PRENDRE LE TEMPS D’IMPLIQUER ACTIVEMENT LES RELAIS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE PERMET DE DÉVELOPPER DES PARTENARIATS RENFORÇANT LA SÉCURITÉ.
PERSONNEL D’ADF
Le village de Gofat s’étend derrière les escarpements rocheux qui émaillent les étendues sablonneuses de l’extrême sud du Sahara au Niger. Plus de 1.000 personnes y ont élu domicile, mais la population change comme le vent du désert. Parfois, elle dépasse 3.000 habitants, selon la saison.
Au moment où le soleil pointait à l’horizon le 27 février 2014, un convoi, formé de soldats et de personnel médical transportant des fournitures, a entrepris le trajet solitaire menant au village, à 27 kilomètres au nord-est d’Agadez. Ils ont passé la journée à offrir une aide médicale aux villageois et à d’autres gens habitant dans un rayon de 160 kilomètres. Dans le cadre du programme d’action civique médicale intitulé MEDCAP, un médecin, des infirmiers et du personnel paramédical ont traité des personnes souffrant de douleurs dentaires, de diabète, de diarrhée et d’autres affections. L’événement s’inscrivait dans le cadre plus large de Flintlock 2014, un exercice militaire conduit dans la région du Sahel et axé sur les stratégies de lutte contre le terrorisme. Les événements MEDCAP se produisent fréquemment lors de tels exercices. Ils montrent aux civils que les militaires peuvent aussi être armés de stéthoscopes et de brassards de tensiomètre, pas seulement de canons.
L’exercice Flintlock de cette année, qui s’est déroulé dans tout le Niger à Niamey, Agadez, Tahoua et Diffa, a adopté une nouvelle approche. Les organisateurs ont noué des contacts avec des relais d’influence de tout le pays pour les familiariser avec l’exercice. Une telle initiative peut susciter de la bonne volonté et développer des relations pouvant valoriser les efforts déployés dans la lutte contre le terrorisme pour les années à venir.
Environ 20 relais d’influence de toute la région, y compris trois femmes, ont participé au MEDCAP de Gofat. La personnalité la plus en vue était Ibrahim Oumarou, le sultan de l’Aïr, dont l’influence s’exerce à travers une vaste portion du Niger et au-delà. Il est venu en compagnie de son escorte d’assistants, lesquels sont habilités à résoudre des problèmes dans tout le sultanat avant qu’ils ne remontent au sultan.
Ibrahim Oumarou a déclaré à ADF qu’il était satisfait de voir comment les armées occidentales étaient venues au Niger pour aider l’armée nationale à renforcer ses capacités. Il a indiqué que lui-même et d’autres civils se réjouissaient à l’idée de travailler avec l’armée pour veiller à ce que le pays demeure protégé contre toutes les menaces. Il a ajouté que la confiance entre l’armée et les civils s’était améliorée ces dernières années.
« En tant que chefs locaux, nous travaillerons. Nous ferons de notre mieux pour aller à la rencontre des habitants, dans tout endroit reculé, afin de leur faire savoir que nous ne recherchons qu’une seule chose, à savoir la paix dans les cœurs et dans les foyers de notre population », a-t-il déclaré.
UN NIGER ENCERCLÉ PAR LES MENACES TERRORISTES
Le Niger occupe un espace problématique dans cette région africaine du Sahel : il est encadré par le Mali à l’ouest, la Libye au nord et le Nigeria au sud. Des armes ont transité dans cette région en provenance de la Libye de l’après Kadhafi. En outre, Boko Haram se livre à des incursions meurtrières à quelques kilomètres de la frontière du Niger. Ce dernier, tout comme le Mali, est pourvu d’un vaste territoire au nord de sa capitale, ce qui peut tenter les contrebandiers et les extrémistes violents cherchant à se livrer à leurs activités sans être repérés.
Le 23 mai 2013, des terroristes ont fait exploser deux camions piégés au Niger, l’un dans une base militaire à Agadez, l’autre dans une mine d’uranium exploitée par une société française à Arlit. Ces attentats suicide, dans lesquels ont péri leurs cinq auteurs, ont fait 21 victimes parmi les soldats. Le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), une ramification d’Al-Qaida, en a revendiqué la responsabilité. L’activité du groupe dans le Nord du Mali nourrit les inquiétudes envers une violence venue d’ailleurs susceptible de se propager au Niger. Le gouvernement prend ces menaces au sérieux. En mars 2014, le Niger a rencontré les représentants du Bénin, du Cameroun, du Tchad et du Nigeria à Abuja, au Nigeria, pour examiner la création d’équipes de patrouille mixtes afin de sécuriser les frontières communes. En février, les ministres des Affaires étrangères des pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest se sont réunis à Niamey afin de déterminer une réponse au terrorisme.
« Le Niger subit les impacts collatéraux des crises libyenne et malienne, et s’est très tôt investi dans la recherche des voies et moyens de sécurisation de ses frontières extracommunautaires à travers un partenariat qui garantit les droits de l’Homme et la libre circulation des personnes », a déclaré le ministre nigérien des Affaires étrangères Mohamed Bazoum lors de la réunion de l’Unité de fusion et de liaison.
