La compétition pour les ressources énergétiques mène souvent à la violence. L’Afrique espère répondre aux besoins croissants tout en réduisant les conflits.
D’ici à 2030, on prévoit un accroissement de 44 pour cent de la demande énergétique. La plus grande partie de cette hausse de la demande proviendra des marchés émergents, y compris ceux de l’Afrique subsaharienne. Des millions de nouveaux climatiseurs, smartphones, réfrigérateurs et autres articles mettront à l’épreuve le réseau électrique du continent jusqu’à ses limites. Par ailleurs, la croissance du secteur manufacturier et l’augmentation de la circulation automobile intensifieront la demande de charbon, de pétrole et de gaz naturel.
En dépit d’avancées scientifiques majeures aboutissant à la diversification de sources d’énergie et à l’éloignement de la dépendance complète envers les hydrocarbures, l’approvisionnement énergétique mondial n’est pas illimité. Les ressources renouvelables constituent moins de 1 pour cent de l’énergie mondiale et ne devraient pas augmenter de plus de 5 pour cent d’ici à 2030. Il sera difficile de répondre à la demande croissante.
Historiquement, la compétition autour de ressources limitées telles que l’énergie a entraîné la violence. Le Soudan et le Soudan du Sud se sont affrontés à propos de droits pétroliers, des milices dans le delta du Niger combattent pour un partage des bénéfices de l’extraction pétrolière, et le groupe terroriste État Islamique (EI) occupe stratégiquement les champs pétrolifères pour financer ses agissements. Compte tenu de tout cela, il incombe aux professionnels de la sécurité de comprendre les modalités du déclenchement des conflits entre les individus, les communautés et les nations. Une telle compréhension pourrait se traduire par des stratégies innovantes sur les moyens d’y mettre fin.
L’INDUSTRIE DU CHARBON DE BOIS
Dans la plus grande partie du monde en développement, la lumière ne s’allume pas en actionnant un interrupteur, et le chauffage ne vient pas d’une conduite de gaz. Selon la Banque mondiale, la proportion de la population de l’Afrique subsaharienne ayant accès à l’électricité n’est que de 24 pour cent. Au niveau mondial, on estime que 2,5 milliards d’habitants dépendent de la biomasse, telle que le charbon de bois, le bois, la paille et le fumier pour cuisiner et se chauffer. Bien que ceci soit principalement effectué par la collecte du bois et l’abattage de petits arbres, ces pratiques peuvent être élargies à une échelle industrielle, provoquant des conflits et la dégradation de l’environnement.
La situation dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) en est l’exemple le plus saisissant. Dans cette région déchirée par la violence, la plupart des gens collectent du bois sec pour répondre à leurs besoins domestiques ou se procurent des paquets de charbon de bois auprès de petits vendeurs. L’essentiel de ce bois provient du parc national des Virunga, une forêt pluviale luxuriante qui est le refuge de certains des derniers gorilles de montagne survivants et est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. Trois millions de personnes vivent à une journée de marche du parc, et la plupart dépendent du charbon de bois pour cuisiner et se chauffer, selon une étude de 2008 réalisée par l’Institut international du développement durable (IIDD).
Des groupes armés profitent également de ce commerce. De nombreuses milices, dont les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe d’extrémistes hutus dont les membres ont pris part au génocide de 1994 au Rwanda voisin, contrôlent le commerce du charbon de bois dans un important secteur du parc. La vente de ce combustible, connu localement sous le nom de makala, est devenue une industrie d’un chiffre d’affaires de 30 millions de dollars par an dans la région, et le FDLR l’utilise pour financer ses activités.
En 2009, la situation avait atteint le point de rupture, avec des gardes forestiers tués presque chaque semaine, de précieuses terres forestières partant en fumée et des milices engagées dans des combats meurtriers pour le contrôle de territoires. Le FDLR en est ressorti comme étant la force la plus puissante. Il dirigeait les opérations à la manière d’une mafia et contrôlait un réseau de bûcherons, de brûleurs de charbon de bois et de transporteurs. « Les miliciens du FDLR considèrent la forêt comme leur appartenant… Ils l’ont subdivisée en parcelles d’environ 5 kilomètres, que trois ou quatre combattants du FDLR surveillent [jour et nuit] lorsque [le FDLR] n’est pas engagé dans des combats », a déclaré Salomon, un négociant dont l’IRIN a recueilli les propos en 2009. Le commerce de charbon de bois dans les Virunga impliquait non seulement les milices, mais également de puissants hommes d’affaires, des responsables publics corrompus ainsi que des soldats.
La faiblesse des institutions a laissé prospérer ce commerce, et le flux constant de réfugiés devenus sans-abri à cause du conflit a fourni une clientèle croissante, d’après un rapport de l’IIDD.
La situation s’est légèrement améliorée depuis ce temps-là, et les gardes forestiers, avec les soldats, arrêtent maintenant les camions à des postes de contrôle et confisquent les chargements de charbon de bois qui ne sont pas accompagnés d’un certificat officiel d’origine délivré par le ministère de l’Environnement de la RDC.
