Les Groupes Extrémistes Basés Au Sahel Ruinent Le Calme Du Burkina Faso
L’hôtel Splendid du Burkina Faso se présente aux yeux des visiteurs internationaux en énumérant les infrastructures que beaucoup anticipent : son service de chambre, sa réception ouverte 24 heures sur 24, sa proximité aux restaurants et aux attractions locales, son Wi-Fi gratuit. Les gens d’affaires en déplacement, les diplomates et les vacanciers ont tous fait du Splendid leur foyer temporaire lorsqu’ils ont visité la capitale de Ouagadougou.
Ses chambres offraient un sentiment naturel de calme et de sécurité. C’est ce sentiment qu’une demi-douzaine de militants d’al-Qaïda au Maghreb islamique ont cherché à ruiner en janvier 2016 lorsqu’ils ont assiégé l’hôtel après avoir attaqué le café Cappuccino situé de l’autre côté de la rue, où se pressaient une centaine de clients.
Les attaquants, qui portaient des turbans et qui parlaient une langue non autochtone, sont entrés peu à peu dans l’hôtel pendant toute la journée du vendredi 15 janvier 2016 et se sont mêlés aux visiteurs. D’autres les ont rejoints lorsque la nuit est tombée, selon un reportage de CNN. Finalement, les attaquants ont commencé leur assaut et ont pris des otages.
Au moins 29 personnes ont été tuées et des douzaines ont été blessées. Une survivante a déclaré à la BBC comment les attaquants ont refusé d’être dupés par les victimes. « Ils ont commencé à tirer, à tirer, et tout le monde s’est couché au sol », a dit une femme, qui s’est échappée avec sa sœur cadette. « Dès que les gens relevaient la tête, ils tiraient immédiatement, donc il fallait prétendre être mort. Ils sont même venus toucher nos pieds pour vérifier si nous étions en vie. Si on était vivant, ils vous tiraient dessus immédiatement. »
Les forces de sécurité locales et françaises ont encerclé le Splendid tôt dans la matinée du 16 janvier 2016 avant de le prendre d’assaut. Elles ont secouru 176 otages, selon la déclaration faite à la BBC par le ministre burkinabé de la Sécurité, Simon Compoaré. Parmi les personnes tuées, en plus de quatre attaquants, on compte cinq Burkinabés, deux Français, deux Suisses, six Canadiens, un Néerlandais et un Américain missionnaire.
La terreur avait atteint le Burkina Faso, qui était pendant longtemps un lieu de calme relatif. Maintenant, l’instabilité et la violence qui tourmentaient le Mali, et à un degré moindre le Niger, s’infiltraient à travers la frontière, en défiant un gouvernement qui avait une volonté politique mais peu de moyens d’affronter le problème.
LA VIOLENCE DANS LA TERRE DES « PERSONNES INTÈGRES »
Le Burkina Faso, anciennement appelé république de Haute-Volta, avait intégré dans son nouveau nom un souhait d’unité nationale. En 1984, le nouveau nom du pays combina des mots provenant de trois langues indigènes pour représenter la nation et son peuple. Burkina, qui signifie « intègre » dans la langue des Mossis, et Faso, qui signifie « patrie » ou « pays » en dioula, ont été combinés pour caractériser le pays comme « terre des personnes intègres ». Les habitants sont appelés Burkinabés, avec l’ajout du suffixe « bé » qui provient du dialecte peul du Burkina et qui signifie « personne possédant une intégrité ».
Thomas Sankara, le président de l’époque, utilisa le nouveau nom pour encourager la cohésion et l’identité nationale, déclare le Dr Daniel Eizenga, associé de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA). « Cette reconnaissance des différences et de la diversité, mais dans le cadre d’unité cohésive, a toujours été un concept vraiment puissant au Burkina Faso », déclare-t-il. À beaucoup d’égards, ce sentiment d’unité nationale a aidé le pays au cours des dernières années, malgré l’augmentation de la violence.
En 2014, des centaines de milliers de protestataires sont descendus dans les rues de Ouagadougou pour protester la tentative de Blaise Compaoré, le président de l’époque, visant à amender la constitution afin de prolonger son mandat, lequel avait commencé lorsqu’il avait renversé le président Sankara lors d’un coup d’état en 1987. Cette « insurrection populaire », comme on l’a appelée, a chassé Blaise Compaoré et forcé sa démission et son exil en Côte d’Ivoire. Ainsi commença une période de transition d’un an vers un gouvernement civil démocratiquement élu.
Les citoyens ont voté en novembre 2015 dans des élections libres et équitables. Ils ont élu le président actuel, Roch Marc Christian Kaboré, dont le parti a obtenu une pluralité à l’Assemblée nationale. Le nouveau gouvernement a été installé en janvier 2016. Puis le café Cappuccino et l’hôtel Splendid ont été frappés par la tragédie.
