Un entretien avec le général de brigade David Baburam, ancien chef de l’Unité de soutien de mission de L’UA
PERSONNEL D’ADF
Le général de brigade à la retraite David Baburam a servi dans les forces de défense du Kenya pendant 36 ans. Au cours de sa carrière, il a été commandant du Corps des magasins militaires, commandant d’un hôpital militaire et il a enseigné au collège d’état-major de la défense. Il a passé quatre ans à l’Union africaine comme chef de l’unité de soutien de mission, qui assure la logistique des missions de maintien de la paix de l’UA. Il s’est entretenu avec ADF par téléphone de chez lui, à Nairobi. Ses propos ont été résumés pour des raisons d’espace.
ADF : La logistique a toujours été l’un des grands problèmes pour lancer et soutenir une mission de maintien de la paix, et cela est particulièrement vrai en Afrique. Souvent, la réaction peut être retardée à cause d’un simple problème de transport de troupes et de matériel vers des régions isolées, en proie à une crise. Avez-vous rencontré ce problème pendant votre carrière ?
GÉNÉRAL BABURAM : La distance n’est qu’un des problèmes de soutien logistique dans le contexte africain. Le problème le plus grave est celui de la mobilisation des ressources. L’UA dépend des bailleurs de fonds pour près de 98 pour cent. Pour une mission comme celle de la Somalie, la contribution de l’UA aux coûts n’atteint même pas 2 pour cent, parce qu’elle ne dispose pas vraiment des réserves pour ce type de financement. La majorité du financement pour les opérations de soutien de la paix est supposée venir du Fonds de la paix de l’UA, mais celui-ci n’est pas configuré pour soutenir une énorme mission impliquant des dépenses élevées. Le niveau maximum des réserves du Fonds de la paix est d’environ 5 millions de dollars, ce qui est réellement négligeable si l’UA veut financer sa propre mission d’une manière ou d’une autre. C’est une question de mobilisation des ressources ; en conséquence, l’UA doit déclarer forfait pratiquement chaque fois qu’elle souhaite entreprendre des opérations de soutien de la paix.
En ce qui concerne les problèmes géographiques – distance, lieux – bien sûr, l’Afrique étant ce qu’elle est, la plupart de nos infrastructures – ports maritimes, aéroports, routes – ne sont pas adaptées. Cela pose un problème aux mouvements de troupes et d’équipements et c’est un cauchemar logistique. Nous avons vu cela en République centrafricaine et au Mali, où certains théâtres d’opérations étaient très éloignés de la zone de soutien. Cela constituait un énorme défi parce que l’on ne pouvait amener les troupes dans les zones éloignées que par transport aérien, et il n’y avait aucun moyen aérien. Alors vous avez un manque de moyens et l’état du terrain aggrave le problème.
ADF : Comment surmontez-vous ce manque de capacité de transport aérien ?
GÉNÉRAL BABURAM : On s’est efforcé de résoudre ce problème. Récemment, un Centre de coordination des mouvements continentaux a été établi, à l’UA, pour coordonner les besoins de transport aérien et maritime, mais ce n’est qu’une toute petite cellule au sein de la Division des opérations de soutien à la paix de l’UA. L’un des efforts majeurs a été l’établissement d’une banque de données pour, par exemple, la capacité de transport aérien. De ce qui a été rassemblé jusqu’à présent, il est clair que la capacité, en termes de moyens, sur le continent est très limitée. L’Algérie, l’Afrique du Sud et l’Angola sont bien équipés, mais la plupart des États membres n’ont pas de capacité de transport aérien significative. En ce qui concerne le transport maritime, il est inexistant sur tout le continent. La principale source de transport maritime serait alors de faire appel à des vaisseaux civils. Le transport aérien est crucial, parce que pour déployer une mission dans les délais, les éléments de tête, c’est-à-dire deux bataillons, doivent être transportés par les airs. Cela représente réellement un problème majeur, qui retarde le déploiement.
ADF : La solution réside-t-elle dans une base de données, l’obtention d’engagements ou l’aide de pays bien équipés ?
