Des systèmes d’alerte précoce avertissent la population et encouragent les défections
PERSONNEL D’ADF
Ces derniers temps, l’Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army ou LRA) ne peut pas faire un geste sans qu’il soit documenté et transmis. Voici quelques exemples d’incidents :
- 10 JANVIER 2014
Un combattant de la LRA, âgé de 38 ans, qui a passé 20 ans en captivité, fait défection à Djemah, en République Centrafricaine (RCA), après avoir marché pendant 6 jours dans la brousse. Il avait entendu les émissions de radio qui exhortaient les membres de la LRA à déposer leurs armes. - 9 FÉVRIER 2014
Après avoir entendu des messages encourageant la défection, diffusés depuis un hélicoptère, quatre membres ougandais de la LRA se sont rendus aux forces de sécurité. Ils étaient restés 12 ans en captivité. - 1er MARS 2014
Des villageois terrifiés signalent la présence de forces présumées de la LRA à 5 kilomètres d’Obo en RCA.
Même l’événement le plus banal, tel que le signalement du 1er mars, est consigné et transmis via un système de stations de radio à travers la République démocratique du Congo (RDC) et ailleurs. Les incidents sont aussi documentés par Invisible Children, une organisation fondée par trois Américains.
Le système d’alerte précoce pour la LRA a été mis en place en 2007 avec l’aide d’un prêtre catholique qui a recyclé un réseau d’émetteurs radio autrefois utilisé par les missionnaires en RDC. Le réseau s’est considérablement étendu depuis et permet maintenant d’alerter les villageois ainsi que les personnels des Nations Unies et d’organisations non gouvernementales (ONG) de la présence de la LRA.
La LRA existe depuis plus de vingt ans. Menée par l’ougandais Joseph Kony, elle s’opposait, à l’origine, au gouvernement de l’Ouganda. Or, elle n’a plus aujourd’hui d’agenda politique cohérent. Elle s’est montrée mobile et difficile à éradiquer, en se déplaçant dans le Nord de la RDC, en RCA et au Soudan du Sud.
D’après les estimations, depuis 2008, la LRA a tué plus de 2.600 civils et a enlevé plus de 4.800 personnes. En 2013, les soldats de la LRA ont tué 75 personnes et en ont enlevé 459. En février 2014, ils ont tué une seule personne et en ont enlevé 76.
Les soldats de Kony dorment dans la jungle, sous des arbres et des buissons qui leur permettent d’échapper aux drones et à la surveillance des satellites. Ils n’utilisent pas de talkies-walkies, car leurs signaux pourraient être captés, et ils n’attaquent pas les grands villages qui pourraient rapidement donner l’alerte.
Les chefs de la LRA savent exploiter le terrain accidenté de la région. En décembre 2008, la RDC, le Soudan et l’Ouganda ont lancé l’opération « Lightning Thunder » (éclair de tonnerre), une offensive militaire contre la LRA dans le Nord-Est de la RDC. Cette opération a affaibli la LRA en lui coupant les vivres et en détruisant certains de ses camps. Cependant, le groupe n’a pas disparu pour autant : il s’est éparpillé dans la nature et a riposté plus tard par des attaques sanglantes visant des civils au Soudan et en RDC.
Les systèmes d’alerte précoce peuvent être le plus efficace contre de telles attaques. Le réseau croissant de stations de radio à haute fréquence relie maintenant des villages ruraux en RDC et certaines parties de la RCA. D’autres émetteurs sont venus compléter le réseau des missionnaires. Tous les émetteurs radios travaillent de plus en plus avec le réseau radio d’alerte précoce d’Invisible Children.
L’organisation non gouvernementale Invisible Children a été fondée en 2004 pour aider et protéger les victimes de Joseph Kony. En mars 2012, l’organisation a lancé une campagne vidéo sur Internet, intitulée Kony 2012, qui a été visionnée plus de 40 millions de fois en l’espace de trois jours. La vidéo a largement attiré l’attention sur Joseph Kony dans le monde entier.
