PERSONNEL D’ADF | PHOTOS DE NIMASA
Vers la fin 2021, les eaux précédemment dangereuses au large des côtes du Nigeria montraient des signes exceptionnels de tranquillité. En fait, la région entière du golfe de Guinée avait enregistré une diminution graduelle des attaques de pirate et des vols à main armée.
Du Sénégal à l’Angola, le nombre d’incidents réels et de tentatives avait baissé de 82 en 2018 à seulement 35 en 2021. Pour le Nigeria, qui a depuis longtemps un domaine maritime parmi les plus dangereux d’Afrique de l’Ouest, ces nouvelles étaient aussi prometteuses.
Le nombre d’incidents et de tentatives d’incident au large des côtes du Nigeria a chuté abruptement de 48 en 2018 à seulement 6 en 2021, selon le Bureau international maritime (BIM).
Toutefois, le Nigeria n’a pas sombré dans l’autosatisfaction. « Nous ne sommes pas en train de dormir », a déclaré à ADF Bashir Yusuf Jamoh, PDG et dirigeant de l’Administration maritime et Agence de sécurité du Nigeria (NIMASA).
En fait, le Nigeria est tout à fait éveillé.
Alors que la menace de la criminalité maritime internationale persiste, y compris la piraterie, le vol de pétrole, le trafic de stupéfiants et la pêche illégale, le Nigeria riposte avec son Infrastructure intégrée de sécurité nationale et de protection des cours d’eau, connue aussi sous le nom de Projet Deep Blue.
Le projet, qui reconnaît les connexions entre les éléments criminels terrestres et maritimes, réunit des ressources aériennes, terrestres et maritimes coordonnées pour obtenir une vue exhaustive du domaine maritime.
« La présence du Projet Deep Blue a envoyé des signaux excellents à ces criminels pour qu’ils sachent que nous les attendons maintenant de pied ferme », a déclaré le Dr Jamoh.
LES COMPOSANTES DU PROJET
L’équipement et le personnel engagés dans le Projet Deep Blue de 195 millions de dollars sont considérables. Des ressources aériennes, terrestres et maritimes travailleront ensemble pour acquérir, consolider, analyser et partager les informations afin d’assurer une sécurité maritime efficace.
Le projet s’appuie sur la coopération civile et militaire. Par exemple, la NIMASA est une agence civile qui se concentre sur la sécurité des navires commerciaux, la réglementation des emplois maritimes, la prévention et le contrôle de la pollution, l’enregistrement des vaisseaux et la formation et la certification des marins, entre autres.
La Marine nigériane est responsable pour sécuriser et protéger les eaux territoriales. C’est pourquoi la Marine fournit le personnel des ressources maritimes de Deep Blue. Le personnel de l’Armée de l’air fera de même pour les ressources aériennes.
Le Dr Jamoh, en tant que PDG de NIMASA, dirige le projet et l’agence fournit le soutien logistique et de gestion.
La composante aérienne est constituée de deux jets Cessna CJ3 Citation pour missions spéciales, équipés d’un radar multimodal, d’un système de communications par satellite et d’un poste de d’opérateur. Ils ont une capacité d’équipage de dix personnes. Il y a aussi trois hélicoptères et quatre groupes de trois véhicules aériens sans humain à bord. En mer, Deep Blue déploiera deux navires pour missions spéciales (le DB Lagos et le DB Abuja) et 17 bateaux intercepteurs. Finalement, l’équipement terrestre est constitué de 16 véhicules blindés, avec 600 membres des forces spéciales de la Marine.
Dès le début mai 2022, déclare le Dr Jamoh, le projet avait reçu tous les bateaux intercepteurs sauf dix, et huit véhicules blindés. On anticipait que le personnel de l’Armée de l’air achèverait sa formation à la fin mai. Tous les 600 membres des forces spéciales de la Marine, basés sur terre, et le personnel basé en mer ont été formés. La NIMASA anticipait que le Projet Deep Blue serait entièrement équipé et opérationnel vers la mi-juin 2022.
Une partie de la composante terrestre est constituée du Centre de commandement, contrôle, communication, ordinateurs et renseignement (C4i). « C’est le cerveau du Projet Deep Blue », dit le Dr Jamoh.
À mesure que le personnel des forces armées observe l’espace maritime, il recueille les données qui sont envoyées au C4i par satellite. Le personnel du centre inclut celui de la NIMASA et celui de la Marine, de l’Armée de terre, de la police, de la défense civile et de l’Armée de l’air.
