LE CHANGEMENT CLIMATIQUE, CONJUGUÉ À D’AUTRES FACTEURS, PEUT AFFECTER LA SÉCURITÉ HUMAINE
PERSONNEL D’ADF
Les effets profonds et dangereux du changement climatique en Afrique ne sont nulle part plus évidents que dans le conflit en cours du Darfour. La guerre qui fait rage dans la région occidentale du Soudan est souvent excessivement réduite à un conflit ethnique entre des éleveurs nomades arabes et des agriculteurs africains noirs.
L’auteur Harald Welzer met en avant une explication plus compliquée, « étroitement liée aux problèmes écologiques ».
Dans son ouvrage paru en 2008, Climate Wars: Why People Will Be Killed in the 21st Century (Guerre climatiques : Pourquoi les gens seront-ils tués au 21e siècle), Harald Welzer a détaillé un schéma d’événements complexe et divers que l’on peut faire remonter au moins à 1984, lorsqu’une sécheresse et une famine de grande envergure ont frappé la région.
Pour faire face à la sécheresse, « les agriculteurs sédentaires ont essayé de protéger leurs maigres récoltes en bloquant l’accès à leurs champs par les “Arabes” dont les pâturages s’étaient asséchés », a précisé Harald Welzer. « En conséquence, les nomades ne pouvaient pas utiliser leurs traditionnels marahil, ou itinéraires d’élevage et zones de pâture. … Nous voyons là tout à fait clairement que des changements induits par le climat ont été le point de départ du conflit ».
Comme d’habitude, les événements liés au climat soit sont la résultante d’autres conditions, soit sont exacerbés par celles-ci. La sécheresse au Soudan occidental a poussé des dizaines de milliers d’habitants à la migration, en raison du manque de nourriture.
La croissance démographique concomitante a intensifié l’utilisation excessive de la terre et des ressources. Harald Welzer a cité une étude réalisée en 2007 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement, dans laquelle il était mentionné que la convergence d’une croissance démographique excessive et de facteurs de pression sur l’environnement dictait l’engrenage de la violence entre « Africains » et « Arabes ».
« Ainsi, les conflits qui ont des causes écologiques sont perçus comme des conflits ethniques, y compris par les protagonistes eux-mêmes », a expliqué Harald Welzer. « Le déclin social est déclenché par l’effondrement écologique, mais la plupart des acteurs ne s’en aperçoivent pas ».
C’est pour cette raison que le conflit du Darfour a été appelé la première guerre climatique. Selon certains chercheurs, le climat sera associé à d’autres facteurs tels que la pauvreté, l’économie et une mauvaise gouvernance pour entraîner des conflits en Afrique pour des années à venir, sauf si quelque chose est fait à ce propos.
LA TEMPÉRATURE COMME FACTEUR DE CONFLIT
Ces dernières années, de nouvelles études ont révélé que le changement climatique pouvait influencer le comportement humain d’une manière violente.
Dans un article paru en 2009, « Warming increases the risk of civil war in Africa » (le réchauffement accroît le risque de guerre civile en Afrique), les chercheurs Marshall Burke, Edward Miguel, Shanker Satyanath, John A. Dykema et David B. Lobell ont mis en évidence « les liens historiques forts entre la guerre civile et la température en Afrique ».
En examinant les prévisions des modèles climatiques concernant les tendances de températures, les chercheurs ont découvert que « la réaction historique aux températures suggère une augmentation d’environ 54 pour cent de l’incidence des conflits armés d’ici à 2030, soit 393.000 victimes au combat supplémentaires si les guerres futures sont aussi mortelles que les guerres récentes ».
Ils exhortent les gouvernements africains et les donateurs étrangers à réformer les politiques publiques, avec pour objectif d’affronter le problème des hausses des températures.
Les chiffres de l’étude sont saisissants et spectaculaires, mais, pour John O’Loughlin de l’Université du Colorado, ils ne brossent pas nécessairement un tableau complet de la situation. La relation entre le climat et les conflits est bien plus compliquée, fait-il valoir.
Plusieurs années après l’article de 2009, John O’Loughlin, un professeur de géographie, a dirigé une équipe de chercheurs qui ont examiné plus de 78.000 conflits armés entre 1980 et 2012 dans la région du Sahel, qui s’étend sur près de 5.000 kilomètres de l’Atlantique à l’océan Indien. Bien que les chercheurs aient mis en évidence que des températures plus élevées dans le Sahel accroissent le risque de conflit à la longue, plusieurs autres facteurs ont généralement plus d’influence que le climat.
L’étude de John O’Loughlin, ainsi qu’une recherche distincte de Ngonidzashe Munemo, professeur de sciences politiques à Williams College originaire du Zimbabwe, indiquent que le changement climatique est une variable parmi d’autres, dont la combinaison engendre un sentiment d’insécurité parmi les populations. Parmi ces variables, figurent notamment la qualité de la gouvernance, les relations raciales et entre les groupes ethniques et les conditions socio-économiques. Ils précisent qu’il est improbable que le climat à lui seul engendre des conflits, mais qu’il peut faire pencher la balance vers les troubles civils.