La menace terroriste a été mise en évidence au moment même où l’exercice Flintlock se déroulait. Du jour au lendemain, les 24 et 25 février, les extrémistes de Boko Haram ont attaqué et ont incendié une école à Buni Yadi dans l’État de Yobe au Nigeria, qui a une frontière commune avec le Niger. Près de 60 élèves (tous des garçons) ont été soit abattus, soit brûlés vifs par les terroristes.
IMPLIQUER LES RELAIS D’INFLUENCE
De même que pour la plupart des exercices militaires à grande échelle, les mois précédant Flintlock ont comporté des initiatives visant à aller à la rencontre des civils au moyen d’affiches, de messages radios et de SMS. Toutefois, quelques mois avant que ne débute l’exercice, Mahamadou Issoufou, le président du Niger, a fait valoir auprès des organisateurs américains l’insuffisance des efforts engagés pour informer les civils de la nature de Flintlock et des raisons pour lesquelles le Niger l’organisait. En réponse, des officiers de haut rang nigériens et américains se sont réunis avec des commandants de régions militaires et gouverneurs nigériens, ainsi qu’avec des chefs traditionnels à Agadez, Tahoua et Diffa, en vue d’expliquer l’exercice en français et en hausa.
Malgré tout, des inquiétudes subsistaient quant à la possibilité que le message n’ait pas suffisamment bien ciblé les chefs traditionnels. Aussi, les organisateurs ont fait venir des relais locaux de chaque région dans les trois sites de l’exercice. Ils ont choisi des relais locaux résidant à au moins deux heures de trajet de chaque site. Les relais ont passé trois nuits dans des hôtels avec repas et transports prévus. Ils ont assisté à une réunion d’information, ont observé l’entraînement dans les trois sites et ont assisté au MEDCAP dans leur région.
Cette initiative a répondu à deux objectifs importants. Les chefs traditionnels ont constaté que les responsables militaires nationaux et internationaux étaient disposés à la transparence au sujet de la mission Flintlock. Des deux côtés ont été nouées des relations qui pourraient aider l’armée nigérienne à compter sur les chefs traditionnels et tribaux pour être ses yeux et ses oreilles d’un bout à l’autre de ses vastes campagnes.
Le lieutenant-colonel américain Eric Kotouc, qui a participé à l’implication des relais d’influence à Agadez, a confirmé que l’initiative ne concernait pas seulement la promotion de l’exercice Flintlock. Il a indiqué qu’il s’agissait de renforcer « la réputation de l’armée et du gouvernement aux yeux de la population ».
« C’est l’occasion de réellement raconter l’histoire de ce qui est accompli : les armées acquièrent davantage de capacités et obtiennent une aide dans d’autres pays pour renforcer ces capacités, dans l’espoir que ces populations puissent avoir davantage confiance dans l’efficacité de leurs forces armées et dans la sécurité qu’elles apportent » a expliqué Eric Kotouc.
Les relais invités à Agadez ont rencontré des responsables, ont observé l’entraînement des soldats et ont assisté aux MEDCAP. Les relais ont affirmé aux responsables qu’ils voulaient faire connaître l’exercice Flintlock au sein de leurs tribus et de leurs villages mais aussi encourager la coopération avec l’armée.
COMMENT ÉTABLIR DES RELATIONS AVEC LES RELAIS D’INFLUENCE
Flintlock a offert une formation en salle de classe sur les opérations civilo-militaires, qui comportait l’engagement des relais d’influence. À Agadez, les soldats nigériens et mauritaniens ont appris à impliquer les relais mais aussi à établir un MEDCAP à grande échelle et, dans leur sillage, des MEDCAP plus restreints.
Les soldats ont appris que les opérations civilo-militaires peuvent être stratégiques, opérationnelles ou tactiques et aider à renforcer l’appui témoigné par les populations dans des zones favorables, neutres ou hostiles. L’engagement des relais d’influence est essentiel à l’efficacité des opérations civilo-militaires, et comporte un cycle d’étapes.
IDENTIFIER LES RELAIS D’INFLUENCE : trouver les personnes qui exercent de l’influence dans la région et déterminer le degré de cette influence, ainsi que la puissance des réseaux personnels et professionnels.
PRÉPARER L’ENVIRONNEMENT : comprendre les liens culturels, religieux et politiques caractérisant les habitants de la région, notamment les éventuelles alliances de type clanique ou personnelles. Avant de rencontrer les relais ou chefs locaux, élaborer une argumentation expliquant votre mission dans la région.
DÉTERMINER LES EFFETS ESCOMPTÉS : établir vos objectifs militaires dans une région donnée ainsi que la manière dont les civils peuvent contribuer à soutenir ces objectifs. Ceci inclut la détermination des besoins des relais d’influence et la manière dont l’armée peut contribuer à y répondre.