« Les hommes qui contrôlent le centre contrôlent désormais les données de renseignement et les envoient aux destinations appropriées, dit le Dr Jamoh. Le centre C4i travaille avec le système satellitaire et coordonne l’ensemble des opérations dans la salle d’opérations. Cette salle possède les ordinateurs et le système de contrôle et de communication qui peut diffuser vers les opérations terrestres, aériennes et maritimes. »
Donc un avion patrouilleur pourrait par exemple observer un problème en mer, transmettre les informations à C4i et faire en sorte que les bateaux intercepteurs soient envoyés pour conduire une investigation. En même temps, C4i coordonne avec les autres autorités telles que le BIM pour partager les données et coordonner une assistance dans les zones où les ressources de Deep Blue ne peuvent pas accéder.
L’ORDRE PROVIENT DU RESPECT DE LA LOI
L’équipement et la technologie sont précieux mais la sécurité maritime est plus que le personnel, les gadgets, les renseignements, les avions et les bateaux. Pour obtenir un effet durable, il faut que les ressources soient soutenues par des lois efficaces qui aident les pays tels que le Nigeria à assurer que les arrestations conduisent à des poursuites efficaces devant les tribunaux et, si nécessaire, à l’emprisonnement.
C’est pourquoi une partie du succès du Nigeria est représentée par la Loi sur la suppression de la piraterie et autres offenses maritimes (SPOMO), que le président Muhammadu Buhari a signée en juin 2019. Auparavant, un grand nombre de pays étaient forcés de libérer les pirates et les voleurs après leur capture parce qu’ils n’avaient pas de lois efficaces qui leur permettaient de les poursuivre.
Le Dr Jamoh a déclaré à ADF que cette loi a été efficace. Depuis son adoption, le Nigeria a poursuivi avec succès 20 criminels en vertu de la loi ; tous ont été condamnés à des peines de prison.
En fait, la loi a été utilisée pour la première fois afin de traduire en justice avec succès 10 pirates dans l’affaire du Hailufeng 11, navire battant pavillon chinois qui avait été attaqué le 15 mai 2020 dans les eaux ivoiriennes. Les pirates avaient éteint le système d’identification automatique du bateau qui diffuse son emplacement, ce qui avait forcé les autorités à tracer manuellement la position du navire.
À mesure que le navire traversait les eaux du Ghana, du Togo et du Bénin, les autorités ont échangé ces informations jusqu’à ce qu’il atteigne les eaux territoriales nigérianes. Le Nguru de la Marine nigériane s’est ensuite placé à côté du navire à environ 140 milles marins au Sud de Lagos et les marins ont abordé le navire et maîtrisé les pirates.
Selon un rapport du 23 juillet 2021 dans The Maritime Executive, les 10 pirates ont chacun été condamnés à 12 ans de prison et à des amendes.
« Cette loi particulière a changé le calcul des risques/avantages pour la piraterie au Nigeria », a déclaré l’expert maritime Ian Ralby, PDG d’I.R. Consilium. D’autres pays de la région ayant des lois similaires ont aussi commencé à intenter des poursuites, ce qui a changé la dynamique pour les groupes criminels organisés de la région.
Auparavant, on craignait peu d’être capturé, et encore moins d’être poursuivi, mais maintenant « il existe soudain un risque que non seulement vous mais l’ensemble de votre réseau puissiez être inquiété, avec des conséquences sérieuses de prison pendant une très longue période ; cela change la tolérance du risque pour la piraterie », a dit M. Ralby à ADF. « Je crois donc que la combinaison des acquisitions et des poursuites judiciaires a eu un effet important. »
« L’APPROCHE DU BÂTON ET DE LA CAROTTE »
Le risque de punition contraste souvent bien avec une opportunité attrayante pour éviter les poursuites. Le Dr Jamoh l’appelle « l’approche du bâton et de la carotte ».
Deep Blue et la Loi SPOMO constituent le « bâton ». La « carotte » est représentée par un effort pour offrir des opportunités aux jeunes qui sinon pourraient être induits à rejoindre les réseaux maritimes illicites qui participent à la piraterie, au vol ou à la pêche illégale.
En octobre 2021, le Nigeria a sélectionné 200 jeunes pour les faire participer à une formation dans des institutions maritimes en Inde, en Grèce, aux Philippines et au Royaume-Uni. L’effort fait partie de la troisième phase du Programme de développement des marins du Nigeria (NSDP), selon The EyeWitness News, site d’actualités en ligne du Nigeria.