« Si un gouvernement ne dispose que de relativement peu de ressources à distribuer et favorise son propre groupe, ou sa propre région, et qu’au fond il défavorise ou ignore les autres secteurs qui essentiellement ne font pas partie de son groupe politique, alors il intensifie le risque de conflit », avance John O’Loughlin. Ainsi, ce qui se passe dans le Sahel est une sorte d’« effet multiplicateur de températures plus élevées combinées à d’autres facteurs dont nous savons qu’ils sont fortement liés au risque de violence ».
ANTICIPER LES ÉVÉNEMENTS CLIMATIQUES
Selon un vieil adage, « tout le monde parle du temps, mais personne n’y fait rien ». Depuis des milliers d’années, le genre humain est aux prises avec l’imprévisibilité et la nature implacable de phénomènes météorologiques particuliers et avec les évolutions climatiques à long terme.
La violence est seulement l’un des résultats potentiels du changement climatique en Afrique. Le phénomène a également le pouvoir d’aggraver la pauvreté. Un rapport de la Banque mondiale paru en 2015 indique que le changement climatique fera basculer plus de 100 millions de personnes dans la pauvreté d’ici à 2030. L’Asie et l’Afrique subsaharienne pourraient être les régions les plus durement touchées.
Toutefois, à mesure que le changement climatique à l’échelle mondiale contribue à entraîner l’augmentation des températures moyennes, d’autres tendances climatiques, plus cycliques, continueront à peser sur de nombreux pays africains. Cela a été particulièrement évident en Afrique de l’Est et en Afrique australe en raison de la persistance d’El Niño, à cause duquel la région a été en proie à une grave sécheresse et à l’insécurité alimentaire.
El Niño, un phénomène survenant régulièrement, caractérisé par des températures inhabituellement élevées dans le Pacifique équatorial, peut engendrer la sécheresse dans certaines régions et, d’après les observations, des pluies diluviennes dans certaines autres. L’épisode de 2015, le pire constaté en 35 ans, a sévi en Afrique pendant des mois.
Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) a déclaré en février 2016 qu’El Niño pourrait affecter jusqu’à 49 millions de personnes en Afrique australe, où 14 millions d’habitants sont déjà confrontés aux problèmes de faim. La région a enregistré sa plus faible pluviométrie depuis 1981.
En Afrique de l’Est, selon les Nations Unies, près de 20 millions de personnes ont dû faire face à une grave insécurité alimentaire en mars 2016. Selon le PAM, rien qu’en Éthiopie, 2,2 millions d’enfants de moins de 5 ans, de mères allaitantes et de femmes enceintes auraient besoin d’alimentation thérapeutique pour surmonter la malnutrition (de modérée à aiguë) en 2016, soit plus du double des chiffres observés en 2015.
La sécheresse, qu’elle soit ou non causée par El Niño, et les famines en résultant, exigent une action rapide et décisive pour éviter les catastrophes humanitaires. Ngonidzashe Munemo, de Williams College, explique que les pays de l’Afrique australe ont abordé le problème de manière contrastée.
Il estime par exemple que le Zimbabwe adopte généralement une approche de circonstance pour répondre aux crises climatiques. Une déclaration émanant du président est nécessaire pour mobiliser les initiatives visant à atténuer la faim ou d’autres facteurs de pression. Lorsque la crise est passée, la réaction s’arrête. Lorsque la crise suivante se produit, les responsables doivent repartir à zéro concernant le financement et la mise en place d’une équipe au niveau ministériel pour répondre à la situation.
Au Botswana voisin, connu pour sa bonne gouvernance et l’absence de corruption que l’on y observe, les responsabilités ont été intégrées dans le cadre du travail des ministères et sont toujours prêtes à être exercées. Les réponses font réellement partie des tâches incombant aux responsables gouvernementaux.
« Ainsi, si vous êtes un foyer affecté par la sécheresse au Zimbabwe et un foyer affecté par la sécheresse au Botswana, au Zimbabwe vous ne savez tout simplement pas ni à quel moment le gouvernement reconnaîtra la situation de sécheresse, ni les mesures qu’il préconisera », explique à ADF Ngonidzashe Munemo. « Au Botswana, vous le savez. Vous savez qu’il existe un engagement permanent au nom duquel, dans l’éventualité d’une sécheresse, le gouvernement interviendra. En outre, vous savez également ce que feront les responsables. Donc, dans son action, le Botswana ne se contente pas de formuler l’engagement selon lequel les autorités réagiront à la sécheresse, mais il en précise également les modalités. … Ce faisant, il élimine les incertitudes ».