L’expansion des réseaux
Le système d’alerte précoce en RDC fait partie d’un réseau plus vaste couvrant tout le continent africain. Selon l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires, en 1985, il existait moins de 10 stations de radio indépendantes dans toute l’Afrique. En 2005, la RDC possédait, à elle seule, plus de 200 stations de radio.
En collaboration avec d’autres groupes, comme Human Rights Watch, le réseau radio d’alerte précoce d’Invisible Children a exploité cette infrastructure. Deux fois par jour, les villages se connectent au réseau et diffusent les derniers événements et signalements. Ces informations sont ensuite transmises à des plates-formes de réseau. Elles permettent d’avertir les villages de menaces, de mobiliser les forces armées dans la région et de solliciter l’aide des travailleurs humanitaires.
L’incitation à la défection
L’un des éléments clés du réseau radio est la diffusion de messages par les stations de radio locales exhortant les rebelles de la LRA à retourner dans leur famille. Souvent, les messages s’adressent aux rebelles par leur nom et font participer les membres de leur famille à l’émission. La campagne de défection se fait aussi à l’aide de messages diffusés par les haut-parleurs d’un hélicoptère ou grâce à des tracts largués par avion, offrant l’amnistie et le pardon. Invisible Children rapporte qu’en 2013, environ 320 personnes se sont échappées de la LRA et 16 soldats ont fait défection. Depuis 2008, près de 2.300 personnes ont quitté ou ont fui la LRA.
Amener les soldats de la LRA à déserter et à se rendre a été, pendant des années, un élément clé dans la guerre contre Joseph Kony. L’auteur militaire David Axe a observé que cette tactique avait d’abord été mise en œuvre en 2009 à Dungu, une ville située dans le Nord-Est de la RDC. En 2008, la LRA avait attaqué la ville, forçant ses 20.000 habitants à fuir temporairement. Depuis, la ville est la base d’opérations de nombreuses ONG et d’autres organisations qui tentent de porter secours aux victimes et de persuader les soldats de la LRA de déserter.
Le réseau a eu un effet certain sur Joseph Kony et ses hommes. La RDC étant mieux informée, il a été forcé de déplacer le gros de ses troupes vers la RCA. Il a envahi ce pays relativement anarchique pour la première fois en 2008 en laissant derrière lui une équipe réduite pour opérer dans l’Est de la RDC. Ces soldats, dont le nombre est estimé à seulement quelques dizaines, ont été les premières cibles des émissions de radio de Dungu. En l’absence de Joseph Kony, les soldats étaient davantage susceptibles de déserter sans craindre de représailles.
Les émissions de radio visaient trois types de public, à savoir les victimes d’enlèvements, les soldats de la LRA endurcis et les résidents de la RDC. Les victimes d’enlèvement sont encouragées à s’enfuir. Les soldats de la LRA sont assurés qu’ils peuvent se rendre sans avoir peur d’être punis et les citoyens de la RDC reçoivent des informations sur les mouvements de la LRA.
En raison des atrocités commises, de nombreux habitants des zones rurales en RDC élimineront rapidement tout individu qu’ils croient appartenir à la LRA. Des villageois ont déjà tué des soldats de la LRA qui tentaient de déserter. Maintenant, les émissions de radio exhortent les auditeurs à laisser en vie les soldats de la LRA qui veulent se rendre. À cette fin, les Nations Unies ont établi, le long de la frontière avec le Soudan, des « postes de reddition », pour les transfuges. Plus récemment, les États-Unis ont également établi leurs propres postes.
Au début de l’année 2014, les villages de la région ont accéléré l’utilisation des stations de radio pour transmettre des messages aux membres individuels de la LRA, en les incitant à déserter. L’un de ces messagers est John B.
« Lakambel » Oryema qui anime, depuis une station d’État basé dans le Nord de l’Ouganda, une émission de radio intitulée Dwog Paco, ce qui signifie « rentre à la maison » en acholi.
John B. Oryema diffuse ses messages destinés à la LRA depuis 2001. Il demande que les messages émis par des membres de la communauté soient adressés à des membres spécifiques de la LRA.
