L’État de Diffa lance un programme pour réintégrer les insurgés et rétablir la paix dans ses villages.
PERSONNEL D’ADF
La nécessité du DDR (désarmement, démobilisation, réintégration) pour les insurgés qui se rendent est aussi vieille que la guerre elle-même. Les rebelles se fatiguent des batailles, ils se rendent aux vainqueurs et ils suivent un processus de réhabilitation avant de retourner dans la société.
Dans le cas des insurgés de Boko Haram, le DDR est particulièrement complexe. Il peut inclure, en plus des combattants qui se rendent, leurs femmes et leurs enfants, ainsi que d’anciens otages. Boko Haram a aussi une idéologie extrémiste, avec des combattants qui s’engagent à détruire l’état et à tuer les civils innocents. Enfin, le conflit est toujours en cours, ce qui amène à se demander comment concevoir un programme DDR pour une guerre qui n’est pas terminée.
« Du Nigeria à la Somalie, le DDR doit maintenant s’occuper des transfuges ou de ceux qui ont été capturés ou libérés sur le champ de bataille dans le contexte de la radicalisation ou dans l’absence d’une structure d’accord de paix », écrit Vanda Felbab-Brown du Centre pour la sécurité et le renseignement au 21ème siècle. « En outre, le “R” devient souvent une simple “réinsertion”, ce qui est un concept beaucoup plus étroit que la réintégration et une étape qui a lieu avant tout désarmement officiel ou toute démobilisation. »
Mme Felbab-Brown a visité le Niger en mai 2017 pour observer les techniques DDR de ce pays. Elle note qu’il existe deux groupes différents ayant besoin d’une réhabilitation : les ex-combattants et leurs victimes.
« Beaucoup de captifs de Boko Haram n’ont jamais été radicalisés, mais simplement réduits en esclavage ; certains peuvent avoir commis des crimes odieux sous la contrainte, écrit-elle. Il est crucial d’établir un processus qui les sépare (par une procédure judiciaire et peut-être par l’emprisonnement) des autres qui peuvent être libérés après le DDR ou une autre assistance. »
Cela crée d’autres problèmes. « Sans mécanisme judiciaire ni critère de triage, l’abus des victimes capturées peut être perpétué ou des personnes dangereuses peuvent être libérées », écrit-elle.
Laouali Mahamane Dan Dano, gouverneur de la région de Diffa au Niger, déclare que son pays doit approcher le DDR selon une perspective unique. Beaucoup de combattants qui se rendent, dit-il, sont eux-mêmes des victimes.
« Pourquoi est-ce que ces jeunes hommes ont rejoint Boko Haram en premier lieu ? », demande-t-il lors d’une interview extensive. « Comment ont-ils été recrutés ? Certains d’entre eux, les premiers à rejoindre Boko Haram, l’ont considéré comme un jeu simplement, et finalement ils se sont retrouvés piégés. Ce qu’ils anticipaient et ce qu’ils pensaient est différent de ce qu’ils ont trouvé sur le terrain là-bas. »
« Ces garçons étaient nigériens comme nous, déclare-t-il. Ce sont des citoyens comme nous, qui ont commis une erreur. La meilleure façon de trouver une solution est donc d’essayer de leur donner une deuxième chance. »
Le gouverneur remarque que certains jeunes hommes ont rejoint Boko Haram parce qu’ils pensaient qu’ils ne pouvaient aller nulle part ailleurs.
« En 2011, 2012, 2013, Diffa a été inondé, déclare-t-il. Beaucoup de gens ont perdu leur ferme. Ils cultivaient des piments et gagnaient de l’argent chaque saison, mais ils ont perdu leur source de revenu. Boko Haram a saisi cette opportunité pour leur offrir de l’argent et pour les recruter. »
Les observateurs déclarent que le Niger fait beaucoup plus attention au DDR que les autres pays de la région. Il organise des conférences sur le DDR et sensibilise les citoyens sur l’importance du programme. À la mi-2017, le programme de Diffa avait 150 participants, chiffre qui incluait les épouses et 28 jeunes garçons. Mais les experts s’inquiètent du fait que Diffa n’a pas les ressources pour loger séparément les ex-combattants et les femmes et enfants. Ceci est considéré comme une lacune grave, qui est contraire à la plupart des pratiques acceptées du DDR.
Il existe aussi la question d’une nouvelle formation pour les ex-combattants. À cause de la concurrence pour la terre parmi les agriculteurs et les éleveurs, Diffa a choisi de recycler les transfuges comme mécaniciens. Mais Mme Felbab-Brown note que les villages dans lesquels les ex-combattants retournent n’ont souvent pas besoin de mécaniciens. Beaucoup de ces villages interdisent même les motos, parce que Boko Haram les utilise pour les attentats suicides.