Celle-ci s’étant produite immédiatement après une transition de pouvoir pacifique, le gouvernement du président Kaboré a été déstabilisé. « Depuis janvier 2016, le gouvernement s’est à peine préoccupé d’essayer de comprendre ce qui se passe, de savoir pourquoi on constate une augmentation de l’insécurité, quels sont les groupes islamistes militants qui sont actifs sur le territoire. Il a des difficultés pour relever ces défis, déclare le Dr Eizenga à ADF. Nous sommes donc maintenant en 2019, trois ans plus tard, et nous avons constaté simplement une augmentation progressive, une hausse progressive, de cette insécurité. »
LE CARACTÈRE DE LA TERREUR AU BURKINA FASO
Les attaques de l’hôtel et du café ont initié au Burkina Faso une hausse de la violence qui persiste en 2019. En 2018, 137 événements violents provoquent la mort de 149 personnes. Pendant les 6 premiers mois de 2019, les extrémistes islamistes tuent 324 personnes dans 191 attaques, selon un article de juillet 2019 écrit par Pauline Le Roux, associée de recherche adjointe invitée auprès du CESA.
Trois groupes sont responsables de la plupart des attaques mais l’un d’entre eux, Ansarul Islam, est le chef de file pour déstabiliser le Nord du Burkina Faso. Entre 2016 et 2018, plus de la moitié de toutes les attaques commises par les militants islamistes dans le pays sont associées à Ansarul Islam. Elles sont pour la plupart regroupées autour de Djibo, capitale de la province du Soum. En 2018, le groupe conduit 64 attaques dans lesquelles 48 personnes trouvent la mort. Plus de la moitié de ses attaques, soit 55 %, ciblent des civils, ce qui fait d’Ansarul Islam le premier de tous les groupes de militants sur le continent, à l’exception d’un autre qui est actif au Mozambique, selon Mme Le Roux. Plus de 100.000 personnes se sont enfuies de leur foyer et 352 écoles ont été fermées dans le Soum.
Ces attaques contre les civils, et la mort en 2017 d’Ibrahim Malam Dicko, imam peul et fondateur du groupe, ont probablement conduit à son déclin. Vers la mi-2019, seulement 16 attaques et 7 décès ont pu être attribués à Ansarul Islam, et le groupe a cessé d’être un acteur principal dans la menace extrémiste pesant sur la nation.
Bien qu’il soit principalement un groupe musulman de l’ethnie peule, Ansarul Islam n’a pas les grands desseins de conquête et de contrôle de territoire partagés par les groupes extrémistes actifs dans le centre du Mali. Le Front de libération du Macina (FLM), par exemple, a exprimé le souhait de restaurer l’ancien empire théocratique du Macina au centre du Mali.
Le Dr Eizenga déclare qu’Ansarul Islam a attiré beaucoup d’attention parce qu’il était le premier groupe extrémiste autochtone du Burkina Faso. On avait peur qu’il se métastase et donne naissance à des groupes dissidents. Cela ne s’est pas produit. En fait, le groupe n’a jamais gagné un soutien local important. C’était principalement une bande de jeunes hommes mécontents qui ont pris les armes parce qu’ils ne pouvaient pas trouver d’emploi. Il semble que le groupe ait attaqué des civils parce qu’il n’avait pas de soutien populaire, au lieu du contraire, déclare-t-il.
Les valeurs sociales intégrées de longue date dans le pays ont été bénéfiques. Ses structures sociales ont fourni des processus locaux pour résoudre les conflits et maintenir la paix. Pourquoi donc est-ce que le Burkina Faso a été frappé par la violence ?
L’EXPANSION DU CHAMP DE BATAILLE
Aucun groupe ne cherche à établir un califat ou un état séparé au Burkina Faso. Au lieu de ça, la violence qui se répand dans le pays a probablement deux causes. Premièrement, les frappes militaires au Mali et au Niger par les forces françaises de l’opération Barkhane, la Force conjointe du G5 Sahel et les forces armées nationales ont fait pression sur les groupes extrémistes. Alors que ces groupes cherchent des refuges, ils exploitent les frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui font partie d’une région connue historiquement sous le nom du Liptako-Gourma. Ces refuges incluent le Nord et l’Est du Burkina Faso.
Le Dr Eizenga explique que les populations de ces trois pays sont « hautement interconnectées », et donc les frontières nationales ne distinguent pas nécessairement les habitants ni n’influencent leurs déplacements. « Ce dont nous parlons vraiment ici, c’est donc un problème régional de l’état du Mali, de l’état du Burkina Faso et de l’état du Niger », déclare-t-il. Les pastoraux se déplacent librement à travers la région et cette migration régulière complique les efforts de sécurité. On a tort d’attribuer la violence uniquement aux troubles du Mali, puisqu’il s’agissait dès le début d’un problème régional, déclare le Dr Eizenga à ADF.