Le NSDP, qui est géré par la NIMASA, a été établi en 2008 pour former les jeunes de 17 à 22 ans dans les aptitudes pratiques et théoriques auprès des institutions maritimes du monde entier pour développer une communauté de marins compétents, écrit le Dr Jamoh pour le journal nigérian The Guardian.
« Pour nous, l’objectif est d’assurer que les jeunes, ces jeunes inactifs, partent des rues… pour qu’ils aient quelque chose à faire au lieu d’envisager la mer comme source de revenus illégitimes », a déclaré le Dr Jamoh à ADF.
Les étudiants qui retournent au Nigeria seront formés pour aider à « repositionner le pays pour l’économie des océans qui est promue par la NIMASA, dans le but de diversifier l’économie nationale », a-t-il écrit.
RESTER VIGILANT
Malgré une année 2021 relativement calme dans le golfe de Guinée, un incident en 2022 a souligné le besoin continu de vigilance en matière de sécurité maritime. Au début avril, des pirates ont abordé le cargo Arch Gabriel à 278 milles au Sud de Lomé (Togo) alors qu’il était immobile, sans doute dans l’attente de son prochain contrat. C’était la première attaque d’abordage dans la région depuis plus de trois mois.
The Maritime Executive signale que l’équipage s’est réfugié dans la citadelle et, plusieurs heures plus tard, les pirates ont quitté ce navire enregistré aux Îles Marshall. Un navire de la Marine italienne a secouru l’Arch Gabriel et l’a escorté vers les eaux nigérianes, où un autre vaisseau l’a ensuite escorté à Lagos.
On anticipe que le Nigeria aura tout son équipement, son personnel et sa formation en place dans le cadre du Projet Deep Blue à partir du deuxième semestre 2022, et que le projet améliorera la sécurité dans les eaux territoriales nigérianes. Mais les experts avertissent contre tout sentiment d’autosuffisance.
Michael Howlett, directeur du BIM, a déclaré à ADF dans un e-mail : « Le BIM applaudit toutes les initiatives conçues pour améliorer la sécurité maritime dans la région. Le Projet Deep Blue est une initiative positive mais il nécessite l’exercice du leadership, la liaison et la coopération avec les autres initiatives régionales pour assurer que les eaux du golfe de Guinée soient sûres pour les marins innocents et le commerce. »
Les autorités nigérianes reconnaissent que leur capacité améliorée pourrait motiver les criminels maritimes à accéder aux eaux des pays voisins tels que le Bénin et le Cameroun. Ceci s’est déjà produit auparavant. En 2013, les marines du Bénin et du Nigeria ont participé en commun à l’opération Prospérité. Cet effort bilatéral basé à Cotonou a autorisé les navires nigérians à entrer dans les eaux béninoises pour mettre en application la sécurité maritime.
Le contre-amiral Boniface Konan, ex-directeur intérimaire du Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest à Abidjan (Côte d’Ivoire), a déclaré à ADF dans un e-mail que les pays voisins « peuvent profiter des accomplissements du Nigeria avec le partage des informations, les meilleures pratiques et la coopération ».
Le Code de conduite de Yaoundé signé en 2013, qui a établi des zones maritimes sur la côte d’Afrique de l’Ouest, aide dans ce sens. Le Nigeria fait partie de la zone E avec le Bénin, le Niger et le Togo. L’amiral Konan déclare qu’un protocole d’accord conclu en 2018 entre ces pays est mis en vigueur ; il autorise des patrouilles conjointes dans les eaux des pays.
Un accord bilatéral entre le Cameroun et le Nigeria aiderait aussi, déclare le contre-amiral, tout comme des processus juridiques similaires dans la zone.
Le Nigeria essaiera aussi d’améliorer les connaissances et la coopération dans la région avec l’établissement d’un centre régional de formation en sécurité et sûreté maritimes à Lagos en 2022, pour le relocaliser finalement dans l’État du Delta, selon le Dr Jamoh. Le centre essaiera d’examiner le terrain de la sécurité maritime pour identifier les éléments communs de la criminalité régionale et aider les pays à développer des ripostes efficaces. L’intérêt du Nigeria ne se borne pas à la sécurité dans ses eaux territoriales, mais il inclut aussi ses voisins, déclare le Dr Jamoh.
« Si le Ghana n’est pas libre, le Nigeria ne sera pas libre. Si le Nigeria n’est pas libre, le Togo ne sera pas libre. »