Les villageois sont aussi mécontents que les traîtres repentis reçoivent maintenant un traitement spécial alors qu’eux-mêmes doivent s’en passer. Comme les ex-djihadistes, les villageois sont affectés par la pauvreté et le chômage. Mme Felbab-Brown déclare que les expériences précédentes avec le DDR dans d’autres pays montrent que, si les communautés locales reçoivent une assistance comparable à celle des ex-combattants, elles seront plus à-même de les accepter à nouveau.
Aboubaker Issa, jeune leader de Diffa, pense que sa région a de mauvaises priorités.
« L’état devrait d’abord rencontrer ces communautés qui ont tout perdu, qui vivent sous les arbres », déclare-t-il à l’agence de presse IRIN. « Rencontrez ces gens, réconfortez-les et ramenez-les chez eux, donnez-leur les moyens de se réinstaller. Après ça, l’état pourra se tourner vers les ex-combattants et les aider à retourner dans leurs communautés. »
Le gouverneur déclare que les critiques et les observateurs externes ne comprennent pas les enjeux de Diffa. Il remarque aussi que, pour chaque transfuge qui reçoit une formation, cinq citoyens honnêtes sont formés.
« Tous les pays du monde, toutes les régions du monde ont leur propre réalité, déclare-t-il. Ce que nous faisons ici, les mesures que nous avons prises jusqu’à présent ont produit des résultats. … La fréquence des attaques contre le village a diminué. La meilleure chose à faire pour les partenaires occidentaux est d’essayer de nous aider et d’essayer de comprendre les mesures que nous avons prises jusqu’à présent. »
Le gouverneur met l’accent sur la nécessité pour les professionnels de la santé mentale et les psychologues de participer au processus DDR. En attendant, le Niger, ainsi que d’autres régions d’Afrique, utilise la « rééducation religieuse » en engageant des imams pour aider à « déradicaliser » les ex-combattants. La disponibilité des imams est meilleure que celles des professionnels de la santé mentale, et les sources de financement pour les engager sont plus faciles à obtenir.
Les autorités de Diffa indiquent que décembre 2016 fut une période cruciale pour leurs efforts de DDR. Ce mois-là, 14 combattants de Boko Haram se sont rendus aux autorités, ce qui fut une surprise pour les habitants de toute la région. Mais les responsables de Diffa avaient « mis discrètement à l’essai une tactique visant à demander aux familles dont les enfants avaient rejoint Boko Haram de faire passer le message d’une amnistie », selon le site Web d’actualités African Arguments.
Avant cette nouvelle tactique, la réponse principale de la région à Boko Haram était militaire, et enregistrait un certain succès. À la fin 2017, Boko Haram n’était plus la force qu’il était dans les années précédentes, et il s’était divisé en deux groupes se faisant concurrence. Mais bien que les assauts, attentats à la bombe et kidnappings aient fortement diminué, ils n’ont pas cessé. Lors d’un incident en juillet 2017, les combattants de Boko Haram à dos de chameau ont tué neuf personnes et kidnappé 40 autres dans un raid sur un village nigérien.
Personne ne déclare qu’une réponse militaire n’est pas essentielle : la stratégie de Diffa est considérée comme une façon de l’amplifier.
Dans une étude de 2017, l’International Crisis Group conclut que les programmes comme celui du Niger sont essentiels mais qu’ils doivent être équilibrés avec soin. Pour le Niger, les recommandations du groupe sont les suivantes : « Formuler des politiques de démobilisation et de réintégration pour les ex-combattants de Boko Haram, en particulier ceux qui ont participé à des crimes graves, tout en consultant les victimes de Boko Haram et leurs représentants pour éviter les cycles de règlement de compte. La création récente de sites de démobilisation est appréciée mais la réintégration des anciens insurgés est une question sensible qui nécessite un traitement habile et un investissement majeur à long terme par l’état et ses partenaires. »
De tels programmes d’amnistie en pleine guerre ont eu des succès auparavant. L’Ouganda utilisa une stratégie similaire contre l’Armée de résistance du Seigneur au début des années 2000. Le chercheur Edward Rackley déclare que « l’on pense généralement que cette politique a affaibli les rangs rebelles ».
Cependant, à l’encontre de l’Ouganda, l’initiative de Diffa à la fin 2017 n’a pas de processus juridique pour donner aux ex-combattants de Boko Haram un statut légal de déserteurs amnistiés.
M. Rackley écrit en avril 2017 que l’attention constante de Diffa sur le DDR est son meilleur point fort. « En tant qu’initiative conçue et exécutée localement, elle est aussi impressionnante et prometteuse, écrit-il. Lorsque des plans de désarmement, démobilisation et réintégration sont mis en œuvre, ils sont souvent importés de l’étranger avec peu d’engagement. Mais ce n’est pas le cas à Diffa, et d’autres régions confrontant le même problème observent de près cette expérience audacieuse. »