Les procédures établies par le Botswana facilitent non seulement les tâches logistiques qui sont déjà difficiles, mais font également en sorte qu’il soit plus difficile de manipuler l’aide au profit d’un groupe ou d’une région particulière. Les interventions du gouvernement au Botswana incluent des subventions et des remises partielles de dettes contractées par les agriculteurs, des programmes alimentaires pour les enfants souffrant de malnutrition, la construction de barrières pour la prévention des feux de forêt, ainsi que des projets d’approvisionnement d’urgence en eau.
Si l’armée doit avoir un rôle à jouer dans la réponse aux catastrophes liées aux phénomènes climatiques, le plus approprié pourrait être d’aider les gouvernements à surmonter les difficultés logistiques de l’obtention et de l’acheminement de vivres et autres fournitures aux populations affectées. Dans la plupart des pays africains, l’armée fait partie de ces institutions disposant de l’expérience et de l’équipement permettant d’acheminer l’aide d’un endroit à l’autre. L’armée et les forces de police peuvent également être nécessaires pour faire parvenir les approvisionnements dans les zones d’instabilité.
Et même dans ce cas, ajoute Ngonidzashe Munemo, le rôle historique de l’armée et la manière dont elle est considérée par les civils doivent être pris en compte. Le fait d’avoir une armée partisane participant à une réponse aux situations d’urgence peut s’avérer plus néfaste que bénéfique. Les responsables gouvernementaux et militaires doivent également avoir conscience des perceptions découlant de la présence de l’armée au premier plan des initiatives de secours.
En résumé, le changement climatique est davantage une question de développement humain qu’un problème militaire, ajoute John O’Loughlin. Un bon gouvernement et de solides institutions peuvent aider les nations à atténuer les menaces à la sécurité présentées par des situations dans lesquelles le climat converge avec d’autres facteurs de pression tels que la pauvreté, l’économie, la géographie et les différences culturelles.
L’AFRIQUE COMBLE LES LACUNES EN MATIÈRE D’INFORMATION CLIMATIQUE
Un domaine dans lequel l’Afrique présente des points faibles, ajoute John O’Loughlin, est celui des réseaux d’observation climatologique sur l’ensemble du continent. L’Afrique dispose du réseau terrestre continental d’information climatologique et météorologique le moins performant au monde. Des informations détaillées sont nécessaires pour localiser les tendances et changements climatiques afin de déterminer les réponses appropriées et les alertes précoces pour les crises à venir. Les responsables africains ont travaillé ces dernières années à collecter et à partager les informations dans l’espoir de renforcer la résilience par rapport aux intempéries et de s’adapter au changement climatique.
La Conférence ministérielle africaine sur la météorologie (AMCOMET) a été instituée en 2010 dans le but de montrer l’exemple et de fournir des orientations de politique sur l’information météorologique. Les ministres africains se réunissent tous les deux ans pour examiner les questions liées aux conditions météorologiques et la façon dont elles sont liées au développement. L’Organisation météorologique mondiale, travaillant en collaboration avec la Commission de l’Union africaine, est son secrétariat. L’AMCOMET favorise la coopération politique entre les États membres ainsi que le partage de l’information afin de réduire au maximum les effets du changement climatique et des conditions météorologiques extrêmes.
Selon l’AMCOMET, les conditions météorologiques et climatiques sont à l’origine de 90 pour cent de toutes les catastrophes du monde entier, faisant des victimes et entravant le développement. Entre 1980 et 2010, près de 10.000 catastrophes ont fait 2,5 millions de victimes et ont entraîné des pertes sur le plan économique à hauteur de 1,3 billion de dollars.
Ces pertes peuvent être réduites si les populations et les gouvernements ont accès en temps opportun à des informations climatologiques et météorologiques fiables. Par exemple, de telles informations pourraient être particulièrement avantageuses pour les agriculteurs et les communautés pastorales cherchant à mieux savoir quoi planter, à quel endroit et à quel moment.
L’AMCOMET a approuvé la Stratégie africaine intégrée sur la météorologie visant à mettre les services climatologiques et météorologiques au centre du développement national et régional. La stratégie s’appuie sur cinq piliers thématiques, dont le renforcement du soutien politique aux services météorologiques et leur reconnaissance, l’amélioration des services météorologiques et climatologiques dans l’optique du développement, et le soutien aux services d’adaptation au changement climatique et de son atténuation.
Le changement climatique est susceptible de converger avec les facteurs de pression menaçant la sécurité humaine pour faire pencher la balance en faveur de la violence. Toutefois, à mesure que les températures globales augmentent, il y a des raisons de garder bon espoir.
« Le message à en retirer n’est pas celui du pessimisme et de l’alarmisme, d’une sorte de désastre total à l’horizon causé par le changement climatique », a indiqué John O’Loughlin à ADF. « Beaucoup de choses peuvent être faites pour anticiper ces événements. Et franchement, la meilleure chose que l’on pourrait faire est d’améliorer la nature de la gouvernance en Afrique et de soutenir les régimes démocratiques et équitables qui ne pratiquent pas fondamentalement la discrimination à l’égard de leurs propres populations ».