PERSONNEL D’ADF
Le Dr Bob Wekesa a été journaliste au Kenya, étudiant de doctorat à l’université de communication de Chine et professeur en Afrique du Sud. Il a plusieurs décennies d’expérience personnelle avec le panorama médiatique et informationnel chinois.
Il est l’un des premiers académiciens des médias sur la Chine et l’Afrique, et avertit que la Chine exporte de plus en plus ce qu’il appelle son modèle « de contrôle total de l’information par l’état ».
Certains chefs autoritaires sont attirés par cet argumentaire de vente.
Dans une interview avec le Centre d’études stratégiques de l’Afrique le 12 mai, le Dr Wekesa a déclaré : « En Chine, l’information est simplement un atout, une ressource. C’est un capital, tout comme les ressources économiques de construction d’automobiles et de machines. »
« La Chine est engagée dans une guerre de l’information. »
Des chiffres officiels pour les efforts mondiaux de la Chine en matière d’information ne sont pas disponibles mais les experts estiment que le budget annuel dépassait 10 milliards de dollars avant la pandémie.
Freedom House a écrit dans un rapport de 2022 : « Le gouvernement chinois sous l’égide du président Xi Jinping accélère une campagne massive pour influencer les chaînes médiatiques et les consommateurs d’actualité dans le monde. » Cette organisation des droits de l’homme a étudié l’influence médiatique de la Chine dans trente pays entre janvier 2019 et décembre 2021.
Entre 2017 et 2020, Sarah Cook, analyste de recherche principale de Freedom House, a identifié « une expansion dramatique des efforts [chinois] pour façonner le contenu et les narrations médiatiques dans le monde, pour affecter toutes les régions et en langues multiples ».
En 2022, Freedom House estimait que la Chine « affectait des milliards de dollars par an à ses efforts de propagande et de censure à l’étranger ».
Au Nigeria, les tentatives chinoises pour influencer les médias étaient « très élevées », selon le rapport de Freedom House. Ce dernier note aussi des indications selon lesquelles l’ambassade de Chine au Nigeria aurait contacté des rédacteurs et offert des paiements à des journalistes pour ne pas écrire d’articles négatifs.
Au Kenya, les efforts d’influence étaient « élevés ». Dans un exemple fourni par le rapport, une société d’état chinoise a menacé d’intenter des poursuites contre le journal The Standard pour des reportages sur les abus liés à un chemin de fer qu’elle gérait. Lorsque les rédacteurs ont refusé de rétracter l’article, l’ambassade de Chine a annulé ses publicités.
Le Dr Wekesa déclare que la Chine institutionnalise son approche à l’exportation des médias contrôlés par l’état. Elle forme les journalistes et les rédacteurs africains dans le cadre de programmes d’échange qui s’accompagnent de voyages en Chine tous frais payés. Il est demandé aux participants de ne pas critiquer les présidents africains, les ministres ou les responsables chinois.
« Ils deviennent un type d’ambassadeur journaliste pour Pékin sur le continent, en l’aidant à bâtir des relations dans les salles de rédaction et persuader leurs collègues du continent à utiliser autant que possible le contenu [de propagande] », déclare le Dr Wekesa.
« Les critiques du parti communiste chinois ne sont pas autorisées en Chine et ne devraient donc pas être autorisées en Afrique. »
L’agence de presse officielle chinoise Xinhua a 37 bureaux en Afrique, plus que toute autre agence médiatique.
En date du début 2023, plusieurs sociétés médiatiques ont signé des accords de coopération et de partage de contenu avec Xinhua dans des pays tels que l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Ghana, le Kenya, le Nigeria, la Zambie et le Zimbabwe.
Une autre méthode employée par la Chine pour exporter son influence et disséminer l’information consiste à acheter des actions des sociétés médiatiques africaines, puis à recommander une couverture d’actualité favorable et des pratiques de censure.
L’impact sur les décisions de la rédaction est évident, comme l’explique Emeka Umejei, journaliste africain du China Global Television Network, dans son livre de 2020 intitulé « Les médias chinois en Afrique : perception, performance et paradoxe » :
« Nous savons ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Ces choses vous seront expliquées clairement lorsque vous vous joindrez à nous, en ce qui concerne le type de reportage que l’on attend de vous et la direction que vous êtes censé suivre. »
Un autre principe du modèle chinois consiste à vendre toute la gamme d’infrastructure des télécommunications : les smartphones et les téléphones de base, les réseaux de données sans fil et câblés, ainsi que les outils de technologie de l’information et de surveillance qui permettent aux gouvernements de surveiller et de bloquer les sites web et de couper l’accès à l’Internet.
Toutefois, alors que les responsables de tendance autoritaire comprennent bien les avantages liés au contrôle de l’environnement d’information dans leur pays, les experts avertissent les citoyens et les responsables gouvernementaux que des vulnérabilités de confidentialité et de sécurité sont intégrées à la technologie chinoise offerte.
Le Dr Wekesa a constaté la migration africaine en cours de l’analogique au numérique pour la diffusion et la publication, en grande partie grâce à la technologie et aux prêts de la Chine.
Il pense que la Chine continuera à intégrer et renforcer son modèle de « contrôle total » plus profondément dans le secteur médiatique africain.
« Nous verrons très probablement des gadgets tels que des caméras, des équipements de production et des véhicules de diffusion, de plus en plus originaires de la Chine. Les Africains et les professionnels africains des médias doivent être vigilants pour bien comprendre que certains de ces dispositifs pourraient être accompagnés d’une technologie intégrée. »
« Ils doivent effectuer des vérifications pour pouvoir déterminer que l’équipement et les technologies ne nuisent pas aux auditoires africains ou aux sociétés médiatiques elles-mêmes. »