Le phénomène des conflits autour du charbon de bois n’est pas unique à la RDC. En Somalie, où le couvert arboré est clairsemé et le bois extrêmement précieux, le groupe terroriste al-Shebab a financé ses attaques en exportant d’énormes quantités de charbon de bois vers le Moyen-Orient. Le groupe a systématiquement arraché à la terre des acacias centenaires et a exporté le charbon de bois de l’autre côté de la mer Rouge. En échange, le groupe a importé des armes et du sucre, qu’il a passés en contrebande au Kenya pour les y vendre.
« Le commerce de charbon de bois pour al-Shebab revient au même que le commerce du pavot pour les talibans », a signalé UN Dispatch en 2012.
« C’est la plus importante source de revenus ».
Dans tous les cas, le commerce illégal du charbon de bois prospère en l’absence d’institutions étatiques et avec la complicité de responsables corrompus. Le renforcement de l’état de droit dans ces régions et l’éradication de la corruption sont les deux clés permettant de mettre fin à cette criminalité.
PARTAGER LA RICHESSE
L’un des griefs qui donnent le plus couramment une impulsion à un conflit est fondé sur la perception par un groupe qu’il ne reçoit pas sa part équitable de ressources. Lorsqu’un groupe vit dans une zone dotée d’abondantes réserves énergétiques sans en recevoir une partie des bénéfices, le ressentiment tend à se développer. Dans une étude marquante parue en 2014 dans le Journal of Conflict Resolution, les universitaires Victor Asal, Michael Findley,
James Piazza et James Igoe Walsh ont mis en évidence que la richesse pétrolière sert de facteur unificateur pour les groupes rebelles et est une source de revenus pour le financement des campagnes insurrectionnelles. Ils ont découvert que les populations vivant dans les zones de richesse pétrolière et se sentant exclues de la vie politique nationale sont davantage susceptibles de prendre les armes que les groupes se sentant également exclus, mais ne vivant pas dans les régions bénéficiant de la manne du pétrole.
Le groupe rebelle Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND) en est un exemple par excellence. Depuis 2004, le groupe issu de cette région du Nigeria riche en pétrole a utilisé la question du pétrole comme outil de recrutement et a généré des revenus par le biais du soutage illégal. Le MEND soutient depuis longtemps que la région du delta demeure parmi les plus pauvres du pays et que sa population vit dans des conditions de dégradation environnementale alors que les élites nigérianes et multinationales s’enrichissent.
On estime que depuis l’indépendance du pays en 1960, de 300 à 400 milliards de dollars de revenus pétroliers ont été détournés ou dépensés à mauvais escient au Nigeria. Ce chiffre est presque équivalent au montant total d’aide financière occidentale reçue par le pays dans cette même période. « Il ne devrait y avoir aucune imbrication inévitable entre le pétrole, la corruption et les conflits violents », a écrit le chercheur nigérian Cyril Obi. « La réalité est qu’à lui seul le pétrole ne conduit pas à la violence ou à la corruption. Le conflit survient seulement en conséquence de la politisation du facteur pétrolier, avec des pratiques faisant du contrôle exclusif du pétrole et de sa distribution la chasse gardée de “quelques-uns” à l’exclusion des autres ».
En gardant à l’esprit l’exemple du MEND, les pays commencent à comprendre que si l’on souhaite que les réserves énergétiques soient une bénédiction plutôt qu’une malédiction, les profits doivent être partagés. Un pays qui espère prendre la tête de cette initiative est la petite République de São Tomé et Príncipe, à 300 kilomètres des côtes de l’Afrique de l’Ouest, dans le golfe de Guinée.
Le pétrole a été découvert au large du littoral de São Tomé et Príncipe vers la fin des années 1990, et en 2004 le pays a créé un Compte pétrolier national pour veiller à ce qu’une importante part des revenus pétroliers soit dépensée sur des projets publics afin de réduire la pauvreté et de diversifier l’économie. Le pays a également créé un Fonds de réserve permanent destiné à mettre de côté des ressources financières pour les générations futures.
Bien que la production de pétrole n’ait pas démarré et que le pays ait connu des revers, y compris des scandales liés à la corruption et un coup d’État, le gouvernement a regarni le trésor public à hauteur de 60 millions de dollars et estime avoir jeté les bases de revenus qui pourraient s’élever au total à 20 milliards de dollars, ce qui équivaut à des centaines de fois son produit national brut actuel.
« Bien que le pays continue de faire face à quantité de défis, ces politiques ont généré des revenus indispensables, ont aidé à diversifier l’économie, ont diminué l’inflation et les taux de pauvreté et ont réduit au maximum la corruption et l’exploitation souvent associées à l’exploration et à la production pétrolières », a expliqué Benjamin Sovacool dans un article paru en 2016 dans la revue Environmental Science & Policy.