GÉNÉRAL BABURAM : Vous ne pouvez pas signer de protocole d’accord avec eux. Cela dépend du bon vouloir de ces pays. Ils ne peuvent offrir leurs services que sur demande. Mais vous ne pouvez pas compter sur eux parce qu’il n’y a aucun protocole d’accord les engageant à fournir ces moyens et aucun d’entre eux n’aime faire ce type d’arrangement. Leur capacité est très limitée selon les normes internationales. Alors ces offres ne seront faites que si la situation le permet, mais vous ne pouvez pas en tenir compte dans votre planification. Vous ne pouvez pas dire, par exemple, que l’Algérie fournira un C-130. La banque de données servirait à identifier les lacunes et à solliciter l’aide d’armées modernes.
ADF : À l’issue de l’exercice Amani Africa II, qui fut un succès, en Afrique du Sud, la Force africaine en attente (FAA) est maintenant presque opérationnelle. Compte tenu de l’histoire unique du continent, avec le tragique génocide de 1994 au Rwanda, l’un des principaux aspects de la FAA est qu’elle doit être prête à se déployer très rapidement, dans les 14 jours, en cas de génocide. Cette rapidité est-elle possible d’un point de vue logistique ?
GÉNÉRAL BABURAM : La question se pose de savoir si la logistique pourrait se mettre en marche dans les 14 jours. Ce qui est important c’est l’aspect politique, le processus décisionnel. Le déploiement doit être autorisé conformément aux articles 4(h) et (j) de la Charte de l’UA. Pour faire appel à l’article 4(h), il faut réunir les chefs d’État. Or, réunir ces 52 chefs d’État à Addis-Abeba dans les 14 jours est impossible. Alors la question politique, en termes de prise de décisions, est le premier obstacle à franchir.
Il serait très difficile de déployer la logistique conformément au concept actuel de soutien de la FAA. Selon ce concept, les pays contributeurs de troupes (TCC) se déploient en autosuffisance pour 30 jours, après quoi le système de l’UA prend le relais. Mais il faudra presque six mois pour mobiliser les ressources afin de mettre en place le système de l’UA. J’ai déjà mentionné plus tôt que l’UA dépend entièrement du soutien de bailleurs de fonds, les délais d’approvisionnement [sont un problème] et la Base logistique continentale n’est pas opérationnelle. Elle sera peut-être opérationnelle dans un avenir proche, peut-être dans deux ou trois ans, mais, en ce moment, elle ne l’est pas. Alors aujourd’hui, et de la manière dont elle a été testée pendant Amani Africa, c’est un peu théorique.
ADF : Alors qu’elle est la solution ?
GÉNÉRAL BABURAM : La seule manière de contourner le problème est de revoir la politique d’autosuffisance des pays contributeurs de troupes et de leur donner plus de responsabilités pour leur permettre de réaliser cette autosuffisance. Peut-être pour 90 jours avec l’engagement de l’Union africaine que leurs dépenses seront remboursées. Peut-être que les États membres peuvent créer bilatéralement une telle capacité d’autosuffisance. C’est la seule manière de contourner cette exigence de déploiement rapide en 14 jours.
Nous avons cette initiative appelée Capacité africaine de réponse immédiate aux crises, qui développera les concepts prévoyant que les États membres assument la responsabilité de l’autosuffisance de leur unité pendant 90 jours. Cela devra s’étendre au concept de la FAA parce que c’est le seul moyen réaliste qui permette de se déployer dans ces 14 jours. Parmi les États membres qui contribuent par des troupes et des ressources à une mission particulière, l’un d’entre eux pourrait être sélectionné comme pays chef de file en matière de logistique. Un pays qui dispose de plus d’expérience, de plus de capacité et de meilleures ressources pourrait servir de pivot pour la fourniture d’une logistique commune et constituer un cadre dans lequel d’autres pays pourraient mettre en commun leurs ressources logistiques.
ADF : Pour l’avenir, où souhaiteriez-vous que les armées africaines concentrent leurs efforts ?