« J’essaye de faire en sorte qu’ils soient contents d’entendre leur nom mais aussi de savoir que leurs parents sont toujours là et qu’ils ont hâte de les voir », a-t-il déclaré.
L’HISTOIRE DE L’ARMÉE DE RÉSISTANCE DU SEIGNEUR
PERSONNEL D’ADF
- 1986
Yoweri Museveni renverse le président Milton Obote et devient président de l’Ouganda, poste qu’il occupe encore aujourd’hui. - •1987
Alice Lakwena, prêtresse acholi autoproclamée, forme un groupe de rebelles, les Forces mobiles de l’Esprit Saint. Un autre groupe de rebelles, l’Armée démocratique du peuple ougandais est constitué, avec Joseph Kony comme « conseiller spirituel ». - •1988
Les Forces de l’Esprit Saint sont vaincues. Alice Lakwena se réfugie au Kenya. Joseph Kony recrute les membres restants de son mouvement et forme l’Armée démocratique chrétienne du peuple ougandais, qui devient l’Armée de la résistance du Seigneur en 1993. - •1991
Joseph Kony lance une campagne militaire. D’avril à août, ses rebelles isolent les provinces d’Apac, de Lira, de Gulu et de Kitgum, situées au nord, du reste de l’Ouganda. Joseph Kony et ses hommes commencent à tuer et à mutiler des civils. Ils détruisent aussi des villages et enlèvent des enfants pour en faire des soldats. - 1993-1994
L’Ouganda entame des négociations de paix avec la LRA. En février 1994, la LRA rejette la demande de reddition du président Museveni et attaque des unités de l’armée ougandaise et des civils. Des soldats de la LRA posent des mines sur les routes et les pistes dans le Nord du pays. - 1995
Une nouvelle constitution ougandaise légalise les partis politiques, mais maintient l’interdiction des activités politiques. La LRA massacre plus de 200 personnes et lance une première grande vague d’enlèvements d’enfants. À la fin de l’année, la LRA est contrainte d’abandonner sa base au Soudan du Sud. - 1996
La LRA continue à commettre des atrocités. Les Ougandais fuient leur foyer par crainte de la LRA et sont déplacés dans des « villages protégés », dans la province de Gulu. Les conditions de vie dans ces villages provoquent une crise. - 1997
En janvier, la LRA extermine 400 personnes dans les provinces de Lamwo et de Kitgum. Des milliers d’autres fuient leur foyer. Le gouvernement décide de combattre la LRA et abandonne les négociations de paix. - 1999
Le Parlement vote une loi d’amnistie qui offre l’immunité aux rebelles ayant décidé de se rendre. La LRA attaque Gulu à la fin de l’année, mettant ainsi fin à tout espoir de paix. - 2001
Les États-Unis placent la LRA sur leur liste d’organisations terroristes. - 2002
Le Soudan et l’Ouganda signent un accord visant à contenir la LRA. L’Ouganda lance l’opération « Iron Fist » (poing de fer) dans le but d’écraser les forces de Joseph Kony. La LRA riposte en attaquant le camps de réfugiés dans le Nord de l’Ouganda et dans le Sud du Soudan, tuant des centaines de personnes. L’armée ougandaise évacue plus de 400.000 personnes menacées par la LRA. - 2004
En février 2004, une unité de la LRA attaque le camp de réfugiés de Barlonyo en Ouganda, tuant plus de 300 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants. - 2005
La LRA déplace sa base opérationnelle en République démocratique du Congo (RDC). Elle intensifie ses attaques de civils dans les camps de réfugiés. - 2008
L’Ouganda suspend indéfiniment les négociations de paix de Juba, après le refus de Joseph Kony de signer un accord de paix. À la fin de l’année, des militaires ougandais, congolais et sud-soudanais lancent l’opération « Lightning Thunder » (éclair de tonnerre) contre la LRA dans le Nord-Est de la RDC. La LRA riposte en tuant des centaines de civils dans la région. - 2009
L’armée ougandaise se retire de la RDC après avoir poursuivi les rebelles de la LRA dans le cadre d’une opération qui aura duré trois mois. - 2011
Les États-Unis envoient une centaine de militaires pour aider l’Ouganda à combattre la LRA. - 2012
L’Ouganda annonce qu’il dirigera une force de 5.000 hommes de l’Union africaine, pour combattre la LRA en RDC et en République centrafricaine. - 2014
Les États-Unis révèlent que leur mission d’aide à la capture de Joseph Kony pourrait bien s’étendre jusqu’en 2015.