Deuxièmement, la violence au Burkina Faso est moins due aux extrémistes qui essaient d’atteindre un objectif idéologique ou politique plus vaste, que causée par une décision tactique concernant « l’expansion du champ de bataille », déclare-t-il.
En plus d’Ansarul Islam, l’État islamique dans le Grand Sahara et le FLM ont été les plus actifs au Burkina Faso, selon l’article de Mme Le Roux. Le Dr Eizenga déclare que les rapports décrivent des attaquants qui entrent dans les communautés burkinabés sur des motos, qui brûlent des édifices et qui tuent quelques personnes. Cette tactique met sur la défensive les forces de sécurité burkinabés et autres parce qu’elle les oblige à disperser le personnel et le matériel sur une plus grande superficie, ce qui dilue leur efficacité et leur temps de réponse.
La pénétration des nouvelles zones donne aussi accès à de nouvelles sources de revenus. Les mouvements vers l’Est du Burkina Faso préoccupent certains observateurs qui craignent que la menace pourrait toucher le Bénin et le Togo. En mai 2019, les forces françaises ont libéré deux touristes français, un Américain et un Sud-Coréen au Bénin, selon le Washington Post. Les terroristes avaient tué leur guide et deux soldats français sont morts au cours du sauvetage. Des bandes criminelles pourraient en enlever d’autres et les remettre aux extrémistes contre de l’argent.
En outre, le Dr Eizenga explique que les communautés pastorales doivent amener leur bétail sur les marchés, et cela nécessite des déplacements vers la côte. Les extrémistes pourraient exploiter ou essayer de contrôler ces mouvements par extorsion. De plus, les mouvements vers la côte d’Afrique de l’Ouest donneraient aux militants l’opportunité de conduire « des attaques à grande échelle sur des cibles vulnérables », telles que l’attentat perpétré en mars 2016 contre le complexe balnéaire de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire, où 19 personnes ont trouvé la mort.
LA MARCHE À SUIVRE POUR LE BURKINA FASO
La structure sociale du Burkina Faso lui donne un avantage pour combattre les extrémistes. Le manque de soutien local pour de tels groupes pourrait les empêcher de s’enraciner dans le pays. Toutefois, les faibles capacités et ressources des forces de sécurité régionales constituent un défi qui perdure.
Le Dr Eizenga déclare que le gouvernement possède la volonté politique d’agir. Les responsables se rendent compte de l’urgence et souhaitent affronter la menace. « C’est vraiment une question de capacité, déclare-t-il. Une présence militaire soutenue à long terme va donc être cruciale. »
L’établissement de la sécurité permettrait une amélioration du développement économique, ce qui renforcerait encore plus la résilience nationale. Mais la sécurité doit avoir priorité et le Burkina Faso ne pourra pas l’assurer tout seul. La communauté internationale devra fournir une assistance. Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées. En automne 2019, la saison sèche a commencé, ce qui pourrait conduire à une pénurie alimentaire.
« Nous sommes arrivés à un moment très délicat. À moins que le gouvernement burkinabé n’obtienne le soutien de la communauté internationale et que l’on constate une certaine mobilisation sur le plan humanitaire et le plan de la sécurité, je ne sais pas s’ils pourront surmonter cette courte période », déclare le Dr Eizenga.
Si la Force conjointe du G5 Sahel pouvait être pleinement opérationnelle dans l’ensemble de la région du Sahel, elle pourrait être capable de fournir la sécurité durable qui est nécessaire à moyen terme et à long terme. Mais cela aussi nécessitera probablement une augmentation du soutien international. Barkhane et le G5 Sahel ont enregistré quelques succès mais, ce faisant, les militants ont attaqué d’autres régions pour assurer l’expansion du champ de bataille. « Ce qui manque jusqu’à présent, c’est la possibilité de maintenir une présence militaire sur une étendue suffisante pour perturber complètement la capacité opérationnelle de ces groupes », déclare le Dr Eizenga.
Malgré cela, le gouvernement du Burkina Faso a affronté l’insécurité. Il a déclaré un état d’urgence sur environ le tiers de son territoire et il a augmenté la présence militaire dans ces zones. Il a lancé des opérations militaires au Nord et à l’Est, et a enregistré quelques succès. Mais en août 2019, une attaque extrémiste contre une unité des forces armées à Koutougou, dans la province du Soum, a causé la mort d’environ deux douzaines de soldats. Plusieurs autres ont été blessés. Cela est survenu parce que le Burkina Faso essaie de restaurer la sécurité dans un environnement complexe et difficile, selon le Dr Eizenga. Avec une augmentation du soutien, ils pourraient inverser cette tendance.
« Il n’y a pas encore de raison pour perdre tout espoir au Burkina Faso. »