GÉNÉRAL BABURAM : Je pense que la plupart des capacités logistiques dépendront de la possibilité pour l’Afrique de subvenir à ses propres besoins sans dépendre largement de bailleurs de fonds. Cela a un effet sur la planification. Vous ne pouvez pas planifier des ressources que vous ne possédez pas. Si vous devez vous adresser à l’Union européenne ou aux États-Unis pour financer votre mission, cela compromet votre planification, votre capacité de vous déployer rapidement et la résolution des problèmes africains. Ce qui est considéré comme la solution d’un problème en Afrique ne sera peut-être pas considérée comme telle par une organisation extérieure comme les Nations Unies. C’est pourquoi cette intervention au Burundi, même si elle avait été autorisée par l’UA, n’a jamais eu lieu. Et ce n’est pas la seule ; il y a eu plusieurs cas, par le passé, où l’UA autorisait une mission qui ne voyait jamais le jour. Lorsque vous vous interrogez sur les raisons, on en revient à la capacité de l’UA de mobiliser les ressources de sa propre mission. Le système doit être appuyé par une stratégie de mobilisation des ressources. C’est un problème majeur que l’UA doit surmonter à l’avenir.
Nous devons également rassembler suffisamment de fonds, au sein du Fonds de la paix de l’UA, pour pouvoir soutenir une mission pendant au moins 90 jours, ce qui serait de l’ordre de 50 millions de dollars. Cela est réalisable. Dans une perspective d’avenir, il faut aussi créer plus de capacités d’autosuffisance au sein des États membres, pour qu’au moins les États membres puissent subvenir à leurs besoins pendant 90 jours, jusqu’à ce que l’UA prenne le relais. Et ceci est faisable. Il serait peut-être utile d’analyser ou d’évaluer ce qui doit être amélioré au sein des États membres.
ADF : Il existe de nombreux cas dans lesquels les armées africaines ont prouvé qu’elles pouvaient exceller sur le plan logistique. Je pense à la capacité d’armées comme celle du Tchad de se déployer avec succès dans des environnements extrêmement inhospitaliers, en dépit de moyens limités.
GÉNÉRAL BABURAM : Tout à fait. Cela nous amène à la nécessité de simplifier les choses. Les problèmes de logistique des armées africaines ne doivent pas être exagérés. Il y a des moyens de simplifier les choses et de les rendre moins onéreuses en considérant la spécificité des besoins africains. Prenons, par exemple, une cuisine. La cuisine de campagne, fournie par les Nations Unies pour les missions, est trop sophistiquée, trop chère et, parfois, elle ne répond pas vraiment aux besoins des troupes. Il en va de même pour certains autres équipements. Il nous faut donc apporter des solutions simples aux problèmes. Nous devons faire en sorte que les hommes puissent se nourrir et entretenir un équipement de base, parce que la maintenance est vraiment problématique. L’équipement arrive et, parce que les opérateurs n’ont pas été formés, il devient rapidement hors d’usage. La durée de vie de l’équipement est considérablement réduite. Vous vous rendez compte qu’en six mois, 50 pour cent de l’équipement est hors d’usage parce qu’il n’a pas été entretenu. Il faut s’attaquer à ces problèmes en créant une capacité de maintenance et en formant les opérateurs au fonctionnement du matériel. Dans le monde occidental, le problème ne se pose pas, mais dans les armées africaines, si vous pouvez résoudre ces problèmes, cela arrangerait grandement les choses.
ADF : Faut-il accorder à la logistique une plus grande priorité ?
GÉNÉRAL BABURAM : La priorité accordée à la logistique par les commandants et les décideurs est un problème majeur. Souvent vous pensez à la logistique après et non avant. Cela peut porter préjudice à la planification opérationnelle générale, parce que vous ne pouvez pas planifier sans réfléchir à la logistique dont vous disposez. Je sais qu’en général, on dit que les opérations sont le moteur de la logistique, et je pense qu’en Afrique c’est la logistique qui est le moteur des opérations, parce que les opérations doivent s’appuyer sur la logistique disponible. Vous ne pouvez pas transporter des troupes vers un point « A » ou « B » si vous ne disposez pas des moyens aériens pour le faire. Vous ne pouvez pas garder des troupes sur le théâtre des opérations pendant trois mois si vous ne pouvez pas les nourrir, les approvisionner en eau ou leur fournir suffisamment de munitions. La planification est essentielle.