« La coopération régionale est essentielle. »
PERSONNEL D’ADF
Africa Defense Forum s’est entretenu, en mars 2014, avec Sean Poole (photo), directeur des programmes de lutte contre la LRA de l’organisation Invisible Children. Il est directement impliqué dans le réseau radio qui suit les mouvements de la LRA. Voici quelques extraits de cet entretien :
Quelle est votre fonction à Invisible Children ?
Je suis chargé de collecter des informations sur la LRA en Afrique centrale. Notre réseau de collecte des données comprend 83 postes en RDC (République démocratique du Congo) et en RCA (République centrafricaine).
Nous avons construit notre réseau à partir d’équipements existants et disponibles. Environ 75 pour cent de nos postes sont des stations de radio à haute fréquence. Chaque station coûte entre 18.000 et 20.000 dollars environ pendant les trois ans que durent leur installation et leur mise en service. Les 25 pour cent restants sont des téléphones satellites portables.
Êtes-vous présent en Ouganda, où la LRA a débuté ses activités ? Quand avez-vous étendu votre réseau en RCA ?
Le réseau ne se trouve pas en Ouganda. Il a commencé ses activités en RCA en 2011.
Les auditeurs évitent-ils tout contact avec la LRA comme leur conseillent les émissions de radio ?
Cela arrive : ce n’est pas quelque chose que nous publions sur notre site Internet. Les informations que nous publions ouvertement concernent les attaques, les déplacements et les pillages.
À en juger par les signalements répertoriés sur votre site, il semble que la LRA soit un peu moins violente qu’elle ne l’a été autrefois.
Il y a une tendance à une baisse de violence au sein de la LRA. Ces derniers temps, ce groupe prend des gens en otage pour s’en servir comme porteurs avant de les relâcher trois jours plus tard. La raison en est l’état d’affaiblissement général de la LRA. Elle préfère s’occuper des personnes qu’elle détient déjà au lieu de chercher de nouveaux otages.
Boko Haram, le groupe extrémiste nigérian, détruit les stations de radio et tue leur personnel. Le problème s’est-il présenté avec la LRA ?
Nous n’avons pas rencontré de problèmes d’attaque des stations de radio, comme d’autres pays en ont eus avec Boko Haram. Nous réussissons à dissimuler nos stations et à les protéger. Elles passent tellement inaperçues que la LRA n’est peut-être même pas au courant de l’existence du réseau.
Avez-vous tiré des enseignements des conflits survenus dans d’autres parties du monde ?
Nous avons beaucoup appris du conflit en Colombie avec les FARC (Forces armées révolutionnaires en Colombie). Beaucoup de membres des FARC voudraient rentrer chez eux s’ils le pouvaient. Le gouvernement a mené une campagne de défection efficace.
Quelles leçons peuvent tirer d’autres pays de votre réseau ?
Nous collectons des informations émanant de sources publiques, qui peuvent être appliquées à une grande diversité de problèmes. C’est une bonne approche de résolution de problèmes.
Nous avons aussi appris qu’une fois les Congolais impliqués dans la traque de la LRA, la coopération transfrontière s’est considérablement améliorée. Le type de coopération que nous avons maintenant devrait être appliqué ailleurs, pas uniquement dans un contexte militaire. Beaucoup de membres des communautés touchées franchissent la frontière entre la RDC et la CAR. La coopération régionale est essentielle.
Quel est l’avenir de la LRA ?
Ils ont tendance à survivre contre toute probabilité et en dépit des obstacles apparemment insurmontables. Ils sont comme un virus ; ils peuvent toujours réapparaître. Je pense que Joseph Kony finira par être tué ou capturé. Si c’est le cas, ce sera le début de la fin de la LRA.