkina Faso, le Tchad et la Mauritanie, et deux bataillons chacun pour le Mali et le Niger. Le Mali et le Niger fourniront aussi 200 gendarmes chacun, alors que les trois autres pays offriront 100 policiers ou gendarmes chacun, déclare l’article de l’ACSS. Les troupes seront déployées dans trois secteurs : l’Ouest, pour le Mali et la Mauritanie ; le Centre, pour le Burkina Faso, le Mali et le Niger ; et l’Est, pour le Tchad et le Niger. Le quartier général de la force se trouve à Sévaré au Mali et des postes de commandement secondaires sont prévus dans chaque secteur.

Le quartier général du secteur Ouest sera situé à Nbeikit en Mauritanie et le secteur sera commandé par le colonel Salem Vall Ould Isselmou de la Mauritanie. En date d’avril 2018, l’emplacement des quartiers généraux des autres secteurs n’avait pas été précisé.

Reuters signale qu’il est anticipé que la Force conjointe du G5 Sahel concentre ses efforts dans les zones frontalières. Une zone prendra en charge la frontière du Mali et du Niger, et une autre supervisera celle du Mali et de la Mauritanie. La troisième fera face aux problèmes de la zone des trois frontières entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

C’est dans une région de cette zone frontalière des trois pays, appelée région du Liptako-Gourma, que la Force conjointe du G5 Sahel entreprit sa première opération entre le 27 octobre et le 10 novembre 2017, selon Jane’s 360. Cette opération, appelée Hawbi (ce qui signifie « vache noire »), aurait inclus 350 soldats du Burkina Faso et 250 soldats chacun du Mali et du Niger dans une zone qui a enregistré une flambée de violence causée par les militants. Les troupes françaises ont porté assistance avec des véhicules blindés et des spécialistes en explosifs.

« L’opération… vise à établir une zone de contrôle dans cette région des trois frontières pour lutter contre les groupes armés et le trafic, afin de permettre le rétablissement d’un niveau de sécurité favorable à la tranquillité de la population », avait déclaré le G5 Sahel lors d’une annonce préparée.

Le 14 janvier 2018, la force conjointe lance sa seconde opération appelée Pagnali, ce qui signifie « tonnerre » dans la langue peule. L’opération se concentre sur la frontière entre le Burkina Faso et le Mali. Le général Didier Dacko du Mali, commandant de la force, déclare à la station radio française RFI que l’opération est exécutée par deux bataillons, un pour chacun des deux pays, dans une zone d’environ 8.000 mètres carrés au Sud de Boulikessi au Mali et de Nassoumbou au Burkina Faso.

« Permettez-moi de dire carrément que, avec l’opération Pagnali, la force conjointe des pays du G5 Sahel s’affirme comme force sahélienne qui connaît le terrain, ayant une capacité d’adaptation et une bonne coordination avec les armées nationales », déclare le général Dacko.

La coordination sera essentielle à mesure que la Force conjointe du G5 Sahel continue ses efforts.

DES EFFORTS COORDONNÉS

Le Sahel en général et les pays du G5 Sahel en particulier font face à de nombreuses menaces intérieures et extérieures concernant leur sécurité. La situation au Mali est particulièrement épineuse. La MINUSMA y est active depuis 2013 parmi un réseau complexe de groupes militants armés.

Le Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin (JNIM), ce qui signifie « Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans », est une organisation djihadiste militante. Il a été formé lorsqu’Ansar Dine, le Front de libération du Macina, al-Mourabitoune et la branche saharienne d’Al-Qaïda au Maghreb islamique ont fusionné en mars 2017. Tous les quatre groupes opéraient au Mali depuis des années. Le JNIM est maintenant la branche officielle d’al-Qaïda au Mali.

D’autres groupes, notamment le Mouvement pour l’unité et le djihad en Afrique de l’Ouest, ont aussi été actifs au Mali.

Avec la présence de la MINUSMA et de l’opération Barkhane de la France, une préoccupation existe : la Force du G5 Sahel pourrait contribuer à un « embouteillage de la sécurité » au Mali et ailleurs. Le Tchad et le Niger sont deux des pays qui participent à la MNJTF pour éliminer Boko Haram. Bien que le mandat de la MNJTF soit précisément défini, sa proximité des activités de la Force du G5 Sahel « suggère la nécessité d’une coordination opérationnelle » avec la MNJTF, en particulier au Tchad et au Niger, selon l’institut pour les opérations de maintien de la paix et de stabilité.

« Étant donné que quelques-uns des mêmes partenaires de sécurité participent à chacune de ces missions, les efforts de clarification de leurs rôles respectifs et de conciliation de leur mandat sont au cœur des activités générales de lutte contre le terrorisme et de stabilisation », selon l’article de l’ACSS.

Des soldats maliens participent à l’opération Hawbi dans le centre du Mali, près des frontières avec le Burkina Faso et le Niger, en novembre 2017. AFP/GETTY IMAGES

La Force du G5 Sahel œuvre déjà avec l’opération Barkhane de la France, et il sera important de définir les domaines de coopération tout en respectant les mandats différents des missions, déclare le colonel-major Léon Traoré, chef d’état-major de l’armée pour le Burkina Faso. La nouvelle force peut aussi parfaire les efforts des pays participants sans remplacer ces efforts.

« L’idée, c’est la mutualisation des forces et des efforts. La mutualisation de nos capacités par le partage de renseignements et la mise en commun de notre manière de faire pour pouvoir venir au but, déclare le colonel Traoré à ADF. Je pense que la philosophie qui soutient le G5, c’est ça. C’est : l’union fait la force. La mutualisation des efforts pour voir ce que nous pouvons faire ensemble pour combattre l’ennemi qui est devenu commun. »

Andrew Lebovich, professeur invité auprès du Conseil européen des relations internationales, écrit en mars 2018 que les efforts de sécurité et les progrès de la Force du G5 Sahel doivent aussi être équilibrés avec les efforts d’amélioration de la gouvernance et de la justice tout en protégeant la population locale qui peut être menacée ou déplacée par les combats. Les opérations du G5 telles que l’opération Pagnali ont forcé les réfugiés dans des zones du Mali qui souffrent déjà du crime, des différences communautaires et de l’insécurité alimentaire.

La répression du recrutement des militants présente un défi au Mali et confirme l’opinion de M. Lebovich sur l’amélioration de la gouvernance. L’attrait des groupes de militants est évident, déclare Boubacar Hassane, observateur militaire de l’ONU à Sévaré, au service d’actualités Bloomberg.

« La pauvreté en est la cause, déclare M. Hassane. Un homme sans emploi ne peut pas se marier. Imaginez ça, il n’y a rien pour lui, mais les djihadistes lui offrent de l’argent. Ils le paient bien, parfois même 200 dollars par jour. Aucun autre emploi n’aura jamais un tel salaire. »

L’article de l’ACSS déclare que le développement économique fait partie du concept des opérations de cet effort. Plus que toute autre chose, cela aidera à réduire l’attrait du recrutement et de la propagande djihadistes, en particulier en présence de forces de sécurité qui suivent les normes les plus élevées de professionnalisme et de respect des droits humains.

Yaya Sere du Burkina Faso, commandant adjoint de la Force du G5 Sahel, en convient. Il déclare à Bloomberg que les forces militaires ne peuvent pas faire leur travail toutes seules. « Le développement est crucial », déclare-t-il.

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