PERSONNEL D’ADF
À près de 2.000 km de distance du siège du gouvernement à Kinshasa, l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) est rongé par la violence depuis des dizaines d’années. Les tensions se sont récemment intensifiées avec la revitalisation du M23, groupe rebelle soutenu par le pays voisin du Rwanda.
Quelques mois seulement après le déploiement complet de la Force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (FR-CAE) en avril 2023, les autorités gouvernementales ont commencé à critiquer la force pour jouer le rôle de facilitateur de la paix plutôt que de défendre les civils et vaincre les groupes rebelles.
Le président congolais Félix Tshisekedi était tout à fait conscient de la colère et la frustration liées à la MONUSCO, mission de maintien de la paix des Nations unies qui est présente dans cette région depuis plus de vingt ans. C’est pourquoi il a demandé aux deux missions de partir de la RDC avant la fin de cette année.
« À la fin août, nous avons dit à nos partenaires que la FR-CAE disposait d’un mois pour ouvrir la route entre Rumangabo et Goma par la force, afin de transporter l’équipement nécessaire pour réhabiliter le site de pré-cantonnement du M23. Rien n’a été fait », a déclaré un conseiller de M. Tshisekedi au magazine The Africa Report.
La FR-CAE insiste que sa raison d’être est de faciliter par le dialogue des solutions politiques entre le gouvernement et les divers groupes armés.
Lorsqu’elle avait commencé son déploiement en novembre 2022, le mandat de la FR-CAE était de « contenir, vaincre et éradiquer les forces négatives ».
Mais après une conférence au sommet de la CAE en mai, la force régionale a reçu l’ordre de protéger les civils, sécuriser les villes et les régions évacuées par le M23 dans le cadre du processus de paix, et soutenir le retour des déplacés internes (IDP).
Stephanie Lizzo, analyste débutante auprès du groupe de surveillance OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques), déclare que le mandat de la FR-CAE est une source de consternation et de confusion.
Elle écrit dans un article de blog récent pour le Wilson Center : « La confusion et l’incohérence ont obscurci les objectifs de la force. Malgré son mandat établi d’imposition de la paix, les responsables de la force ont soutenu que la FR-CAE avait été conçue pour être “neutre” et qu’elle pouvait s’engager dans une confrontation militaire uniquement en “dernier recours”. »
Au cours d’une nouvelle offensive du M23, les combats se sont rapprochés de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, alors que le nombre d’IDP atteint un chiffre record de 6,9 millions de personnes, selon l’ONU.
La FR-CAE a essayé de créer et d’imposer une zone tampon entre le M23 et l’armée congolaise (FARDC), laquelle collabore souvent avec les milices pro-gouvernementales appelées Wazalendo.
Le contingent burundais de la FR-CAE est basé à Kilolirwe, Kitchanga et Sake. Les soldats kényans sont à Kibumba, Kishishe et Rumangabo. Les troupes du Soudan du Sud sont aussi présentes à Rumangabo et le contingent ougandais est basé à Bunagana, Kiwanja et Mabenga.
Mais avant même le début du déploiement de la FR-CAE, on craignait de donner à chaque pays contributeur de soldats une mission distincte.
Nelleke van de Walle, directeur du projet de la région des Grands Lacs pour le Crisis Group, a écrit en août 2022 : « Il existe des risques importants liés à l’entreprise d’une mission de combat pour la CAE. Les interventions armées dans la région n’ont pas de bons antécédents de succès durable et le recrutement de pays ayant des intérêts stratégiques et économiques dans la région pourrait envenimer une situation déjà dangereuse. »
L’analyse du 30 octobre de Mme Lizzo montre que ces inquiétudes se sont avérées valides.
« Il est impossible d’éliminer ces intérêts concurrents, écrit-elle. Il est crucial pour la FR-CAE d’assurer une mission unifiée et cohérente entre ses pays membres, tout en reconnaissant les intérêts individuels particuliers. »
Des défis similaires attendent le bloc régional de la Communauté de développement d’Afrique australe, qui n’a précisé ni les détails ni l’échéancier du déploiement de ses troupes (SAMIDRC) en RDC.
Dans une réunion du 4 novembre à Luanda (Angola), les responsables régionaux ont parlé de fournir « des conseils stratégiques sur le déploiement » pour restaurer la paix et la sécurité dans le pays.
Alors que la FR-CAE et les milliers de soldats de la MONUSCO se préparent à un départ potentiel, les experts pensent qu’il est impossible de prédire l’avenir de l’Est de la RDC et ses différentes forces régionales.
« La façon dont la FR-CAE et la SAMIDRC coexisteraient demeure toujours incertaine et les défis existants de coordination entre la MONUSCO et la FR-CAE indiquent que ces difficultés vont probablement persister », écrit-elle, en notant que le mandat de la FR-CAE est projeté d’expirer le 8 décembre.
« Dans cette toile complexe de mandats, d’intérêts et de dynamiques sécuritaires, le périple de la FR-CAE en RDC reste un puzzle sans solution facile, tout comme la géopolitique complexe dans laquelle elle navigue. »