AUGMENTATIONS BRUTALES DES PRIX ET COUPURES DE COURANT
L’énergie peut entraîner des conflits d’autres manières. Lorsque le pétrole devient soudainement rare ou inabordable, la vie des populations s’en trouve transformée. Le commerce est progressivement paralysé et les familles doivent immédiatement ajuster leur budget. Cela peut également inciter les gens à descendre dans la rue et manifester leur mécontentement. En 2012, le gouvernement nigérian a supprimé les subventions aux produits pétroliers dans le but de réduire le déficit. Du jour au lendemain, le prix du carburant dans les stations-service a doublé, passant de 45 cents le litre à 90 cents. Cette augmentation brutale a fait descendre dans la rue des milliers de manifestants qui ont défilé, mis le feu à des pneus et affronté les forces de police. Leurs revendications portaient sur le fait que le pétrole bon marché était l’un des rares avantages que l’État leur accordait, et refusaient donc de redonner de l’argent à un gouvernement qu’ils considéraient comme rongé par la corruption. Au bout d’un peu plus d’une semaine de manifestations, 16 personnes avaient perdu la vie. De la même manière, les coupures de courant localisées et ce qui était perçu comme l’imposition de tarifs injustes ont été une source régulière de frustration en Afrique du Sud et ont engendré des manifestations.
Les citoyens ne sont pas les seuls à être victimes des fluctuations des cours de l’énergie. En 2015, le cours du pétrole brut est descendu à son niveau le plus bas depuis 11 ans, à 36 dollars le baril. Ceci a frappé de plein fouet les finances publiques de nombreux pays fortement dépendants des revenus du pétrole. L’Angola, l’une des économies en plein essor de l’Afrique dépendant à 95 pour cent des revenus tirés du pétrole, a annoncé en octobre 2015 des coupes budgétaires représentant la moitié de la dépense publique. Cette décision affecte tout, depuis les projets d’infrastructure jusqu’à la collecte des ordures. Il s’avère qu’une flambée de fièvre jaune dans la capitale Luanda, en 2016, a été imputée à une réduction des services d’enlèvement des déchets.
SOLUTIONS
Il n’est pas possible de découpler complètement l’énergie des situations de conflit, et les pays africains connaîtront des soubresauts au fur et à mesure qu’ils chercheront à répondre à la demande croissante. Toutefois, il y a certaines choses qui peuvent aider à atténuer la transition.
DIVERSITÉ ÉNERGÉTIQUE
Les pays qui diversifient leurs approvisionnements énergétiques sont moins vulnérables aux brusques fluctuations des cours du pétrole et donc moins dépendants de sources étrangères. L’Éthiopie a montré la voie à suivre sur le continent africain en adoptant le principe de l’énergie renouvelable, en ayant recours à l’énergie éolienne, solaire, géothermique et hydroélectrique. En 2016, le Maroc a inauguré Noor 1, la première phase de la centrale solaire d’Ouarzazate, qui est l’une des plus importantes au monde et fournira un jour de l’électricité à 1 million de personnes.
EXPANSION DU RÉSEAU
L’Afrique présente encore le taux le plus faible d’accès à l’électricité du monde entier, raison pour laquelle tant de personnes sont obligées de compter sur le charbon de bois et d’autres sources d’énergie liées à des conflits. L’expansion de l’accès à l’électricité stimulera les économies et éliminera du marché l’industrie du charbon de bois, entachée par la violence. La démarche de la Power Africa Initiative, financée par les États-Unis et lancée par le président Barack Obama en 2013, contribue à ce que cela devienne une réalité. Cette initiative a pour objectif de multiplier par deux l’accès à l’électricité en Afrique subsaharienne, en ajoutant 30.000 mégawatts et 60 millions de nouvelles connexions.
AMÉLIORATION DE L’INFRASTRUCTURE
Les routes vétustes et encombrées représentent l’une des plus importantes sources de gaspillage en matière de consommation de carburant. Par exemple, du fait des encombrements, un camion se rendant de Lagos, la capitale économique du Nigeria, au Bénin voisin, peut devoir rouler pendant 24 heures ou davantage, alors que ce trajet ne devrait prendre que trois heures. La voie ferrée peut aider à alléger ce fardeau. La ligne de chemin de fer reliant le port de Djibouti à la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, réduit le temps de trajet de deux jours à 10 heures et permettra de délester le trafic routier de milliers de camions dans les années à venir.
CONSTATER DES RETOMBÉES POSITIVES
La manière la plus efficace de désamorcer les violences liées à l’énergie est de veiller à ce que les populations locales bénéficient des gains énergétiques. Beaucoup reste à faire pour que cela devienne une réalité. La Banque mondiale estime qu’au Nigeria, 80 pour cent des revenus tirés du pétrole bénéficient à 1 pour cent de la population. Le président nigérian Muhammadu Buhari a fait de l’assainissement de l’industrie pétrolière l’objectif central de son administration et a décidé d’assumer lui-même les fonctions de ministre du pétrole.