SE PRÉPARER: choisir un relais local en vue de l’inviter à participer aux actions de l’armée, et disposer d’un argumentaire. Avoir conscience des coutumes locales, telles que les attentes en matière d’échange de cadeaux, et désigner des photographes et des preneurs de notes, le cas échéant.
EXÉCUTER : faire preuve de respect et être patient. Il est essentiel de bien être à l’écoute. Se concentrer sur l’établissement d’un rapport avec les relais d’influence, et ne promettre que ce qui peut être réalisé. Essayer de favoriser des solutions d’inspiration locale pour résoudre des problèmes locaux, et conclure en clarifiant les accords.
RÉDIGER UN COMPTE-RENDU ET UN RAPPORT : écrire un rapport sur l’engagement des relais d’influence, et conserver un dossier des informations fournies par le relais d’influence, à utiliser dans les réunions de suivi.
IMPLIQUER DE NOUVEAU : cette étape est cruciale pour pérenniser les relations. Les soldats doivent trouver un moyen pour que les relais d’influence restent en contact entre les engagements, et suivre le cheminement et la protection des relais d’influence. En outre, ils doivent déterminer les actifs militaires qui peuvent être utilisés pour répondre aux préoccupations des relais d’influence.
LES CIVILS PEUVENT PARTICIPER À LA SÉCURITÉ
Le colonel Dari Noma, commandant de zone pour l’armée nigérienne qui inclut Agadez, a expliqué qu’il était crucial pour la sécurité de gagner les cœurs et les esprits des civils. « Afin de l’emporter sur tous les plans, vous devez bâtir un pont de confiance entre l’armée et la population civile. »
Les forces armées nigériennes ont constitué deux équipes pour l’engagement civilo-militaire, avec l’aide américaine. Le colonel Noma a indiqué que les équipes demandent aux civils ce dont ils ont besoin, déterminent s’ils ont suffisamment d’eau et vérifient que les besoins en matière d’éducation et de santé sont effectivement satisfaits. Ils demandent également si des éléments indésirables harcèlent la population. Ces solides relations s’avèrent payantes pour l’armée. Le colonel Noma a affirmé que ses forces recevaient de la part des relais de village des centaines d’informations par jour et que la communication avait été établie avec d’autres, y compris des instituteurs et des travailleurs sociaux. Ces relations constituent le fondement de la sécurité dans la région.
Akoli Algoumaret, le chef d’une communauté touareg de Ihugaan, à 160 kilomètres d’Agadez, paraissait très satisfait ce qu’il avait vu à Gofat et de la bonne volonté du Niger à collaborer avec des personnes comme lui. Il a indiqué que les civils pouvaient tenir l’armée informée des événements dans les diverses communautés locales. « En tant que relais d’influence, notre contribution est de donner à l’armée les informations correctes au sujet des éléments hostiles (leur situation, leur emplacement et tout le reste), a expliqué Akoli Algoumaret. Nous pouvons seulement aider l’armée à renforcer les relations entre civils et militaires. »
« La population est également très contente de ce type d’actions, a-t-il déclaré à propos du MEDCAP. Aujourd’hui, les gens voient la présence de l’armée nigérienne, en train d’accomplir ce genre de bonnes actions pour eux, également avec l’aide de leurs amis militaires présents ici. »
Goumar Issouf, du village d’Ingall, s’est rendu au service de consultations externes afin de recevoir un traitement pour des douleurs dentaires. Il était l’un des 520 patients consultés en moins de sept heures. Le service de consultations externes ainsi que la bonne volonté montrée par l’armée pour aider à le mettre en place l’ont réconforté. « Ils pouvaient le faire dans le centre ville, mais ils n’ont pas utilisé la grande ville, a constaté Goumar Issouf. Ils ont simplement utilisé le village pour venir en aide aux personnes qui en avaient réellement besoin. »
EXERCICE FLINTLOCK 2014
PERSONNEL D’ADF
Depuis 2005, l’exercice Flintlock a contribué à développer les capacités des pays du Sahel à lutter contre le terrorisme et à collaborer à cet objectif, pour mieux les aider à protéger leurs populations civiles. En 2014, le Niger a accueilli l’exercice du 19 février au 9 mars, avec des entraînements à Niamey, Agadez, Tahoua et Diffa.
Plus de 1.000 soldats ont pris part à l’exercice. Pour l’Afrique, les participants étaient le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria et le Sénégal. Les participants occidentaux et européens étaient le Canada, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne, le Royaume-Uni et les États-Unis.
« Votre présence illustre votre intérêt commun pour nos partenariats régionaux », a déclaré le colonel nigérien Mahamane Laminou Sani, coordinateur de pays pour l’exercice Flintlock, lors de la cérémonie d’ouverture. « En partageant les expériences, l’expertise et la camaraderie de tous les participants, nous partageons notre intérêt commun à œuvrer pour la stabilité dans la région. »
Les pays participants se sont entraînés au largage aérien de réapprovisionnement, aux techniques d’évacuation médicale, aux techniques utilisées dans les raids, les embuscades, les postes de contrôle et les fouilles, aux opérations civilo-militaires, et, sur le plan médical, ont fourni des services de consultations externes dans des villages reculés.